Home > Arts plastiques > Une chapelle pour fêter la compassion

C’est marquée par l’histoire récente de l’Ukraine que Natalia Satsyk à répondu à l’invitation de peindre la chapelle du Point-Cœur de Vienne pour les 25 ans du Mouvement. En ce 15 septembre, cette aventure nous mène au pied de la Croix et au cœur de la mission de l’artiste : « ne dors pas, ne dors pas, artiste, ne t’abandonne pas au sommeil… Tu es l’otage de l’éternité, le prisonnier du temps… » Pasternak.

© Aude Guillet

L’ensemble est constitué de plusieurs icônes. Le Christ en gloire est placé juste au-dessus du tabernacle sur lequel est représenté l’Agneau pascal, entouré de part et d’autre par les anges de l’Eucharistie. Autour du chœur sont disposées deux représentations de la Croix.

J’ai aussi vécu beaucoup de crucifixions

Natalia Satsyk a choisi de diviser le mystère de la Croix : d'un côté, Marie au pied de la Croix, debout, entourée des femmes. De l'autre, Saint Jean, seul devant le crucifié. Deux missions, l'une féminine, l'autre masculine. Deux manières d'aimer le Christ, deux réponses d'une même humanité devant un même mystère : « Avec douleur nous regardons la croix mais c’est seulement le début : car la croix nous donne la foi, le nouveau testament, l’Église, le salut, une autre vie. Par elle, la mort a fini d’être la fin et c’est le lieu où nous sommes rachetés. J’ai peint beaucoup de crucifixions, différentes ; une certaine souffrance est visible dans le visage de mes icônes. J’ai aussi moi-même beaucoup vécu de crucifixions intérieures. »

Photo © Aude Guillet 

L’artiste voulait représenter une crucifixion « achevée », où le Christ est presque déjà élevé de terre, d’où la transparence presque aérienne de son corps et ses bras en croix qui sont comme des ailes. Dans le tableau représentant saint Jean, c’est le Christ qui nous console : « Jésus vient à nous lorsque nous perdons le sens de la vie, un fils, un ami : il vient à nous de manière invisible, il n’est plus là sur terre mais dans la Gloire où il peut faire plus pour nous : il est présent non pas avec une présence corporelle mais avec son amour. »

De Maïdan au sanctuaire

Natalia Satsyk a une manière toute particulière de vivre sa mission, marquée par un esprit d’enfance : « Il faut faire confiance à Dieu : écouter ce que Dieu veut et lui faire confiance, ne pas regarder ses propres désirs. Dans la recherche artistique, tu veux toujours être « autre », créer quelque chose que personne n’a fait avant, mais quand tu cherches vraiment Dieu tu essayes de t’oublier, de parler de Lui et avec Lui : tu essayes de le voir, de le comprendre. Tu n’es plus le centre !  Servir celui qui a pensé le travail et faire ce qu’il demande. »

Un des anges de l'Eucharistie, Natalia Satsyk, Chapelle de Vienne, 2015, photo © Aude Guillet 

Cette disponibilité intérieure la conduit au cœur de la réalité. Il semble que rien de ce qui se passe autour d'elle ne puisse la laisser indifférente. Son récit de la genèse du travail en témoigne : « Quand il y a des difficultés, tu es plus près de Dieu, car tu cherches quelqu’un pour ne pas être seul, pour partager ta douleur. Je suis heureuse qu’après avoir vécu cette situation difficile de l’Ukraine, je puisse savoir où aller. Pendant les évènements de Maïdan, je savais que le seul lieu où nous pouvions aller nous réfugier, c’était dans le sanctuaire (la partie sainte, le chœur de l’église) : j’ai compris à ce moment là que c’est le dernier lieu où l’on peut aller, au-delà duquel il n’y a plus d’autre refuge, ni d’autre signification. Parce que c’est le lieu de la Présence. C’était donc très significatif pour moi de peindre pour le sanctuaire de la chapelle, le lieu où est célébré l’Eucharistie : le lieu où le Christ se donne lui-même. Je ne pensais pas que le résultat serait ainsi. Je suis reconnaissante au père Clément qui m’a demandé ce travail. Il a essayé de me comprendre et pas de me lier. J’ai essayé de rendre ce qui est le plus important dans la Liturgie. Mais ce n’est pas seulement mon travail : d’autres m’ont aidé à l’accomplir par un conseil, un service, une parole, un regard. Ils ont été présents auprès de mon travail. » Ainsi, la réalisation de la chapelle de Vienne fut une célébration de la Présence et de l’amitié qui permit de transmettre cette profonde synthèse de la souffrance et de la Gloire. 

Texte : Aude Guillet et Denis Cardinaux

Chapelle du Points-Coeur de Vienne, © Aude Guillet 

 

Méditation à deux poumons alternatifs devant les icônes de Natalia Satsyk

Marie au pied de la Croix, Natalia Satsyk, chapelle du Points-Coeur de Vienne, © Aude Guillet 

Marie semble absorber toute la douleur. Le Christ est là, devant elle, sa présence rayonnante domine le tableau. Il semble émaner du blanc, de la gloire. Quelque chose rayonne déjà de la victoire. Mais Marie est absorbée dans l'intériorité de sa présence dans l'intériorité de la couleur du sang. Dans le silence de la couleur de l'amour. 

Jean, est tendu vers le Christ. Il ne demande même plus pourquoi. La douleur est trop grande. Il préférerait de beaucoup être à la place de l'Ami, mais il doit se contenter d'être le témoin de son agonie. Cela lui est insupportable. Pourtant, il ne devra pas connaître cette forme de martyre, il devra vivre, porter l'Eglise dans cette mission d'attente, de pénitence silencieuse, de contemplation amoureuse. Il devra boire ce calice, promis par le Christ, mais d'une toute autre manière que ses frères. C'est le lent martyre de l'amour. 

Marie est entourée d’un groupe de femmes. Elles lui sont unies dans la couleur. Elle est l'Eglise, la part féminine de l'Eglise, la figure devancière, le premier oui, l'impulsion passive et aimante de l’Histoire commençante. Cette inauguration débute dans les douleurs qui accompagneront la naissance de chaque âme. Elle est là, immobile, presque immuable, mère et sage-femme.

Jean est seul, mais rien de ce qu’il vit ne se réalise sans Marie, c’est une solitude qui naît de la communion. C’est une communion qui mène à la solitude. A la solitude et au silence du cœur à cœur. Tout se réalise désormais dans le sein de Marie qui le dispose à entrer dans cette relation nouvelle avec le Christ. Jean est seul. Il est le sacerdoce. La solitude devant le Seigneur. Il est engendré par le regard du Père qu'il reçoit dans le regard du Christ. Il est devant le Christ comme le Fils est devant le Père. Il doit s'offrir lui-même et ce faisant, il offre le péché de tous. Le Christ semble vouloir descendre de la Croix pour le soutenir, comme pour conférer à sa mission la lumière éternelle d’un amour consommé, pour le placer, lui, Jean, sur la Croix glorifiée, par une identification d'amour accomplie dans l'intériorité de la présence. 

Dans l'intériorité de son silence, Marie préside à la naissance des âmes, à celle des prêtres. Elle porte les douleurs de son fils. Elle ne voit que l'amour, mais elle voit aussi le prix du salut, et le péché de chacun s'accroître à mesure que le sang de son fils emplit le calice de son âme. Elle porte les trahisons, les reniements, les infidélités, elle porte surtout celles des intimes du Seigneur. Elle porte, dans la solitude infinie de son cœur de mère. Debout. Et la gloire du Christ donne à cette douleur une victorieuse éternité. 

Jean est seul à l'autel du Golgotha. Il n'a pas à regarder le peuple des pécheurs. Il n'a pas à les interpeler ou à les enseigner. Jean-Baptiste lui avait indiqué le Christ, dorénavant, sa seule présence permet à ceux qui le regardent d’être mis en contact avec la Croix rédemptrice. Il lui suffit d'être devant le Seigneur, dans le oui de Marie. Il peut alors célébrer cette messe de l'amitié transfigurée. De l’amitié qui est allée jusqu’au bout. Il peut tenir debout dans le oui de Marie.

Jean est seul, mais Marie est là. En retrait. Son amour est si semblable à l’Esprit Saint qu’elle embrasse toute chose dans une discrétion totale. Elle est si unie à son Fils que rien ne la sépare plus d’aucun détail de l’univers. Son Fils est en tout. Il porte tout. Elle devient l'attentive veilleuse des moindres choses. Rien ne lui est plus étranger, rien ne lui est plus absent. Jean est seul. Marie est là. Le Christ les sépare… les unit.

Jean est porté par Marie. Marie est portée par son Fils. Le Fils est porté par la Croix.

Le Père est là.

Texte : Denis Cardinaux 

Tryptique du Christ en gloire entouré des anges de l'Eucharistie, Natalya Satsyk, photo © Aude Guillet 

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5 Commentaires

  1. thibault

    absolument magnifique. Très impressionnant le rouge de la Passion sur les manteaux des femmes et de Jean qui fait penser qu'ils s'unissent à la Passion du Christ et ne font qu'un avec elle.

  2. CI

    Merci Natalka, merci Aude, merci P.Denis! 

    Cette chapelle de la Compassion est un sanctuaire pour toute notre famille, un humble refuge où vous êtes tous bienvenus

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