Depuis juillet 2011, Mgr Jean-Claude Hollerich est archevêque du Grand-Duché du Luxembourg. Avoir été missionnaire au Japon l’a préparé à cette mission ardue. Dans un entretien exclusif pour Terre de Compassion, en trois parties, il nous dévoile son parcours et son engagement pour une Eglise missionnaire.
Un parcours universitaire et missionnaire
Monseigneur, pourrions-nous retracer votre parcours ?
Mon parcours est très simple, après le bac en fin d’études secondaire au Luxembourg, je suis devenu séminariste pour le diocèse et l’Evêque m’a envoyé à Rome pour faire des études. J’y ai donc passé trois années au collège germanique à la grégorienne et après trois ans, j’ai décidé de quitter Rome et d’entrer dans la Compagnie de Jésus. J’ai fait toutes les démarches à Rome, et en septembre 1981 je suis entré au noviciat en Belgique près de Namur. J’ai fait 2 ans de régence (stage paroissial chez les jésuites, ndr) au Luxembourg. J’ai enseigné la religion dans une école catholique de filles à Luxembourg-ville, puis j’ai été à la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne) et aux communautés de vie chrétiennes. Et déjà, au noviciat, j’avais demandé de pouvoir aller au Japon. Mais on m’avait répondu de patienter.
Pourquoi le Japon ?
C’est très drôle, j’avais reçu une lettre d’un très bon ami qui avait été avec moi au collège germanique. On est entré en même temps dans la Compagnie de Jésus. Il a fait son noviciat à Innsbruck en Autriche où il reçut la visite d’un père de la province japonaise qui faisait sa propagande pour le Japon. Il m’a alors écrit en disant : « lorsque j’ai entendu ça, je me suis dit ça ce serait quand-même bien pour Jean-Claude. » Ma première réaction a été de dire : « mais qu’est-ce qui lui prend ? Il pourrait y aller lui-même au lieu de me dire que ce serait quelque chose pour moi ! » Mais le lendemain quand je me suis réveillé j’étais plein de joie et cette joie a perduré. Alors j’ai écrit à Rome pour faire part de mon désir. Le provincial m’a dit d’attendre et m’a envoyé au Luxembourg pour une année de régence. Après la première année de régence, il m’a appelé et m’a dit : « oublie le Japon. A l’avenir tu seras à Luxembourg comme père spirituel pour les prêtres et les séminaristes ». Je voulais accepter cela dans l’obéissance, mais quand je revenais à la prière, le Japon revenait tout le temps. Alors j’ai écrit au Père général en lui disant : « je pense que le Seigneur m’appelle au Japon, mais mon provincial pense que c’est le Luxembourg. » Alors j’ai reçu une réponse immédiate: « ce n’est ni le Japon, ni le Luxembourg, fait une deuxième année de régence et puis on verra ». Et puis il n’y a plus rien eu.
Mais en juillet, je reçois une lettre du supérieur général qui disait : « ton école de langue à Tokyo commence en septembre. » Alors je suis parti.
Cela se passait en quelle année ?
En 1985. J’ai fait une année et demie de langue japonaise, puis j’ai continué la théologie en japonais. Je suis revenu en Europe en 1989, à Frankfort, en Allemagne, pour terminer ma théologie.
Ensuite, entre 1990 et 1994, j’ai fait 4 années à Munich où j’ai étudié la science des langues. Alors je suis reparti pour le Japon. Durant ces 4 années, j’étais en même temps responsable de la pastorale des vocations pour le diocèse du Luxembourg. On avait une année propédeutique au séminaire. J’étais dans l’équipe.
Après cela, je suis retourné au Japon. La première année j’ai enseigné à l’université. J’ai fait toute la carrière comme cessing professor, pre-professor, puis je suis devenu chef de mon département, chef de l’Institut européen de l’université, puis, à la fin, vice président et recteur de l’université Sophia. En même temps j’ai été directeur du centre culturel de l’université et deux années supérieur d’une petite communauté très pauvre et deux années aussi supérieur du scolasticat, une communauté de formation. Et je dois dire que j’y étais très heureux. Ça m’a donné beaucoup de plaisir de faire ce travail. Durant quelques années, j’ai aussi été pasteur de la communauté germanophone à Tokyo.
Un regard sur le Japon
Quel est le regard que vous posez sur le Japon d’aujourd’hui ?
Le Japon a beaucoup évolué pendant cette période. Au début, c’était le pays miracle de l’économie. Tout le monde venait pour voir comment faire. Mais ça a complètement changé. Le Japon est devenu un pays plus normal. Et c’est une société postmoderne, la société postmoderne par excellence. L’individualisme est très important, contrebalancé par un certain confucianisme, qui est aussi en train de se perdre dans la société japonaise. C’est devenu une société presque sans religion. Il y a un sens religieux qui reste, il n’y a pas d’athéisme, mais il n’y a plus de religion. Les étudiants ne sauraient même pas me dire à quelle branche du bouddhisme ils appartiennent. Si quelqu’un meurt, il faut demander à l’arrière-grand-mère pour savoir quel bonze il faut faire venir pour l’enterrement. C’est une sécularisation plus avancée que l’Europe. On voit ce qu’est une société où l’économie domine toutes les parties de la vie. En ce sens c’est une bonne préparation pour l’Europe parce que l’Europe est en train d’aller dans cette direction.
Dans ce monde il faut annoncer l’Evangile. Ce qu’on a fait au Japon, il faut le faire maintenant à Luxembourg.
Quels traits caractéristiques de la culture vous ont le plus frappé ?
L’individualisme devient plus fort mais il est quand-même réduit comparé à l’Europe. Je me rappelle une des expériences fondamentales que j’ai faite. J’ai rendu visite à un jardin d’enfants. J’ai pris un petit dans mes bras que j’ai jeté en l’air. Il a adoré ça et tout le monde voulait faire la même chose. J’étais le seul adulte, alors automatiquement ils se sont mis en rangée. Le petit a souri, il est retourné se mettre à la file. On est beaucoup plus respectueux au Japon. C’est ça que je retiens. Et puis on se querelle beaucoup moins. Comme on vit sur un espace beaucoup plus réduit qu’en Europe et que les familles vivent très à l’étroit, il ne faut pas blesser les gens. C'était la même chose autrefois quand les gens cultivaient le riz dans les villages : il fallait travailler ensemble autrement on ne pouvait pas survivre. Donc il y a toujours un grand respect de l’autre. Il ne faut jamais faire perdre la face à quelqu’un, il faut que tout le monde avance. Dans les écoles, il y a des examens très sévères pour entrer. Mais une fois qu’on est entré, on ne redouble pas, tout le monde doit avancer.
Par ailleurs, au Japon, on travaille beaucoup plus. Et j’ai parfois l’impression qu’en Europe, on est devenu paresseux. Et les gens n’y vivent plus que le week-end. C’est très drôle parce qu’on vit seulement 2 jours sur 7. Les japonais travaillent plus, mais ils vivent en même temps.
Enfin, ils réussissent à toujours améliorer les choses. Quand on fait quelque chose, on fait une évaluation, on tâche de perfectionner ce qu’on a fait et tout le monde participe à cela.
Vous étiez missionnaire et professeur, comment viviez-vous l’évangélisation là-bas ?
Cela se passait surtout par un apostolat de l’amitié et des voyages. J’avais tout d’abord mes étudiants. Au début, j’ai surtout donné des cours d’allemand. C’était très bon pour communiquer. J’ai toujours eu beaucoup de jeunes qui voulaient aller plus loin. J’ai fait avec eux des soirées, on est allé boire un verre de bière, on a fait des voyages, j’ai toujours aidé les meilleurs étudiants et les plus faibles. Je donnais des cours particuliers pour les plus faibles afin qu’ils ne ratent pas leur année, quant aux meilleurs je les aidais à voir encore plus loin. Et c’est surtout avec ces deux groupes que j’ai eu de très bons contacts. Après une année, ils me demandaient : « pourquoi est-ce que vous êtes venu au Japon ? Qu’est-ce que ça veut dire être prêtre ? Pourquoi est-ce que vous n’êtes pas marié ? ». Cet intérêt est parfois allé jusqu’au baptême. J’ai quand-même eu la joie de baptiser chaque année deux ou trois de mes étudiants. Comme j’étais aussi pasteur de la paroisse germanophone à Tokyo pendant mon temps libre, je disais à mes étudiants que c’était bon de m’y accompagner pour écouter de l’allemand. Certains ont mordu. C’était très beau. J’aurai bientôt la visite d’un étudiant que je n’ai pas baptisé car je n’étais pas encore prêtre, mais je suis devenu son parrain. Avant son mariage, sa femme est devenue chrétienne. C’est beau. On voit que l’Eglise est en train de croître.
J’ai bien aimé enseigner. L’enseignement me manque un peu, également le monde des jeunes, mais mon identité première, c’est d’abord d’être prêtre et missionnaire.
(A suivre… Dans la suite de l’entretien, Mgr Hollerich évoque les défis de la société occidentale à la lumière de son expérience au Japon ainsi que les enjeux liés à l'actuelle séparation de l’Eglise et de l’Etat au Luxembourg).
Propos recueillis par D. Cardinaux
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