« Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante ». Le frontispice du Panthéon sur la colline Sainte Geneviève à Paris précise d’entrée les critères de sélection : mieux vaut être un homme qu’une femme pour reposer au Panthéon. Si depuis deux cents ans l’Etat français a déplacé en grande pompes les tombes de soixante-quinze personnalités ayant servi la grandeur de la France, seules deux femmes y sont actuellement : la chimiste Marie Curie qui a reçu deux fois le prix Nobel, et Sophie Berthelot, non à titre personnel mais pour ne pas être séparée de son époux le chimiste Marcellin Berthelot.
Pour rééquilibrer tant soit peu la parité, le gouvernement actuel cherchait à introduire une femme au Panthéon. Etaient pressenties Olympe de Gouges, la révolutionnaire féministe, George Sand, la romancière berrichonne, ou encore Lucie Aubrac, la résistante communiste. Finalement, deux femmes ont été choisies, qui n’avaient pas la faveur des pronostics. Toutes deux ont fait partie, lors de l’occupation nazie, du réseau de résistance le Musée de l’Homme, un des premiers mouvements de la Résistance Française et qui a eu la particularité de s’être constitué en une Société Littéraire « Les amis d’Alain-Fournier » pour ne pas attirer l’attention.
L’une de ces deux femmes n’est autre que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, par ailleurs nièce du Général de Gaulle. Il faut se réjouir du choix d’une personnalité aussi riche, aussi profonde, aussi lumineuse pour incarner l’esprit français au Panthéon, une femme d’exception ayant porté au plus haut les valeurs de l’humanité, une femme exigeante et ouverte ayant fait rayonner les valeurs universelles de partage et de don de soi, une femme dont la foi et la piété faisaient l’admiration de tous.
Geneviève de Gaulle-Anthonioz a courageusement pris part à la résistance pendant les quatre années d’occupation nazie, multipliant les actions de renseignements et d’informations. Arrêtée par Pierre Bonny, de la Gestapo française, elle est déportée au camp de concentration de Ravensbrück en février 1944. Elle a écrit un livre sur cette expérience : « La traversée de la nuit », écrit cinquante ans après sa libération et qui raconte sa vie en camp de concentration, soulignant l’entraide entre femmes.
En 1958, elle travaille au cabinet d’André Malraux quand elle rencontre un prêtre catholique, Joseph Wresinski, alors aumônier du bidonville de Noisy-le-Grand. Dans les souffrances des familles de ce bidonville qu’elle découvre, elle revoit, très marquée, celles vécues par elle-même et d’autres déportés. Elle aide alors le Père Joseph Wresinski à créer le Mouvement ATD Quart Monde pour rassembler, autour de la volonté de mettre fin à la misère, des femmes et des hommes de diverses appartenances confessionnelles, philosophiques et politiques, et de toutes origines sociales. Le mouvement ATD (Aide à Toute Détresse, devenu Agir Tous pour la Dignité Quart Monde) a pour objectif l’éradication de l’extrême pauvreté et comme principe fondateur de rendre ceux qui subissent cette situation les premiers acteurs de leur propre promotion. Le Mouvement ATD Quart Monde est présent et agit de nos jours dans vingt-neuf pays sur les cinq continents grâce à trois cent soixante-dix volontaires-permanents, plus de cinq mille alliés et militants du Quart Monde, cent mille amis ou correspondants. Geneviève de Gaulle-Anthonioz a œuvré pour le mouvement ATD Quart Monde dès le début. D’abord volontaire permanente, elle en est devenue présidente de 1964 à 1998, pendant trente-quatre années, faisant grandir l’ONG jusqu’à ce qu’elle acquiert son importance actuelle.
En tant que présidente d’ATD Quart Monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz est nommée en 1988 au Conseil économique et social (CES) en France, une assemblée consultative composée de représentants sociaux (patronats, syndicats, associations) qui peut être saisie par tout citoyen par voie de pétition, mais qui n’a qu’une fonction consultative, optionnelle ou obligatoire, dans le processus législatif. Le CES (devenu depuis le CESE pour Conseil économique, social et environnemental) s’est notamment déclaré incompétent en 2013 après la plus grande pétition citoyenne jamais obtenue en France rassemblant plus de huit cent mille signatures et demandant son avis sur la loi du mariage pour tous. Lors de son mandat au sein du CES, Geneviève de Gaulle-Anthonioz s’est battue pendant dix ans pour l’adoption d’une loi d’orientation contre la grande pauvreté, notamment en produisant un rapport retentissant sur l’extrême pauvreté en 1995. Reportée en 1997 pour cause de dissolution de l’Assemblée nationale, la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a été enfin votée en 1998. L’extrême pauvreté est un sujet concernant évidemment beaucoup Points-Cœur, qui a organisé sur ce thème deux conférences-débats en 2013 lors du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève.
Geneviève de Gaulle-Anthonioz a été la première femme à recevoir la grand-croix de la Légion d’honneur. Elle est maintenant la troisième femme à entrer au Panthéon. Sainte Geneviève y accueille une autre grande Geneviève.
Qu’une telle femme soit ainsi honorée ne peut que rendre unanimement fiers la France et le monde entier.
Bertrand Ducasse
Photo en page d'accueil : CC BY-SA Romanceor
Êtes-vous sûrs qu’elle aurait été d’accord ! Fervente chrétienne, croyant à la résurrection, elle doit trouver le panthéon bien païen !
Justement. Si elle est fervente chrétienne, elle ne peut pas ne pas vouloir continuer son apostolat au milieu des paiens…