Si Free Solo a créé la surprise en remportant, Dimanche 23 février à Hollywood, l’oscar du meilleur documentaire, ce n’est pas qu’il ne le méritait pas, mais c’est que, dans le climat actuel, beaucoup s’attendait à ce que l’agenda politique pousse en avant le documentaire sur Ruth Bader Ginsburg, également en compétition. Dieu merci, l’art a prévalu sur la politique. Du reste, le documentaire ascentionnel de Jimmy Chin et Elizabeth Chai Vasarhelyi offre au “climat actuel” une ouverture des plus nécessaires sur la grandeur de l’âme humaine, la liberté et la soif d’infini.
Réalisé sur plusieurs années, le film suit Alex Honnold alors qu’il se prépare à faire ce que personne n’a jamais fait: l’ascension du Capitan en “free solo”. Le Capitan, c’est un mur de granite d’un kilomètre de haut, la reine mère des parois rocheuses, situé dans le parc de Yosemite, aux États-Unis. Et le “free solo”, kézako ? L’escalade sans autre instrument que ses mains et ses pieds, et un sac de magnésie contre la sueur des paumes. Sans pitons, sans corde. Sans aucune sécurité.
Lorsqu’on pense aux “sports extrêmes” on imagine aussitôt des sportifs avides de sensations fortes, défiant la mort pour faire monter l’adrénaline et entrer dans l’histoire. Alex Honnold est bien loin de ce cliché. Ses proches évoquent une enfance solitaire et calme, presque autiste. Aujourd’hui, à l’âge de 33 ans, il vit dans sa cammionette une existence vagadonde avec la montagne pour compagne. Il frappe par sa simplicité et sa sobriété.
Qu’est-ce donc qui pousse Alex à braver la mort sur une paroi verticale qui fait trembler les grimpeurs les plus agueris, sans possibilité de faire demi-tour, suspendu au dessus du vide par le bougt des doigts et les reliefs quasi-imperceptibles du granite ? Pélerin solitaire et mystérieux en quête de hauteurs, Alex répond: “Je crois que ce qui me pousse à faire cela, c’est la même chose qui pousse d’autres vers la religion… Le besoin de me sentir petit, de sentir que j’appartiens à quelque chose de plus grand…”
Il faut également saluer, à la suite du jury des Oscars, la prouesse que représente la réalisation de ce documentaire. Les réalisateurs, rompus à l’escalade et amis de longue date, mettent aussi, d’une certaine manière, leur vie dans la balance. Ils savent bien qu’en filmant l’ascension d’Alex, ils ajoutent à la difficulté. La moindre distraction, la moindre erreur, et la chute est inévitable et mortelle. L’acte de filmer devient donc partie intégrante de l’aventure, et pas plus qu’Alex les caméramans n’ont droit à l’erreur.
Au delà de la prouesse artistique et sportive, c’est un événement humain dans lequel ce documentaire nous invite à entrer. “Free Solo” est le titre qu’il fallait, puisque c’est de solitude qu’il s’agit, et de liberté. Nous ne sommes pas tous appelés à faire l’ascension du Capitan, mais l’ascension de la vie n’est pas moins aventureuse, ni moins vertigineuse. La solitude du grimpeur nous rappelle ce que Jean Paul II — lui aussi un amoureux de la montagne —aimait tant contempler, à savoir la solitude originelle de l’homme en face de l’infini. Sur la route verticale qui conduit à Dieu, chaque pas de liberté demande que nous risquions notre vie, que nous la mettions en jeu, en nous fiant pour cela aux signes qui nous sont donnés dans le présent.
Trailer du Documentaire