Si les poissons n’existaient pas, réussirais-tu à les imaginer ? Telle est la première question, infantile, innocente, que je me suis posée en sortant du dernier long métrage de Jim Jarmusch. Paterson, ville du New Jersey aussi bien que nom du personnage principal, est un film tout en nuances, un film sur le quotidien et la beauté des petites choses.
Paterson Bande-annonce VO
Dans une société dépressogène dans laquelle l’homme a besoin de se réinventer à chaque seconde, de se dépasser continuellement, sacrifiant même ses certitudes les plus intimes au goût de la nouveauté, voilà qu’arrive en salle un film qui ne fait autre chose que de se raconter lui-même. Une tautologie, en quelque sorte.
On en vient à tomber amoureux de Paterson, chauffeur de bus de la cité de Paterson. On se laisse gagner par sa vision de la poésie et son idée de l’amour. Tant il est pleinement lui-même dans sa routine quotidienne, qu’il suit comme si elle était la formule à appliquer pour accéder au bonheur.
Mais au fond, Paterson est heureux en soi, malgré une vie faite de platitudes et sous certains aspects même vulgaire. En l’observant jour après jour aux prises avec sa vie – car le film en suit de fait une semaine, jour après jour -, on se demande si tel ne serait pas le modèle de la vie vertueuse ; aimer éperdument une femme à première vue plutôt superficielle et pétulante, mais prête à se faire proche dans les moments d’épreuve ; faire faire la promenade du soir à son chien à elle ; laisser le dit chien devant le même bar tous les soirs pour y boire une bière et voir les mêmes visages ; valoriser son travail en repassant les conversations qu’il aura entendues dans son bus. Et ceci non pas comme une intrusion voyeuriste, mais sous la forme d’un étonnement admiratif devant les innombrables vies possibles qui viennent habiter un moment l’habitacle. C’est de tout cela que Paterson fait sa poésie, de la comptine revenue en mémoire à la boîte d’allumettes trouvée sur la table du petit-déjeuner.
Paterson, si totalement dépourvu de toutes les caractéristiques conventionnelles du héros – et lorsqu’il retrouve un instant ses réflexes de "Marine", c’est pour mettre à terre un amoureux transi armé d’un pistolet-jouet – est peut-être pour cela le véritable héros moderne. Car Paterson aime, et son amour est le moteur immobile qui rend sa vie pleinement digne d’être vécue.
Merci : cet article donne envie de voir le film. Il me rappelle cette affirmation d'un policier new-yorkais régulant la circulation automobile: "Je travaille pour la gloire de Dieu".