Fadi Massoud 22 août 2013
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Dans un twitt du 18 août, le député Jean-Frédéric Poisson allait à contre-courant de la position occidentale habituelle en disant : « Egypte : la France doit soutenir l'armée ». Il n'est pas le seul à affirmer cela. Il fait notamment écho au père Henri Boulad, jésuite égyptien, témoin privilégié des événements qui se passent dans son pays depuis deux ans et qui reproche à l'Occident de miser sur "le mauvais cheval" en soutenant les frères musulmans. Voici quelques-unes de ses principales réflexions sur la situation actuelle.
CC BY Gigi Ibrahim
« Le mauvais cheval » : cette expression revient de plus en plus souvent sur les lèvres du père Boulad, directeur du Centre culturel jésuite d’Alexandrie, ancien vice-président de Caritas Internationalis pour le monde arabe. « Assez de votre naïveté, celle qui a fait choisir à l’occident, à l’Otan et aux Etats-Unis le mauvais cheval des frères musulmans et vous avez cherché à l’imposer au peuple égyptien ! ». Puis souvent : « Laissez-nous, laissez-nous en paix, traiter nos problèmes ».
Plus loin, « Vous avez choisi de réduire le grand soulèvement populaire égyptien contre le terrorisme d’Etat de Morsi et des frères musulmans à un coup d’Etat de l’armée ». « Jamais vous n’avez parlé des milliers d’arrestations en un an au pouvoir, des assassinats, des humiliations systématiques pour les minorités, particulièrement chrétiennes, les exactions, le vandalisme », se plaint-il encore. « Qui d’entre vous parle des signes apposés sur les bâtiments chrétiens, des modifications à notre Constitution allant contre la tradition égyptienne, contre l’âme de notre peuple, des tentatives d’imposer la Shari’a ? »
Voici une interview et un article du père Boulad. Derrière ses réflexions parfois abruptes, point un cri lancinant, celui d’un égyptien refusant de voir son pays pris en otage à cause de calculs géopolitiques cyniques, refusant également de subir l’information stéréotypée des médias occidentaux – si souvent perçue comme une nouvelle forme de colonialisme. Au-delà de ce cri de dénonciation, de son extrême lucidité contre les dangers de l’intégrisme musulman, le père témoigne aussi d’un magnifique amour de son pays. Il nous offre un bel exemple d’une contribution chrétienne, d’un jugement responsable.
Interview
Sur les frères musulmans, à noter une intéressante contribution universitaire (datant un peu mais utile pour une vision d’ensemble) : Fabrice Maulion, Université Panthéon-Assas – Paris II, sous la direction de Xavier Raufer (Diplôme universitaire de 3ème cycle, Département de Recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines, décembre 2004) :
http://liguefrancilienne.files.wordpress.com/2013/02/organisationfreresmusulmans.pdf
Je ne pense pas que l'Occident fasse preuve de laxisme vis à vis des islamistes: l'Amérique a fini par "avoir" Ben Laden et la France a fait ce qu'elle avait à faire au Mali. Mais l'Occident est perplexe et on peut le comprendre: il est sommé d'abattre en Syrie un régime qui sera probablement remplacé par un pouvoir islamique; dans le même temps il lui est demandé de soutenir le renversement d'un régime islamisant en Egypte. J'ai rencontré il y a peu de temps le père jésuite Naguil Gabriel, actuel directeur de la Caritas égyptienne. Selon lui, nul ne peut dire de quoi demain sera fait, et il est d'une grande prudence face à la situation actuelle.Il faut combattre l'islamisation de la société du régime Morsi, mais on ne peut pas appuyer sans réserves les méthodes employées par l'armée égyptienne pour réprimer toute opposition. Le Proche-Orient a toujours été une poudrière de contradictions dans laquelle les efforts de paix des Occidentaux leur ont surtout valu des déboires.
Efforts de paix des Occidentaux ? Tant de naïveté me confond ! Tentatives d'imposer un ordre du monde qui convienne au grand marché mondial de moins en moins bien dissimulé derrière un droit-de-l'hommisme conquérant et impérialiste, plutôt ! Il est étonnant de constater que la mascarade de la mort de Ben Laden (surmédiatisée, à la mesure de l'improbabilité du scénario) tienne lieu d'exemple pour illustrer les bonnes intentions d'un Occident pourfendeur des méchants…
"La France a fait ce qu'elle avait à faire", "l'Occident est sommé d'abattre…", "il lui est demandé…"… Mais par qui, quand et pourquoi, pour reprendre les fameuses interrogations revoltées de Barbara dans la chanson "Perlimpinpin" ? La neutralité moralisante du propos de BA, qui se veut sans doute d'une grande sagesse ("gardons-nous bien de juger, la situation est trop complexe"), cache en fait un a-priori révélateur : les interventions occidentales dans les pays du Moyen-Orient sont pleines de bons sentiments et au service des populations. C'est faux : le prétexte de la lutte contre l'islamisme aboutit, dans tous les exemples cités, à un renforcement de l'islamisme qui au fond est au service de l'Empire occidental : l'ennemi de choix pour occuper le devant de la scène médiatique pendant qu'il poursuit tranquillement son œuvre de destruction humaine par derrière. "La guerre, c'est la paix" : comme Orwell est d'actualité…
Mon interlocuteur me semble céder à la facilité. Les Français ont perdu 80 hommes en une nuit au Liban il y a 30 ans pour avoir voulu s'interposer entre les belligérants. Qui peut dire qu'il sait avec certitude ce qu'il faut faire au Moyen-Orient sans que cela débouche sur l'inverse de ce que l'on attendait ? Les lendemains y sont rarement ceux que l'on espérait: les ayathollas ont remplacé le shah en Iran, les Irakiens s'entretuent, des tentatives de démocratie en Egypte et en Tunisie envoient les islamistes au pouvoir… Même Henry Kissinger ne croyait plus à l'efficavité d'une politique volontariste au Proche-Orient. Il pratiquait une politique des "petits pas", reprise aujourd'hui par son successeur John Kerry dans le conflit palestinien.
Et si nous laissions simplement les peuples du Moyen-Orient maîtres de leur Histoire, comme le réclame légitimement le Père Boulad ? Quelles leçons avons-nous à donner, nous qui avons perpétré les plus grands massacres de l'Histoire ? Mais sans doute cela irait-il à l'encontre des intérêts économiques ocidentaux, qui se moquent bien de l'intérêt réel des peuples…
L'expression "empire occidental" est en effet à la mode depuis quelques années, de façon forcément négative, puisqu' apparament décadant face à une autre expression pas encore acceptable, mais d'une réalité émergeante qui serait celle d'un empire islamiste…?
Personnellement, en tant qu'occidental, je me sens légèrement dépassé, et je peux comprendre que d'autres chefs d'Etat le soient aussi…
Vous êtes donc chef d'État, Paulo ? ;-)