"Père, vous me portez, et vous êtes en moi
même quand je demeure au-dehors de vous-même,
vous êtes là vivant, secret, et ce qui m’aime
quand je ne suis plus rien et même plus à moi…"
Photo : www.makotofujimura.com
Père d'or et de sel
à Notre Père et à mon père.
Père d’or et de sel, ô Père intérieur,
Père d’eau, Père pur par l’arbre et par le feu,
ô source du Soleil, Père mystérieux,
Père continuel et pur par la douleur,
ô Père fabuleux, ô Père par la nuit,
Père par le sommeil, la mémoire, et la mort,
Père tombé en terre et passé dans mon corps,
ô Père foudroyé dont mes os sont les fruits,
Père, vous m’incantiez, et vous étiez ma tour
quand je n’étais en moi que ce qui vous aimait,
quand je vivais en vous, vivant du seul amour,
je n’étais plus en moi que ce que vous étiez,
Père, la neige est là, et je dors sous ma chair,
je dors au fond du Père et je m’éveille en lui,
Père, la neige fond, la mer brûle et mûrit,
Père surnaturel, miracle de la mer,
Père, vous me portez, et vous êtes en moi
même quand je demeure au-dehors de vous-même,
vous êtes là vivant, secret, et ce qui m’aime
quand je ne suis plus rien et même plus à moi,
Père de ma douleur, Père de mon absence
vous êtes là vivant même quand je suis mort,
même quand je vous tue vous m’animez encor
et même dans mon mal restez mon innocence,
Père, quand tout est mort, et quand tout est dissous
dans le péché du monde et dans l’argile amère,
vous êtes encor là mon sens et mon mystère
comme un amour terrible, inépuisable et doux,
Père, malgré ma mort, c’est l’Esprit qui console,
qui relie à mon corps votre corps éternel,
c’est votre corps ouvert dans le corps maternel
qui fait de moi son sang, sa proie et sa parole,
Père, je nais ailleurs, je renais dans le pain,
je renais dans la vigne et dans le vin de Dieu,
Père, tu es ma bouche, et ma bouche est en Dieu,
ô Père d’arbre et d’or, ô Père souterrain,
Père de l’autre temps, Père du prochain Ciel,
je me retrouve en toi pareil à mon amour,
Père devant ma vie et derrière mes jours
je deviens avec toi le Père Essentiel !
Jean-Claude Renard, Père, voici que l’homme, 1955
Réédition:
Jean-Claude Renard, Père, voici que l'homme, Editions l'Escritoire (1998)
Cette prière est un petit miracle en soi. Que j'aimerais qu'elle me pénétre jusqu'à la moëlle, qu'elle entre comme l'onction par la tête, Qu'elle traverse mon palet et mon oesophage onctueusement, mieux que du nutella, qu'elle remplisse mon intestin chaleureusement pour irriguer mes veines jusqu'au coeur!!! Oh soyez bénis pour cette prière et celui qui l'a composée, car en vérité cela me fait du bien, en ce moment ou ma chaire se meurt.