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Une victoire historique pour le mouvement Pro-life

C’est un véritable tremblement de terre culturel aux États-Unis : la Cour Suprême vient d’annoncer officiellement l’abolition de « Roe Versus Wade », jugement par lequel, en 1973, cette même Cour avait érigé l’avortement au statut de « droit », forçant par là son application dans chacun des 50 États américains. « Officiellement », car une première onde de choc a traversé les États-Unis le 2 mai dernier, lorsque le journal Politico a créé le scoop en publiant un premier jet de cette décision. Une telle fuite, dont la source est encore inconnue à ce jour, est un fait sans précédent dans l’histoire de la Cour Suprême. Cette exception est à mettre sur le compte des tensions phénoménales qui se concentrent sur cette ligne de front de ce que l’on appelle depuis les années 60 la « guerre culturelle » qui divise le pays.

 

 

Il convient tout d’abord de dissiper un malentendu : cette décision de la Cour Suprême ne consiste pas à interdire l’avortement, ni même à le limiter. Elle ne fait que remettre de telles mesures à chaque État et au jugement de ses élus. Ce qui est en jeu ici n’est pas seulement l’avortement, c’est aussi et premièrement le juste partage des pouvoirs entre la branche judiciaire et la branche législative d’une part, et entre le gouvernement central (fédéral) et les gouvernements de chaque État de l’autre.

Pour faire simple, le jugement de la Cour Suprême revient à dire : la décision de 1973, par laquelle l’avortement était imposé à tous les États (et qui ne laissait plus à ceux-ci que la possibilité de déplacer le curseur de la date au-delà de laquelle l’avortement ne serait plus autorisé), n’était pas constitutionnelle, c’était un abus de pouvoir de la Cour Suprême. Par conséquent cette décision est nulle et non avenue, de sorte que l’on se trouve à nouveau dans la situation qui était celle des États-Unis avant 1973, à savoir qu’il revient à chaque état de statuer sur cette question. L’argument est simple : cette décision de 1973 ne s’appuyait ni sur la Constitution américaine (qui ne mentionne pas l’avortement) ni sur la jurisprudence, dès lors qu’avant 1973 les lois autorisant un accès à l’avortement sont rares, restrictives et controversées. Les juges de la Cour Suprême — qui ne sont pas élus mais nommés par le président — viennent donc de reconnaître que leurs prédécesseurs s’étaient arrogé une autorité qui, de droit, appartenait aux États et à leurs élus.

Du moment que la Cour Suprême se retire de ce débat, ce n’est pas au gouvernement fédéral, c’est-à-dire au Congrès, de prendre le relais, mais aux gouvernements locaux de chaque État de l’union. Les États-Unis, constitués comme tels au lendemain de la guerre d’indépendance par laquelle l’ancienne colonie s’est affranchie de la couronne d’Angleterre, ont inscrit au fondement de leur Constitution le principe de subsidiarité : le pouvoir appartient aux États, et il n’est délégué au gouvernement fédéral que lorsqu’il dépasse leur compétence.

 

Les juges de la Cour Suprême

 

Pour certains États, cette décision de la Cour Suprême ne change strictement rien (c’est le cas par exemple des États de New York et de Californie, où l’avortement est légal jusqu’au terme de la grossesse) tandis que pour d’autres l’avortement sera désormais interdit, comme il l’était avant 1973.

Lorsque la nouvelle est tombée, prématurément, le 2 mai dernier, elle a pris tout le monde de court, les promoteurs de l’avortement autant que le mouvement « pro-life », qui même dans ses rêves les plus audacieux n’osait espérer le retour sur une décision prise il y a presque 50 ans. Tout au plus espérait-il de cette Cour l’abolition de « Casey Vs. Planned Parenthood » (1992) qui interdisait aux États de faire peser sur une femme désirant avorter un « fardeau exagéré », expression vague par laquelle toute restriction de l’avortement (limitation aux premières semaines de grossesse, imposition d’un délai entre la demande et l’exécution, etc.) pouvait de fait être portée en justice. En abolissant la décision originale de 1973, la Cour Suprême fait, a fortiori, tomber cette provision plus récente de la loi.

Si l’on se demande ce qui a changé aux États-Unis et qui a permis un si surprenant retournement de situation, la réponse est simple : Donald Trump. Dans les quatre ans de sa présidence, il a eu le rare privilège de remplacer trois des neuf juges de la Cour, lesquels sont nommés à vie. Ses deux premières nominations remplaçaient des juges qui étaient déjà conservateurs, mais le coup de grâce fut la troisième nomination, Amy Coney Barett, qui est venue occuper le siège de la libérale Ruth Bader Ginsburg, icone du mouvement féministe aux États-Unis.

Cette décision de la Cour Suprême est un événement dont on ne peut exagérer l’importance, pour les États-Unis d’une part, mais aussi pour le reste du monde, qui suit de près, pour le meilleur et pour le pire, les soubresauts de l’histoire américaine. La question de l’avortement, qui autrefois coupait transversalement la ligne de partage entre républicains et démocrates, s’est peu à peu déplacée jusqu’à correspondre aujourd’hui presque parfaitement avec cette ligne. Les positions se sont passablement rigidifiées ces dix dernières années. Sur cette question, Barack Obama fait aujourd’hui figure, sinon de conservateur, du moins de modéré, lui qui plaidait encore pour des avortements « légaux, sûrs, mais rares ». Aujourd’hui, au contraire, les démocrates plaident pour une normalisation de l’avortement jusqu’au neuvième mois inclus, rejetant sur le « patriarcat » et sa volonté de puissance toute loi ou même toute rhétorique cherchant à encadrer ou limiter l’avortement.

Bien que certains cas pratiques, extrêmes et exceptionnels, au premier rang desquels le viol, servent encore de fer de lance des arguments en faveur de l’avortement, c’est une position d’une toute autre nature qui s’affirme, et qui avance de plus en plus à visage découvert. L’avortement n’est pas seulement présenté comme un remède (amer, et non sans effets secondaires) à une situation tragique, mais comme un acte normal, sanitaire et médical, qui est à mettre au même niveau, par exemple, que l’ablation de l’appendicite. Il s’agit désormais, comme le disent les signes brandis dans les manifestations, d’être « fière de son avortement », de « crier son avortement », sans honte. On devine bien que derrière de telles affirmations, il y a la volonté — vaine et tragique — d’exorciser la douleur et la culpabilité qui laissent leur marque dans l’âme de la mère, mais au-delà des motivations personnelles, dont la nature véritable reste cachée dans le secret de chaque conscience, il y a un mouvement culturel, idéologique, pour lequel l’avortement n’est pas seulement un problème pratique, mais une nécessité politique.

Normaliser l’avortement jusqu’au terme de la grossesse, ôter même du langage et de la pensée toute rhétorique qui continuerait à voir dans l’avortement un « drame », une « souffrance », quelque chose qu’il faut chercher à éviter, limiter, minimiser, c’est résoudre le « problème » de la maternité, éliminer la particularité féminine, et tirer définitivement un trait d’union entre la femme et l’homme — ou plutôt, supprimer ce trait d’union pour hâter l’avènement d’un être androgyne, ni femme ni homme.

 

 

La normalisation de l’avortement est le corollaire nécessaire de la révolution sexuelle des années 60. Ce n’est pas tout de lever le tabou de la sexualité en la « libérant » des institutions et en particulier de la moralité judéo-chrétienne, encore faut-il régler le « problème » de la maternité. Les moyens contraceptifs n’étant pas infaillibles, cette faille ne peut être colmatée hermétiquement que par le recours à l’avortement. La maternité est vue comme un « problème » puisqu’elle engendre une dysmétrie entre l’homme et la femme et qu’elle désavantage irrémédiablement cette dernière dans la poursuite d’un mode de vie hédoniste et individualiste. Toute société qui fait de l’individualisme son principe (aussi paradoxale que soit une telle affirmation) a besoin de normaliser l’avortement pour garantir l’égalité des chances de chaque individu (homme ou femme). Par ailleurs, l’avortement ne peut être « normalisé » que si, en définitive, il est autorisé jusqu’au neuvième mois. En effet, toute restriction de l’avortement est un aveu, au moins implicite, de son caractère problématique, et par conséquent elle entretient le « stigmate » qui pèse sur cette pratique. Telle est aujourd’hui la position dominante de la frange la plus active du parti démocrate.

Cette décision de la Cour Suprême assène un coup formidable autant qu’inattendu à cette idéologie, qui voyait déjà l’histoire comme une route menant par degrés à une normalisation totale de l’avortement. Les tenants de cette cause ont promis, en réaction, un summer of rage. Les prémices de cette « rage » ont commencé à se déverser, ponctuellement, sur des églises catholiques, sous forme de graffitis ou de manifestations. En effet, si le mouvement Pro-Life américain est partagé notamment avec les protestants évangéliques et les mormons, c’est l’Eglise Catholique qui en est la voix la plus forte. Parmi les six juges qui ont voté pour l’abolition de Roe Vs. Wade, cinq sont catholiques.

Les évêques de la conférence américaine ont très largement manifesté leur soutien à cette décision. Ainsi, dans l’état de New York (pour lequel, comme nous l’avons dit, cette décision n’amènera aucun changement), les évêques ont publié une circulaire rappelant, non seulement la position de l’Eglise, mais aussi son engagement à venir en aide « à toute femme enceinte, quelle que soit sa situation, sa religion, et ses moyens financiers ». La même circulaire plaide également pour que, dans les États où l’avortement est en passe d’être « normalisé », il ne soit cependant jamais présenté aux femmes enceintes comme l’unique option.

 

 

La « guerre culturelle » qui divise les États-Unis peut souvent paralyser ses institutions et engendrer le chaos dans les rues de ses métropoles. Vue de France, on serait tenté d’y voir la faiblesse structurelle d’un jeune pays fondé sur une Constitution et non pas sur une histoire et une culture commune, mais on aurait tort de n’y voir que cela. Si pauvre soit-il sous certains aspects, c’est aussi la grandeur de ce pays que de n’avoir pas baissé les armes lorsque la valeur même de la personne est en jeu, de ne pas se résoudre à l’abandonner au relativisme, qui n’est pas un compromis mais une défaite. On pourra dire ce que l’on voudra des États-Unis, il faut reconnaître que, dans ce qu’ils ont de meilleur, ils ont gardé cette conscience qu’à la racine de la culture il y a la position morale de l’homme qui s’affirme pour ou contre le bien. Depuis 1973, le mouvement Pro-Life combat courageusement, paisiblement, infatigablement pour défendre la valeur de toute vie humaine ainsi que la grandeur de la maternité et de la paternité. Tel Churchill qui promettait de combattre « sur les collines, dans les champs, dans les villes, etc. », le mouvement Pro-Life a mené son action dans les écoles, dans les tribunaux, dans les médias, au Congrès et au Sénat… Cette victoire est à leur crédit, et il faut espérer qu’elle redonnera courage et espoir à tant de nations qui regardent comme perdu le combat pour la valeur de la vie.

 

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2 Commentaires

  1. Emmanuelle

    Merci pour cet article qui est source d’une grande espérance! En effet, je constate de plus en plus autour de moi une normalisation de l’avortement dans la mentalité des gens (notamment suite à un test prénatal annonçant une maladie). Il s’agit néanmoins toujours de l’élimination d’une vie humaine mais nombreux sont ceux qui ne le perçoivent plus du tout!

  2. Les juges de la Cour Suprême sont bien nommés par le président, mais cette nomination doit être ratifiée par le Sénat élu au suffrage universel. Le juge Samuel Aliso, rapporteur de la décision de la Cour, a expliqué que celle-ci renvoyait la décision au législateur et que « les femmes sont électrices. » Allusion au fait que 50% des Américains s’abstiennent souvent de voter et laissent ainsi les autres décider à leur place.