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Un après-midi à Tripoli : Visite d’espérance sur un théâtre de guerre

Sept filles ! Lui aussi ! Je n’en croyais pas mes yeux. Dans cette maison basse et lugubre, sous les pluies torrentielles de l’hiver libanais, dans l’obscurité d’une nouvelle coupure de courant, le père alluma la lampe de son portable pour que je puisse prendre une photo du poster.  Récit d’une rencontre à Tripoli.


Le père et ses sept filles

Exactement comme mon ami Giuseppe, pensais-je, sept filles et un garçon. Mais alors que mon ami napolitain a patiemment accueilli sept naissances avant de voir arriver son petit mâle, l’islam a permis à mon hôte, déjà agacé après deux filles, de prendre une deuxième femme pour augmenter ses chances. Ironie du destin : la deuxième mit au monde une fille au moment où la première lui donnait enfin un garçon. La série masculine s’étant arrêtée là, le voilà donc père de sept filles… et pas peu fier d’elles !

La beauté lumineuse de cette famille si simple, qui après notre passage retourna immédiatement à son jeu de cartes autour d’un bidon-poêle style tambour du Bronx, fut la dernière étincelle d’une visite mémorable à Tripoli en compagnie de Melhem Khalaf, fondateur de l’association Offre-Joie.

Nous parcourûmes au soleil couchant les ruelles escarpées de l’ancienne ligne de démarcation séparant les quartiers de Beb el Tebbeneh et Jabal Mehsin, théâtre entre 2007 et 2014 d’une guerre d’importation [1]Article du journal Le Monde à ce propos entre les habitants sunnites (plutôt ennemis du régime syrien) du premier et les alawites (donc pro-Assad) du second.

 

Sur l’ancienne ligne de démarcation

Melhem Khalaf a commencé par construire des terrains de jeu un peu à l’extérieur des quartiers pour inviter les enfants des deux factions à se retrouver. Dès que les combats ont cessé, il a envoyé des volontaires pour nettoyer la zone de démarcation, envahie par les ordures, et commencer à restaurer les façades des immeubles mitoyens, sans préférences ni contreparties.
Tous les week end, ce sont donc des dizaines de volontaires venus de France et de tout le Liban qui envahissent le quartier et tissent des liens d’amitié avec les habitants. L’idée est que si la guerre divise, il faut créer toutes les occasions possibles d’unir, que ce soit par le travail ou par le jeu.

J’en ai pu vivre un bel exemple en suivant Melhem chez l’un de ses amis « historiques », Fawzo, patriarche d’une vaste famille et maintenant alité. Dans la pièce où il se tient chaque jour, une bonne vingtaine de personnes se pressent, une petite fille fait le service avec un sérieux imperturbable et les conversations vont bon train. Lorsque Melhem fait sortir de sa boîte un gros gâteau au chocolat et le couvre de bougies pour l’anniversaire d’un des petits-enfants, la joie ne connaît plus de bornes. Des visages nouveaux apparaissent dans le cadre de la porte, on chante, on sert un autre café.

 

 

L’un des petits gars présents me parle sans interruption comme si je pouvais le comprendre et semble me demander avec insistance si je connais le « t’hiffèn ». Après un bon quart d’heure, car le bonhomme est très convaincu et persévérant, il s’avère que ce n’est ni un légume local ni un jeu de ballon, ni un couvre-chef, ni une marque de lunettes, mais une volontaire d’Offre-Joie, Tiphaine, et je comprends enfin que les signes de l’enfant désignaient ses cheveux blonds et ses yeux bleus.

Voilà ce qui fait, me semble-t-il, le succès d’Offre Joie : le sens de la personne, vue comme but final de tout projet, et ce sans faire acception de religion ni d’origine. Un regard réaliste posé sur chacun, qui jamais ne l’encourage à se défausser de sa responsabilité au nom de l’aide humanitaire, mais cherche au contraire à le rendre plus conscient de son devoir d’homme. Il fut par exemple entendu, dès le début du centre de soutien scolaire fondé en montagne au milieu de huit villages fort chargés de réfugiés syriens, que ce seraient les parents eux-mêmes à se charger du transport de leurs enfants, à assurer une aide aux maîtresses et le nettoyage du centre. Si bien que le travail des volontaires ne leur est pas paru un dû superflu, mais un grand don dont il fallait profiter.

“ Tu connais Tiphaine?”

Et, autre ingrédient du succès, un très grand pragmatisme, qui naît d’une écoute attentive de la réalité. Une anecdote en guise d’exemple : un enfant syrien enfui de chez lui ayant été amené par la police à l’un des centres d’Offre-Joie, il fallait le placer d’urgence. Le petit fut d’abord remis à la famille des gardiens, et Melhem commença à se préoccuper d’une école. Dans le cours de la même journée, visitant le centre de soutien scolaire à quelques kilomètres de là, il eut la surprise de voir deux de ses jeunes volontaires locaux se préoccuper pour l’enfant. Il en fut aussitôt décidé ainsi : l’enfant devait venir habiter ici, avec eux, ce qui permettrait aussi de le scolariser sans perdre de temps auprès des autres enfants réfugiés. Finalement d’ailleurs, les parents se manifestèrent auprès des autorités et l’enfant put être ramené chez lui.

 

Rénovation d’une façade par les volontaires d’Offre-Joie

Autre caractéristique originale enfin dans un pays qui a souffert de communautarismes religieux parfois quelque peu étroits, l’exigence non seulement d’accepter chacun tel qu’il est, mais aussi de lui laisser l’espace d’exprimer toutes les dimensions de sa personne, aussi bien culturelles que religieuses. Si bien que le phénomène religieux n’est pas banni à Offre-Joie comme il le serait facilement chez nous au nom d’une communion laïque supérieure, mais il est encouragé, et s’exprime en particulier par une prière commune.

 

Pour qui voudrait en savoir plus, voici le site Offre-Joie

Traduit par J. K.

References

References
1 Article du journal Le Monde à ce propos
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