Alors que les médias européens ont insisté sur les clivages de la société, les Polonais ont-ils réussi à célébré dignement cet anniversaire ?
Le 11 novembre 2018 à Dubaï, sur le plus grand bâtiment du monde – le Bhur Kalifa, 830 mètre de haut – les couleurs blanc et rouge ont clignoté pendant quelques instants. Les Niagara Falls, le Fullerton Hotel à Singapour, la Torre Costanera au Chili et même des pyramides en Egypte ont été illuminés en blanc et rouge. Le monde entier a célébré le 100ème anniversaire de l'Indépendance de la Pologne.
En Pologne, près de 200 millions de zlotys (environ 50.000 Euros) ont été prévus par le gouvernement pour un programme de célébrations du Jour de l'indépendance s’étalant sur plusieurs années (de 2017 à 2021). Cependant, les principales célébrations ont eu lieu le 11 novembre dernier, alors que cent ans exactement se sont écoulés depuis le retour de la Pologne sur la carte du monde.
Les Polonais se soucient de leur identité et de leurs racines. La religion, la tradition et la famille ont toujours une place très importante dans la culture. Dès les premières heures du 11 novembre, une foule de drapeaux blancs et rouges sont apparus dans les rues des plus grandes villes. A midi, des milliers de personnes se sont réunis dans la capitale pour chanter l'hymne national et célébrer la mémoire des héros qui ont contribué au rétablissement de la liberté en Pologne. Concerts, rencontres et autres évènements se sont déroulés toute la journée.
Vers 15 heures, la marche dite « Blanche et Rouge », organisée par le Président de la République a commencé au centre de Varsovie. 20 minutes plus tard c’est la « Marche de l’Indépendance » organisée par l'extrême droite qui débutait. Apparemment ensemble, mais séparément (on peut aussi l'écrire dans l'autre sens). Finalement, les deux marches de plus de 100.000 personnes chacune n’en ont plus fait qu’une seule.
La première manifestation de ce type a eu lieu en 2009 et n'a rassemblé que plusieurs centaines de personnes issues des cercles nationalistes. Dans les années qui ont suivi, de plus en plus de personnes ont participé à cet évènement. En 2011, en réaction à la Marche de l'Indépendance a eu lieu la première marche dite de « l'Indépendance colorée », organisée par les représentants des autorités polonaises. Appelée aussi dés le début « Marche de la Tolérance », elle rassemblait en son sein de nombreux cercles issus de la mouvance LGBT. Bien que les organisateurs des deux marches aient proclamé que leur marche n'était organisée que pour célébrer le jour de l'Indépendance de la Pologne, on pouvait sentir combien les participants voulaient aussi montrer leurs opinions.
La Marche de l'Indépendance s'est transformée au fil des années en une rencontre à laquelle d'autres milieux, outre les nationalistes, ont commencé à participer, adoucissant ainsi le ton idéologique au départ très fort. Pendant la marche, on pouvait rencontrer des familles entières, des scouts, des catholiques, des cercles scolaires, etc. Elle est ainsi devenue un lieu de rencontre pour les Polonais attachés à leur histoire, unis par le souci de la culture et de l'identité. La Marche de l'Indépendance colorée a également subi des transformations. Avec les changements politiques, elle a cessé d'être appelé « colorée » et a reçu le nom de la marche « Blanc et Rouge », ce qui indiquait une tentative d'unir les Polonais.
Ce n’est pas seulement à cause de l’anniversaire que 2018 aura été une année spéciale. En effet la période de préparation des célébrations a été très mouvementée en raison des protestations de la police. Les fonctionnaires de police avaient annoncé une mise en congés maladie massive pour le 11 novembre. Il s'agissait d'une protestation contre l'absence d'augmentations et contre la réduction substantielle de certains avantages.
La situation était grave. Dans ce contexte, et probablement en raison de nombreux autres facteurs, les autorités de Varsovie ont interdit l'organisation de la Marche de l’Indépendance tandis que la sécurité de la marche organisée par le gouvernement polonais devait être assurée par les services du SOP (Service de protection de l'Etat) et par la Gendarmerie militaire. Dans un contexte de tension, l’interdiction a été rejetée par le tribunal et la Marche de l'Indépendance a finalement reçu l'autorisation de se dérouler. Mais un autre problème s'est posé. La Marche Blanc et Rouge et la Marche de l’Indépendance avaient prévu des itinéraires identiques et devaient se dérouler presque aux mêmes heures. Or l’expérience a montré qu'une confrontation entre ces deux milieux pouvait déboucher sur des émeutes.
Les organisateurs des deux événements sont néanmoins parvenus à un accord : il a été décidé de partir pour une marche commune. L'affaire de la police a également été résolue. Les dirigeants de la grève ont été assurés d'obtenir des augmentations au cours du prochain exercice financier.
C’est ainsi que le 11 novembre, le discours du Président de la République de Pologne a marqué le début de la « Marche des Polonais » célébrant le retour de l'Indépendance. Plus de 250.000 personnes y ont participé. C'était l'un des plus grands rassemblements de Polonais, presque comparable à la foule réunie à l'occasion du pèlerinage du Pape Jean-Paul II en Pologne.
Cela tenait du miracle. Deux rassemblements assez antagonistes qui luttent de longue date l'un contre l'autre ont traversé les rues de la capitale en toute tranquillité. Certes, il y a eu de petits incidents de part et d’autre, mais ils étaient si bénins qu'ils n'ont pas eu de répercussions sur l'image globale de la manifestation. Il semble que le désir de célébrer, un vrai patriotisme et l’amour du pays l’ont emporté sur les clivages. Sans aucun doute, cet événement a montré que les Polonais, dans les moments les plus critiques, peuvent s'unir, faire front commun, se réjouir et célébrer ensemble. Nous verrons ce que l'avenir nous réserve.