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Conseils à un jeune poète par Osvaldo Sauma

Depuis le 13 juillet, le festival international de la poésie bat son plein à Medellin en Colombie. Nous avons rencontré le poète costaricain Osvaldo Sauma. Il nous partage un constat. Est-ce par un décret de la Providence ou par hasard ? Il est poète par état de fait. Il sculptera donc ses vers dans le bois des jours pour rendre compte de l’insaisissable état des faits. 

De gauche à droite : Analia Pasquali et Osvaldo Sauma

Le poète, un aveugle obstiné

« Je crois que c’est Henry Miller qui a dit qu’un écrivain est écrivain durant les 24 heures de la journée, parce que tout ce qu’il fait ou vit vient nourrir ses écrits. Il ma aussi enseigné que "vérité et précision" étaient le chemin, le chemin d’un "aveugle obstiné", dont les hétéronymes de Fernando Pessoa auraient pris la main.

Je dis cela parce que cette tâche m’est venue par décret de la providence ou par hasard. Je n’ai pas été l’artisan de l’entrelacs de circonstances qui m’ont conduites à être ce que je suis maintenant. Ce n’est pas non plus parce que j’aurais étudié ou lu beaucoup, ni parce que, comme d’autres, j’aurais commencé très tôt à "raturer les pages du silence"…

C’est plutôt que les faits sont survenus sans que je m’en rende compte, pour tenter ainsi d’exprimer les choses.

Ce qui arrive, arrive

L’artiste ne se sent pas différent. C’est la société qui le différencie. A un moment donné, vers l’adolescence, elle lui donne un grand coup de coude et lui dit : "vous n’êtes pas des nôtres". Il reste alors avec cette commotion qui lui fait mal aux côtes. "Être poète, en effet, c’est souffrir d’une douleur permanente au côté. " comme le dit le poète colombien Jaime Jaramillo Escobar.

C’est venu par décret ou parce que j’ai toujours été quelqu’un de seul depuis l’enfance. Dans mon cas, il ne s’est pas agit d’une planification. Les faits se sont succédés et je ne sais dire si c’est par nécessité, causalité ou hasard. Et c’est pour ça que je m’accroche à ce proverbe arabe avec lequel je chemine : "ce qui arrive, arrive, et c’est tout. "

Carlos Raspo m’a appris à étudier

Le fait d’avoir été à l'université a été important pour réveiller cette autre voix, la voix de la poésie, et cela arriva à la fin de l'année scolaire lorsque surgissent les prémices de ce qui serait le début de "ce travail d’aveugle obstiné" comme le disait Fernando Pessoa.

Le maître de cette voix, mon compagnon de cours Carlos Raspo, m’a enseigné à étudier, chose que je n’avais jamais apprise. Il s’avère qu’il a été aussi un guide pour le poète inconnu qui vivait caché au fond de moi.

Deux livres qu’il me prêta m’ont marqué de manière indélébile : Lettre d’un vermisseau à Jésus Christ, de José María Gironella, et Une bulle dans les limbes de Fabián Dobles. Le fou Ríos, personnage central du roman de Fabián, deviendra pour moi une icône de cette nouvelle vie, de cette nouvelle perception du monde.

Sculpter des anges, chercher l’autre soleil

L’esprit rebelle de ce jeune confronté à l’ordre établi (aux professeurs qui pensaient que l’intelligence rentrait par les coups), trouvait son bonheur dans les prairies, mais surtout en sculptant des anges dans les branches de café. Il deviendra le symbole et le héros de mon avenir.

Une fois que j’avais émergé de cette bulle dans les limbes, il n’y avait plus désormais de repos pour mon esprit. Devant mon incapacité à tailler des anges dans le bois, je me suis mis à imiter le meilleur de Manuel Ríos qui s’accrochait à l’habitude de faire des vers, à cette cécité obstinée qui cherche un Soleil moins trouble entre les nuages.

Chasseur à qui la proie échappe

J’ai commencé à travailler seul et en silence, sans partager ce que j’écrivais avec mes amis du quartier qui ne voyaient pas d’un bon œil ces « trucs de pédé ».

Puis un jour, un poète me fit appeler et publia trois de mes poèmes dans la revue culturelle Abánico de la « Presse libre ». Il écrit dans la présentation : "Un jeune qui essaye de trouver sa propre voix, son accent, son propre ton poétique. Les images littéraires que réussit ce jeunes écrivain, dont certaines ont l’éclat insoupçonné de la pierre brute, dénotent une profonde sensibilité, une grande spontanéité et un désir véhément de transcendance".

Me lire sur des pages imprimées a accru mon engagement envers le travail poétique. "Je suis un chasseur furtif, à qui la proie échappe presque toujours, bien que les scintillement d’une dictée soudaine aient pu servir à ce que quelqu’un se lise en moi" »

Felipe Rojas, Analia Pasquali, Osvaldo Sauma et sr Anne Beneteau

 

Conseils à un jeune poète
 
il ne suffit pas de grimper
les croupes de Satan
le ciel n’est pas ici
mais très au fond de toi
être astucieux ne donne pas
la chétive immortalité
elle ne t’obtient que la célébrité
 
ne te trahis pas
ne te laisse pas séduire
par les feux pourpres
que répandent les poètes officiels,
            ils te videront de ton sang
 
ils feront de toi
un arrogant à leur manière
ils t’enseigneront à trafiquer
les influences nécessaires
 
ne dis pas « haquenée » au lieu de cheval
que leurs applaudissements ne te tentent pas
dis saloperie de cailloux
comme Jaime
lorsque tu trébuchera sur l’un d’eux
et qu’il ne te vienne pas à l’esprit de chanter
comme les autres poètes modernes
ceux des Astéroïde, aster hyaloïde, ah cet Eros hydre
la gueule de l’astre
met bas couleurs couleuvres, etcétéra.*
*Jaime Sabines
 
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