En Grèce, Irénée a entraîné sa communauté dans un projet enthousiasmant : la réalisation d'un court-métrage impliquant les amis du Point-Cœur d'Athènes. Il revient sur la genèse de Palixo.
En mai dernier, alors que Véronika venait tout juste d'arriver, j'exposais aux filles de ma communauté une idée qui me tenait à cœur depuis longtemps : réaliser un court-métrage avec le maximum d'amis du Point-Cœur pendant les vacances d'été. Bien sûr plusieurs raisons me motivaient à réaliser cette activité.
D’abord c'est une activité qui me passionne, et je savais que je serai motivé jusqu’au bout ! Le désir ensuite de mettre en valeur certains de nos amis qui de temps en temps, perdent toute confiance en eux-mêmes en raison de toutes les désillusions qu'ils peuvent vivre depuis le départ de leur pays. L'été, pour beaucoup de nos amis, l'ennui est souvent une des plus grandes occupations de la journée. C'était donc l'occasion de leur proposer une activité un peu exceptionnelle et de les investir un maximum dans ce projet. Dans un film, tout le monde peut trouver son compte : acteurs bien sûr, mais aussi techniciens, lumière, accessoiristes, traductions (grecque, française) etc.
Le premier acteur que l'on recruta est un passionné de cinéma : Mr James, quatre-vingt-dix-huit ans, américain et vivant depuis très longtemps en Grèce. Quand on lui demanda s'il était intéressé de participer à ce film, il répondit tout de suite : « Oui, quand ? La semaine prochaine ? ». Il fallut le faire patienter jusqu'en juillet, le temps de recruter chacun de nos acteurs et de… trouver l'histoire !
Après Mr James, un deuxième ami accepta tout de suite de participer à ce projet, c'est Serge, congolais présent en Grèce depuis cinq ans. Depuis son arrivée en Europe, il n'a pas la vie facile, il a fait deux ans de prison dans des conditions très difficiles parce qu'il n'avait pas de papiers, il n'a toujours pas de travail, son avenir est très incertain… Et pourtant Serge affiche toujours un sourire aussi inoubliable que déconcertant au vu de sa situation : il a une capacité à positiver qui m’impressionne. Quand je lui demande : « Mais comment as-tu fait pour garder ce sourire en prison ? », il me répond : « Eh ! Eh ! — car il commence ou termine toujours ses phrases par Eh! Eh ! — parce que je savais qu'un jour j'allais sortir ! ». La première fois que suis venu chez lui, il m'a présenté son petit appartement dans lequel il vit : j'avais l'impression qu'il me présentait un château des Milles et une nuits. En premier lieu, il me présenta son « jardin » que l'on traduit dans le langage courant par un puits de lumière, mais ce que j'ai préféré c'est son « balcon » : il en est très fier ! Une petite table se situe au milieu de son « balcon », ornée d'un bouquet de fleurs artificielles, trouvé je ne sais trop où ! Petite précision sur ce « balcon » : il est situé au sous-sol, avec pour lumière non pas le soleil resplendissant de Grèce mais une petite ampoule accrochée au plafond ; avec pour paysage non pas l'antique acropole d'Athènes, mais le tableau des compteurs électriques de tout son immeuble. La vision de Serge sur son balcon me plaît, je m'en inspirerai dans mon film !
Le personnage principal de ce film, sera joué par Doni, albanais. Je le connais depuis longtemps ainsi que toute sa famille, son enthousiasme et sa motivation pour ce projet font plaisir à voir, ses sœurs, Sylva et Aoréla, ne seront bien sûr pas en reste !
Après avoir trouvé les acteurs, il ne me restait plus qu'à écrire l'histoire. Une balade dans Athènes à la recherche des lieux de tournage, puis un jour de repos au bord de la mer, agrémenté des conseils de Marichka, me serviront pour finir mon histoire.
14 juillet 2015, 14h : preuve de la motivation des acteurs, ils sont tous à l'heure (ce qui est très rare pour certains !). Ça y est le tournage peut commencer ! Nous voici dans notre quartier avec Doni à courir dans la rue, excitant la curiosité des habitants : « Mais que se passe t-il ici ? — On tourne un film ! ». Certaines voitures n'hésitent pas à s’arrêter pour prendre des photos, les marchands de souvlakis (le kebab grec) veulent participer au film, d'autres essayent de donner des conseils : c'est un peu l’événement !
16 juillet, deuxième jour de tournage, le lieu est différent. Nous nous trouvons cette fois-ci dans le parc olympique d'Athènes construit pour les Jeux Olympiques d'Athènes de 2004. Depuis, la crise est passée par là et il est un peu laissé à l'abandon… L'architecture de ce parc est un peu spéciale, il n'y a personne, c'est l'idéal pour ce que je recherche ! Pour ce jour-là, j'avais besoin de beaucoup de monde : nous voici donc en compagnie d'Albanais, d'Italiens, de Philippins… Et même d'une troupe de scouts français, venue nous prêter main forte ! L'ambiance est bonne, les fous rires garantis, chacun repart le soir avec le sourire et des souvenirs plein la tête !
Le lendemain, alors que le tournage se poursuit avec plusieurs amis congolais, j’aperçois notre voisin, Martino, hongrois et illusionniste. Il nous regarde avec des yeux insistants : « Mais que faites-vous ? — On réalise un petit film ! — Ah, euh, si vous avez besoin d'aide je suis chez moi ». Deux minutes après, je le recroise et il insiste : « Vraiment si vous avez besoin d'aide, je suis chez moi ! ». Comprenant sa motivation, j'imagine avec l'aide de Marichka une petite scène en plus où il peut mettre ses talents en avant. Tellement content de sa participation, il présente à nos amis présents quelques tours de passe-passe qui en ébahissent plus d'un !
Après quelques jours de tournage, la partie la plus difficile restait encore à réaliser. En effet, malgré son enthousiasme et sa motivation, Mr James n'est plus tout jeune et il peut fatiguer vite. Il fallait donc que tout soit parfait pour que cela ne dure pas trop longtemps ! C'est pour cela que quelques jours avant, j'étais allé lui rendre visite dans son café habituel pour lui présenter en détail son rôle. Il l'aimait bien mon histoire, mais il en avait une autre à l'esprit plus sympathique. Je dois à regret lui expliquer que l'on a déjà tourné tout le reste de l'histoire et qu'il est difficile de changer cela maintenant : « Ah d'accord, ce sera pour le prochain film alors ! ». Nous voilà donc deux jours plus tard dans le parc de l’église grecque-catholique d'Athènes. Avant de réaliser notre tournage, nous devons demander l'autorisation à l'évêque byzantin : « Mais bien sûr, pourquoi vous me le demandez ? Et avec ma bénédiction ! ». Nous repartons confiants de son bureau !
Comme je vous l'ai dit, il fallait que cela soit parfait, et cela commença mal. Comme Mr James parle anglais, j'avais imaginé un petit dialogue en anglais entre lui-même et quelques enfants d'origine sri-lankaise. Mais pour différentes raisons, ceux-ci se sont désistés au dernier moment, et me voici avec des enfants camerounais de moins de trois ans, et une petite afghane de huit ans qui ne parlant que le farsi. Les enfants de trois ans ne tiennent pas en place, je m'impatiente un peu. C'est à ce moment que Mr James me donne la solution : je n'ai qu'à suivre les enfants avec la caméra, et ce sont eux qui, à leur manière inventeront le début de ce film.
3 octobre 2015, grande soirée de présentation en compagnie d'un grand nombre d'acteurs et d'amis ! Certains ne sont cependant pas présents : comme je vous l’ai raconté dans ma dernière lettre, un grand nombre sont partis. Le film ravi tout le monde, les acteurs sont fiers de leur prestation, leurs parents aussi ! Une fois le film terminé, il est temps de remettre les récompenses. Ainsi Mr James, recevra le prix du meilleur narrateur, Doni, celui du meilleur acteur et Serge, le prix du meilleur sourire !
Pour terminer sur cette aventure, voici quelques phrases venant de nos amis. Tout d'abord de Manolis, un de nos amis paroissien m'ayant aidé pour les traductions grecques : « Je ne comprends rien pour l'instant à ton histoire, Irénée ! J'attends donc le 3 octobre avec impatience pour comprendre ce qui peut bien te passer par la tête !! ». Quand à Mr James, il me dit avec une pointe d'ironie, le 3 au soir : « C'était mieux réalisé que ce que j'imaginais ! ». Et pour terminer, ce petit mot de Victorine, camerounaise qui me confie avec des étoiles plein les yeux : « C'était mon rêve d'être présente dans un film, merci Points-Cœur ! ».