de Denis Cardinaux 7 février 2013
Temps de lecture 3 mn
Il y a exactement un an, le mardi 7 février 2012, les yeux du photographe chilien Sergio Larraín se fermaient sur « un monde de fantômes » qu’il avait tenté de « solidifier ». Né à Santiago en 1931 c’est au cours d’un séjour d‘études aux Etats-Unis qu’il acquiert un Leica IIIC qui changera le cours de sa vie[1]. A son retour au Chili en 1951, il photographie pour la première fois Valparaiso, expérience qu’il renouvellera en 1957 et 1963 et qui donnera à l’histoire de la photographie quelques-uns de ses plus beaux clichés. Contacté par Henri Cartier-Bresson au cours de travaux en Angleterre, il rejoindra la prestigieuse Agence Magnum.
Valparaiso, 1952 – cliché de Sergio Larrain
CC BY-ND santiagonostalgico
Sergio Larraín, c’est avant tout un style. « Il a tout l’air du photographe accidentel. Il a tout l’air du photographe joueur. Il a tout l’air de l’enfant chilien déchaîné[2]. », écrira Horacio Fernández. Mais qu’on ne s’y trompe pas, cet apparent dilettantisme cache un grand sérieux. Car la photographie procède avant tout d’une attitude[3] : « On obtient une bonne photo uniquement lorsqu’on fait ce qui nous intéresse vraiment, c’est-à-dire, choisir soi-même ses thèmes… Dessiner avec un crayon et un bloc est la meilleure manière d’entrer dans un thème… travailler sans regarder au temps, durant des mois, des années, jusqu’à sentir qu’on a réussi… c’est cela qui donne des photos qui se tiennent… en général, les travaux de commandes ne donnent pas de photos véritablement bonnes… c’est comme la poésie, on doit faire ce qu’on aime. Rien de plus… »
C’est donc tout aussi bien un art poétique qu’un art de vivre : « Pour faire une bonne photo, il faut partir de bonne humeur le matin à l'aventure, en marin qui hisse sa voile. Errer, regarder, dessiner et regarder encore, jusqu'à ce que l'on sorte du monde connu pour entrer dans ce qu'on n'a jamais vu. C'est alors que les images apparaissent. » [4] Il s’agit donc d’entrer dans un regard nouveau sur la réalité qui nous entoure et cela demande un certain héroïsme, celui de la gratuité. Seule cette disponibilité exigeante permet cet état de grâce que le public reconnaîtra spontanément : « J’ai commencé à Valparaiso, parcourant les collines jour et nuit. La petite fille descendant un escalier fut le première photo magique à venir d’elle même. Une bonne photo naît d’un état de grâce, et la grâce se manifeste d’elle-même, une fois que nous sommes affranchis des conventions, libre comme un enfant qui découvre la réalité pour la première fois. »[5]
A partir des années 80, et jusqu’à sa mort, il se retire pour se consacrer à la méditation dans la vallée de Limarí (Chili). Les protagonistes du romancier Marcelo Simoneti[6] se mettent en quête du photographe qui aurait pris, dit-on, un portrait de Dieu. Cette légende moderne traduit l’intensité spirituelle de son regard : « Quand quelqu’un regarde, il aime. C’est alors qu’il y a de la joie et de la vie.[7] »
Pour découvrir les clichés de Sergio Larraín :
Site de Magnum photos
[1] Dans une lettre de 1982 dirigée à son neveu Sebastián Donoso il écrit : « En premier, lieu, avoir une machine qui plaît, celle qui plaît le plus, parce qu’il s’agit d’être satisfait de ce corps, de ce qu’on tient dans ses mains. » http://www.youtube.com/watch?v=IhboMzLqP8g
[2] Horacio Fernandez, The Latin American Photobook octobre 2011
[3] Dès lors, il n’est pas étonnant que David Hurn explique : « La théorie de Larraín était qu’on pouvait dire si un photographe était bon ou pas, en le regardant travailler, simplement à son attitude et à sa façon de faire. » [4] Sergio Larrain cité par Luc Desbenoit, in Télérama, 15 février 2012
[5] http://lejournaldelaphotographie.com/entries/5575/the-death-of-sergio-larrain
[6] Marcelo Simonetti, El fotógrafo de Dios. Editorial Norma, 2009, p. 176.
[7] Gonzalo Leiva Quijada, Sergio Larraín. Biografía / estética / fotografía, Ediciones Metales pesados, Junio de 2012.
Merci Denis, pour nous faire connaître ce "photographe de Dieu…" Ce dernier, ne serait-ce que dans cette photo de "cette petite fille descendant un escalier" de Valaparaíso, nous comble les yeux et l'âme… nous conduit vers plus grand… nous donne soif de contempler toujours plus loin…
Comme je m'imagine cette petite fille descendant un escalier…puis ces interminables ruelles…Les escaliers qui montent et qui montent…et tu " Erres, regardes, dessines et regardes encore, jusqu'à ce que l'on sorte du monde connu pour entrer dans ce qu'on n'a jamais vu !!"
Jamais on finis de chercher jusqu'au plus petit détail! Merci Denis et VIVA CHILE !!