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Le temps de chaque jour. Entretien avec le cinéaste Nicolas Gayraud

Alors que la croisette se trouve sous les flashs, prenons plutôt le temps de rencontrer Nicolas Gayraud, jeune réalisateur de 39 ans. Son film "Le temps de quelques jours" nous fais plonger dans le silence des soeurs de l'Abbaye de Bonneval.  

Nicolas Gayraud

Comment est apparu ton désir de filmer ?

Très tôt, dès l'âge de 13 ans. C'était mon moyen d'expression, une possibilité de dire autre chose. Mon père m'a offert une caméra pour ma 1ère communion, j'avais un besoin de raconter quelque chose. Les cinéastes qui m'ont orientés, au début de ma carrière : Depardon, Gus van Sant, Tarkovsky (un réalisateur majeur qui me marque encore).

Inspiré de Tarkovsky, tu as un vrai regard contemplatif, un désir d'entrer dans les choses, d'entrer dans un au-delà. C'est quelque chose que tu cultives ?

La question est intéressante.

Dans Racines, j'étais en résidence documentaire deux fois 15 jours. Il fallait faire un documentaire sur la mutation rurale, ça ne m'inspirait pas beaucoup. Puis mon grand-père, dernier paysan de la famille, est mort. Et là je me suis dit que j'allais me servir de ce que je gardais de lui, de ce que j'éprouvais pour tourner. Mais comme pour mon  prochain film, je suis incapable d'écrire un scénario, seules des images me viennent.

Pour racines, c'était une vision en contre plongée sur des corps de paysans, pas forcément les visages, mais des corps qui arrachaient les poireaux… souvenirs de mon enfance. J'ai commencé à filmer cela, et petit à petit, en filmant, je me suis rendu compte que ce qui m'intéressait était ce rapport aux éléments, un rapport tellurique, rapport à la terre, au feu, à l'eau…

Je ne me pose pas la question de comment je vais filmer.

Mais ce procédé est difficile à mettre en œuvre car en amont des films, je ne trouve jamais de subventions. Je ne peux pas me retrouver devant un financier en lui expliquant que je sais ce que je vais faire, mais là je ne sais pas trop comment le faire. Je n'ai rien d'écrit mais j'ai quand même des images. Je commence donc comme je peux, même si aujourd'hui je peux montrer les films que j'ai déjà réalisé. Aujourd'hui, je me tourne plus vers le mécénat.

Pour Racines, j'ai filmé ces gens que je ne connaissais pas. Ceux qui voient Racines me disent que c'est fort, que ça leur rappelle leur enfance… Alors que j'ai tourné avec des personnes que je ne connaissais que depuis une heure. Mais j'ai fait un casting, je suis allé voir les gens chez eux. Je n'ai pas d'explication rationnelle. Quand je tourne, je suis dans un état quasi mystique, un état de présence. Je sais ce que je veux filmer, je suis incapable de le traduire verbalement, mais quand j'ai une caméra à la main, je sais comment je dois filmer et si ça marchera. Après, je suis incapable de le prévoir.

Comment se passe le casting ?

Je vais chez les gens, je vois beaucoup de personnes. En ce moment, je suis sur 2 films. Un sur des bodybuilders, et une fiction qui parle d'un homme riche qui perd tout. Pour les bodybuilders, je vais dans des salles et je rencontre les gens. Je sais qui j'ai envie de filmer.

Après, bien sûr on choisit les personnes, mais on est aussi choisis.  Si je suis devant une personne qui n'a pas envie, je vais le sentir. Et puis il faut avoir quelque chose à dire ! Il y a des personnes qui ne veulent pas être filmées, il y en a d'autres que je ne veux pas filmer.

 

 

Tu es plutôt documentaires ou films ?

Je fais des films, je n'aime pas dire que je fais des documentaires. Quand on parle de documentaires, on pense à « Envoyé spécial » ou aux documentaires animaliers. Les fictions, on voit tout de suite les archétypes, 007 ou autres. Moi c'est plutôt l'entre-deux, des films à essai, mélange de documentaire et de fiction, j'aime jouer avec le réel, travailler avec des personnes qui ne sont pas acteurs, utiliser les acteurs et non pas seulement les diriger.

Je réfléchis beaucoup en ce moment à cette approche entre le documentaire et la fiction.

Pour le film « Racines », certains ont comparé tes plans à ceux de Sokourov, « beau, puissant, fort, presque fantastique ».

C'est comme cela que je conçois le cinéma, il y a du cinéma de divertissement, avec de la narration, mais ce que je fais c'est du cinéma à créer.

L'erreur sociale est de voir les films le soir parce qu'on travaille en journée. C'est une grosse erreur. Mon moment préféré pour voir un film est dans la matinée, autour de 10h. Parce que le film, tu te le traînes ensuite toute la journée, tu ne vas pas au lit après. Et nous revenons à cette question : « est-ce que les films ne sont que des divertissements ou sont-ils plus importants pour toi ? »

Au fond, c'est comme regarder un tableau.

Que représente la lenteur dans tes films ?

La durée est nécessaire. Parce qu'on se rapproche du réel. La rencontre dure, dans la durée il peut se passer beaucoup de choses. La durée pour moi est la mesure du temps. J'aime les plans séquences qui ne sont pas coupés, même si c'est difficile à regarder. Et puis pour que ça fonctionne, tu es obligé de prendre le temps. Pour raconter certaines choses, je ne me vois pas les raconter en kits, j'aurai l'impression de tromper les gens.

La lenteur me projette dans le film, je saute dans le film, j'attends, je marche avec les acteurs.

Si je vois un film lent, au début tout résiste en moi, car nous sommes dans un monde qui va vite. Il y a une résistance. Après, ce que je trouve intéressant, c'est que même si au début c'est lent et ennuyeux, au bout d'un moment tu bascules. L'ennui se transforme, il y a un intérêt qui surgit. Un rythme qui est ancré en nous, que nous aimons, un rythme sain.

Mais si tu faisais un film sur la vie parisienne, adopterais-tu le même rythme ?

Justement, mon prochain film sur cet homme qui perd tout se déroule en plein Paris, la nuit, dans les boîtes de strip-tease. Je souhaite quelque chose de très urbain.

Je tournerai avec ma temporalité profonde, même si je peux être très actif. Mais quand je tourne, je me cale sur une autre vibration interne, et j'adore cela.

La ville me fascine, c'est l'homme dans la société. C'est un décor total, rien n'est vivant à part les humains. Tout a été construit, je trouve cela fascinant.

Et la nature ? 

La nature me fascine différemment, cela vient de ma grand-mère, il y a quelque chose d'originel.

Quel est ton lieu de repos pour retrouver un regard émerveillé ?

Ce qui me repose, la vallée de chevreuse où j'habite. Le brouhaha et le mouvement me fatiguent beaucoup. La ville est un lieu d'exploration, mais j'aime me retirer à la campagne. Il faut que je me rende disponible, un état d'ouverture et de non-jugement au moment de tourner.

Filmer en attendant le bon moment… Le réel est-il toujours au rendez-vous ?  

Rodin disait « Je ne crée pas, je vois, c'est parce que je vois que je crée ». Le réel est là, tout est possible, tu vas juste piocher dedans. L'expérience fait que je sais ce qu'il sera intéressant à filmer. Le plus important, c'est maintenant. Parfois je filme, et il n'y a rien. Et ça m'amène à comprendre pourquoi il n'y a rien, est-ce que je suis au bon endroit, qu'est-ce que j'ai voulu filmer, est-ce que c'est un bon choix ? Ce n'est pas intellectuel, mais qu'est-ce que je veux filmer ? Des fois, je sais très bien qu'il n'y a rien, je n'ai même pas envie d'allumer la caméra.

A travers le réel, c'est percevoir la substance du réel, ce n'est pas reproduire quelque chose. La beauté du banal me fascine beaucoup.

Propos recueillis par Anaïs Guillerm

 

 

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Bande annonce :

Le temps de quelques jours || Bande-annonce officielle from La Vingt-Cinquième Heure on Vimeo.

 

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