Dans la tempête médiatique autour du Brexit, un commentaire discret de la reine Elizabeth vient apporter une note apaisante : « well, I’m still alive anyway. »
Quelle que soit notre position sur la question européenne, on peut constater ce fait : un mouvement de panique généralisée accable l’électeur britannique en le faisant passer pour un alcoolique analphabète qui, n’ayant pas pu lire les traités européens, aurait sombré dans la folie populiste et xénophobe. En outre, le Royaume-Uni viendrait de se tirer une balle dans la tempe. Désormais, on affirme partout qu’il est dangereux de consulter les peuples sur des sujet aussi grave que celui de leur avenir.
Plus mesurée est la réaction du jeune ministre des affaires étrangères autrichien Sebastian Kurz[1]. Pro-européen catastrophé par l'évènement, il a l’élégance de reconnaître les échecs de Bruxelles et invite à repenser l’Europe de demain. C’est que, se voulant la garante exclusive de la paix et de la prospérité futures, la construction européenne est considérée par beaucoup comme irréversible. Dès lors, impossible pour les pays de freiner ou d’orienter le processus en fonction des nécessités de la réalité.
Le président du Parlement Européen, Martin Schutz, souhaite que la Commission européenne devienne « un véritable gouvernement européen » (source). Le ministre français des affaires étrangères demande « une union politique accrue ». Si personne ne veut provoquer des bouleversements risqués, l'idée d'une Europe Fédérale se fait plus pressante. Mais cela implique une unité de vues qui est loin d'exister[2]. La reine Elizabeth n'avait elle pas souligné à Berlin en 2015 le « danger des divisions en Europe » (source) ?
Une fédération d’états implique que le pouvoir reste dans les mains des régions et que l’échelon supérieur n’endosse que les compétences que les inférieurs ne sauraient assumer avec autant d’efficacité, comme la défense, la recherche et la diplomatie. Chacun gardant sa liberté, l’union se justifie alors par le fait qu’elle fait réellement la force et qu’elle décuple l’intelligence. De toute évidence, la construction européenne actuelle a réalisé le contraire : en imposant une centralisation acéphale et bureaucratique sur des compétances locales, elle a privé les acteurs de leur créativité tout en ayant été incapable d'organiser les responsabilités qu'elle revendique maintenant bien tard[3]. On peut donc penser à bon droit que le Brexit n’est pas nécessairement une option contre l’Europe. La piste que les anglais veulent suivre n’est peut-être pas tant celle de l’égoïsme irresponsable que celle d’une Europe privilégiant la compétitivité créative au service de tous.
Le 21 juin, la reine Elizabeth dont les petites phrases ont une importance capitale outre-Manche aurait subtilement demandé au cours d’un dîner : « détaillez-moi trois bonne raisons pour que la Grande Bretagne reste dans l’Europe » (source). Juste après le referendum, au cours de la visite royale en Irlande du Nord, le député premier ministre McGuinness qui venait de lancer l'idée d'un referundum sur la réunification de l'Irlande, lui demandait comment elle allait. Il s’est entendu répondre : « well, I’m still alive anyway. (…) We have been quite busy ». Le député acquiesce : « Beaucoup de choses sont en train de se passer ». La reine confirme : « en effet, j’ai eu deux anniversaires[4], j’ai été assez occupée » (source).
En juin 2015 à Berlin, elle s'adressait à Joachim Gauck : « Dans nos vies, Monsieur le président, nous avons vu le pire, mais aussi le meilleur de notre continent. Nous avons vu combien les choses peuvent rapidement changer pour le meilleur ».
Sans paraître minimiser les enjeux immédiats, la Reine offre une attitude paisible et claire. Elle rend possible un regard positif sur l’avenir de son pays tout en affirmant une présence qui donne confiance. Loin des furies partisanes, elle assume sa mission d’être un signe d’unité. Quelles que soient les conséquences de la décision de son peuple, la vie continue. Anyway.
[1] Intervention de Sebastian Kurz (parti social-démocrate) sur ZIB 2 le 24 au soir à partir de la 16ème minute.
[2] «"Tous les dirigeants européens sont d’accord pour dire qu’il faut à l’UE des idées afin de stopper la tendance" populiste dans l’opinion, "mais la question est de savoir qui va prendre les rênes? C’est là que les divergences se font jour", résume Rosa Balfour, analyste au German Marshall Fund.» (source)
[3] Aux journées de Bruxelles organisée par l’Obs les 18 et 19 novembre 2015, Walter Feroni ancien maire de Rome comparait l'Europe à « un avion dont on aurait construit le fuselage, le cockpit, choisi la couleur des sièges, le film à projeter à bord, mais auquel on aurait oublié d'ajouter les ailes, et, surtout, dont on ne connaîtrait pas le pilote ». Il plaidait contre le repli identitaire et pour les Etats-Unis d’Europe. Mais feu Michel Rocard lui répondait : « L'Europe, c'est fini, on a raté le coche, c'est trop tard. » (…) « le monde se refait dans la force, mais l'Europe a baissé les bras. Les dépenses de défense sont au plus bas depuis cent cinquante ans, les citoyens de l'Union européenne sont joyeux de ne plus s'occuper des problèmes du monde. » (source)
Mettre des gens ignorants des réalités, détachés de tout contact avec les enjeux réels et avec la base au pouvoir pour rélaiser des plans décidés en haut lieu sans jamais pouvoir demander des comptes à un responsable tout en culpabilisant sur le manque de soumission au progrès nécessaire de l'histoire… cela me rappelle quelque chose… Quelque chose du passé, mais aussi quelque chose de très actuel à moindre échelle. T.S. Eliot : "ils rêvaient à des systèmes qui leur permettraient de ne plus avoir à être bons".
Merci Denis de nous faire entendre une voix anglaise sereine à propos du Brexit, alors que nous sommes littéralement bombardés depuis dix jours par les cris d'orfraies de la presse. Un peuple s'est prononcé dans un sens opposé à celui attendu par les chantres du bocal médiatique. Pour ma part, je me demande jusqu'où ira le déni de démocratie, et s'il y aura, comme nous l'avons vu en France en 1995, des pressions pour finalement dire au peuple: "vous n'avez pas compris la réponse qu'on attendait de vous, recommençons…"
"C’est que, se voulant la garante exclusive de la paix et de la prospérité futures, la construction européenne est considérée par beaucoup comme irréversible." Cette petite phrase me fait penser a la lecture que fait le Catéchisme de l'Eglise catholique de l'Alliance de Noé et de la Tour de Babel:
n. 55: "Une fois l’unité du genre humain morcelée par le péché, Dieu cherche tout d’abord à sauver l’humanité en passant par chacune de ses parties. L’alliance avec Noé d’après le déluge (cf. Gn 9, 9) exprime le principe de l’Économie divine envers les " nations ", c’est-à-dire envers les hommes regroupés " d’après leurs pays, chacun selon sa langue, et selon leurs clans " (Gn 10, 5 ; cf. 10, 20-31)."
n. 56: "Cet ordre à la fois cosmique, social et religieux de la pluralité des nations (cf. Ac 17, 26-27) est destiné à limiter l’orgueil d’une humanité déchue qui, unanime dans sa perversité (cf. Sg 10, 5), voudrait faire par elle-même son unité à la manière de Babel (cf. Gn 11, 4-6). Mais, à cause du péché (cf. Rm 1, 18-25), le polythéisme ainsi que l’idolâtrie de la nation et de son chef menacent sans cesse d’une perversion païenne cette économie provisoire."
L'Europe ne cherche-t-elle pas a limiter l´ordre naturel des Nations pour instituer par la force une sorte "d'unité a la manière de Babel", comme un laboratoire pour une unité encore plus large dont on voit qu'elle détruit la richesse des peuples, leur particularités culturelles, leurs différences… pour une uniformisation tristounette. Le brexit semble un sursaut assez inconscient non pas d'un repli sur soi mais d'une affection pour la différence.
Merci Thibault pour cette citation lumineuse qui permet de poser un regard réaliste et pondéré sur les choses. Car il ne s'agit pas d'ériger la nation au dessus de tout, mais de reconnaître qu'elle est une limitation, un moindre mal, pour supplééer à un bien impossible à atteindre à cause de l'orgueil.
Je doute fort que la reine Elizabeth se soit risquée en public a demander de bonnes raisons de rester en Europe. Elle n'aborde les questions politiques que dans son entretien hebdomadaire acec le Premier Ministre, dont la teneur est secrète. Je suis bien d'accord que l'Europe ne devrait se préoccuper que des grandes questions: diplomatie, défense, monnaie. Le problème, c'est que les grands états, France et Grande-Bretagne surtout, veulent garder leur autonomie dans ce domaine. On a délégué à l'Europe que des compétences secondaires: production, concurrence, échanges . Inutile de s'étonner de la profusion de normes et de directives que cela entraine, et que Bruxelles ait développé une technocratie abondante pour gérer ça.. La seule prérogative régalienne déléguée par les nations, c'est la monnaie pour la zone euro: et la, on se plaint de la oolitique monétaire stricte de la Banque Centrale, de l'euro fort et du refus de l'inflation qui bloquraient la croissance.
Vous avez remarqué que la phrase est au conditionnel. J'ai indiqué les sources pour que le lecteur attentif puisse se former un jugement (source).
Votre article me fait penser à quelque chose : « Ne serait-il pas plus simple pour le Gouvernement, de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? » (Berthold Brecht, 1953)
Berthold Brecht a écrit cette phrase à l'occasion de la répréssion sanglante de manifestations par le gouvernement communiste d'Allemagne de l'Est en 1953: appliquée à la démocratie anglaise, la citation ne me semble pas trés heureuse. David Cameron s'est immédiatement incliné devant le verdict des urnes et a décidé de passer la main à un gouvernement plus en phase avec l'opinion majoritaire.