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La Pologne à l’heure de la mondialisation… et des JMJ

Interview de François Martineau.

Le Pape François a provoqué une explosion de joie des jeunes polonais réunis à Rio en annonçant les prochaines JMJ à Cracovie en 2016. Le pays et la ville du Bienheureux fondateur de ces rencontres internationales, le Pape Jean-Paul II, se préparent dès maintenant à accueillir des millions de jeunes. Qu'en est-il de l'histoire et de l'actualité de ce pays d'Europe dont on parle beaucoup moins, dans les médias, qu'aux jours glorieux des manifestations de Solidarnosc ? François Martineau, étudiant français à Cracovie depuis 2 ans, a accepté de témoigner de ce qu'il y a découvert.


Des enfants en costume traditionnel polonais © Points-Cœur

Que dirais-tu sur la Pologne s’il te fallait la présenter en peu de temps ?

Je suis arrivé en septembre 2011 dans ce pays, totalement inconnu de moi jusqu’alors. Mon but est de devenir interprète-traducteur d’ici quelques années. La première chose que je retiens de mes rencontres et de mes études, c’est à quel point au-delà de la simple langue, il existe une véritable « identité polonaise ».

C’est un pays à l'histoire particulièrement chargée. Après avoir prospéré avec la Lituanie pendant la Renaissance, la Pologne a subitement été rayée de la carte durant 6 générations successives (de 1795 à 1919), déchirée et occupée par 3 grandes puissances rivales (Russie, Prusse, Autriche), où toute promotion de la culture polonaise était prohibée. Et pourtant, toute cette période a été ponctuée d’insurrections populaires visant à retrouver l’unité de la Pologne. Et ce, jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, où le pays obtient d’être à nouveau réunifié. Cela a toujours été intrigant pour moi, de comprendre comment ce peuple a pu garder cette flamme aussi longtemps…

Au-delà même du patriotisme et de la fraternité qui découle de ce vécu commun, je découvre donc une véritable identité polonaise. D’une part, le pays est aujourd’hui encore très attaché à ses traditions, sa langue, sa monnaie, il est fier de ses Chopin, Mickiewicz, Szymborska, Marie Curie, Copernic, Jean-Paul II… D’autre part, ce qui pour moi caractérise le polonais, mais peut-être les peuples slaves en général, c’est l’intérêt qu’il porte à la recherche de la vérité, et par là, la profondeur de son regard sur la réalité. Là encore l’histoire en témoigne. L’illusion des propagandes communistes d’après-guerre n’a décidément pas passé l’épreuve du temps en Pologne. Très vite les intellectuels et les ouvriers polonais y ont démasqué un système qui ne respectait pas leur exigence de vérité. Beaucoup d’entre eux ont osé sacrifier leur vie dans ce combat contre le parti, qui paraissait pourtant dès le début perdu d’avance.

Aujourd’hui, les combats politiques acharnés se sont atténués, même s’il est bien possible que la corruption et la propagande soient encore bien présentes. Et pourtant la capacité d’un polonais à approuver la vérité quand il la rencontre, à la distinguer d'un discours empreint d’idéologie, est dans l’ensemble restée intacte, je crois.

Quels sont les défis que doit relever le peuple polonais aujourd’hui ?

Il me semble que la jeune génération actuelle est une génération qu’on pourrait qualifier d’« inédite ». La Pologne n’a jamais eu affaire à un tel contexte par le passé. Personnellement, je comparerais la nouvelle génération à celle qu’a connue la France à la sortie de la guerre, pionnière des trente glorieuses. Elle a vaincu l’oppresseur, elle peut enfin mettre en action ses potentialités. Une génération qui a développé ses industries, qui a « réussi », mais qui, de ce fait, aura délaissé une partie de ses exigences profondes de vérité, de charité, de liberté aussi (tout du moins, aura fait contre-sens sur ces exigences).

Par exemple, l’ouverture à l’Europe permet aux jeunes de voyager, de découvrir le monde entier, d’autres cultures, de véhiculer à toute vitesse toutes sortes de nouvelles idées, en bref, d’entrer dans l’immense cyclone de la mondialisation : libre-circulation dans l’espace Schengen, délocalisation des entreprises vers la Pologne, développement progressif du tourisme, publicités envahissant les rues, internet, le téléphone portable. Si une personne regardait des photos de l’ensemble de la galerie commerciale de Cracovie, il ne pourrait pas deviner dans quel pays il est ! Presque aucun mot polonais n’y figure !

Au fil de mes discussions avec des polonais, jeunes ou moins jeunes, j’ai l’impression d’être parfaitement capable de deviner si cette personne a déjà fait un séjour long dans un « pays occidental », ou pas… Cette impression est assez déstabilisante pour moi qui suis français, car certains de ces discours m’apparaissent un peu « importés de chez nous », et de fait, ne sonnent pas très juste dans le paysage polonais, au regard de leur culture et de leur histoire.

Bref, le défi, selon moi, c'est celui d'accueillir le développement qui se prépare, et la mondialisation inéluctable, tout en préservant son identité propre.

Qu'est-ce qui, selon vous, pourrait permettre de répondre à cet enjeu ?

La Pologne est très enracinée dans la foi héritée de l’Eglise catholique de Rome, et ce depuis le « baptême de la Pologne » de l’an 966. Mille années de chrétienté ! C’est entre autres pour cela que le patriotisme en Pologne va de pair avec la consécration du pays à la Vierge Marie.

La foi a accompagné tous les grands événements de l’histoire du pays. L’évangélisation des voisins conquis, mais aussi le renouveau artistique de la Renaissance, les insurrections contre les puissances mentionnées plus haut, la résistance contre l’occupant lors de la seconde guerre Mondiale, jusqu’à la lutte active et périlleuse contre le communisme (ne citons que Jean-Paul II et Jerzy Popieluszko). L’histoire douloureuse de la Pologne n’a cessé de montrer que l’Eglise a été « compagnon de douleur » du polonais, qui « ploie sous le poids du fardeau » ; toujours elle promeut la recherche de la Vérité, même dans un océan de propagande, de mensonge et de corruption. Ainsi, du côté de l’oppresseur, l’anéantissement de la résistance polonaise passait immanquablement par la destruction de la tradition catholique.

Avec la chute du communisme, l’Eglise n’a pas arrêté de proclamer le message d’espérance qu’elle a toujours transmis. Seulement, en parallèle, les portes se sont ouvertes sur le monde occidental à une vitesse supersonique. Là se situe le nouveau défi qui attend l’Eglise en Pologne. Ce n’est évidemment pas un mal en soi, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. L’adversaire a toujours été clairement identifié par le peuple dans son ensemble, car il réprimait ouvertement. Mais à présent le serpent a mué, on attaque l’âme d’un polonais non plus avec la répression, mais avec la séduction de la mondialisation. La tradition qui a préservé la Pologne dans ses heures sombres semble trouver de moins en moins d’écho auprès de la population, qui se laisse volontiers attirer par le goût du confort, la mode, les courants de pensée proprement occidentaux comme l’émancipation à tout prix, l’autosuffisance, les revendications de plus en plus capricieuses… Cette nouvelle réalité doit être prise en considération par l’Eglise aujourd’hui, pour qu’un polonais n’abdique pas de son exigence de vérité malgré les paillettes qui s’agitent autour de lui.

 

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