Home > Musique, Danse > Rencontre avec Gil Roman et la compagnie du Béjart Ballet à Athènes

Rencontre avec Gil Roman et la compagnie du Béjart Ballet à Athènes

En tournée dans le monde entier, la compagnie du Béjart Ballet a déposé ses chaussons de danse dans le théâtre de l’Acropole, à l’Odéon d’Hérodes Atticus d’Athènes. Occasion d’une rencontre exceptionnelle avec le directeur de la chorégraphie et successeur de Maurice Béjart, Gil Roman.

 

La communauté du Points-cœur de Grèce rencontrant Gil Roman à l’Odéon d’Hérodes Atticus d’Athènes

« Tout se rapporte à la danse, la danse nous permet de grandir, d’arriver à vivre dans ce monde ». [1]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse  le 09/03/2019 … Continue reading

Depuis sa création en 1987, le Béjart Ballet Lausanne est une référence dans le monde chorégraphique. Désigné comme successeur par Maurice Béjart, Gil Roman dirige la compagnie et préserve son excellence artistique depuis la disparition du maître en 2007.

« Il m’a fallu des années pour sortir cet artiste incomparable qu’est Gil Roman du maquis mental où il s’enfermait avec ses fantasmes, ses amours, ses complexes ! Lentement, j’ai compris ses qualités, j’ai réalisé combien il était proche de moi. Je ne vois que lui pour continuer, préserver, posséder, mon œuvre et mes ballets… nul autre. Ce ballet lui appartient. » Maurice Béjart

Les débuts :

« J’étais un petit garçon d’un petit village du sud de la France, et c’est à Montpellier que j’ai vu pour la première fois un cours de danse ; j’ai alors voulu faire de la danse. Mon père était réticent mais il m’a ensuite vu sur scène, en spectacle, et il a compris que j’étais chez moi sur un plateau. J’avais 13 ans quand il est mort brutalement. Tout a changé dans ma vie. J’ai dû prendre des responsabilités vis à vis de ma famille. Je suis devenu l’homme de la famille. Ce que je savais faire de mieux c’était danser, alors je me suis accroché à cela. Mon père m’a légué la bonté et l’empathie, je l’admirais et je l’aimais vraiment. » [2]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197

LA rencontre :

« C’est Jorge Donn qui m’a donné l’envie de rentrer dans la compagnie. Voir que la danse pouvait être masculine et mettre en avant le danseur m’attirait. Sur le mur de ma chambre, j’avais deux posters de lui. J’ai vu la compagnie quand j’avais 14 ans, lors d’un ballet théâtre « le Molière imaginaire ». J’étais estomaqué. J’ai laissé cela de côté, je me disais que je n’arriverais jamais à danser, jouer, chanter en même temps. Et des années plus tard, je suis allé passer une audition. Maurice Béjart nous a invités à rester pour le spectacle, et c’est la première fois que j’ai vu l’un de ses ballets. J’étais ébahi, bouleversé et tellement heureux de pouvoir participer à cela. Sur les 300 personnes à passer l’audition, 5 seulement ont été retenues. J’ai vu Donn qui avait une technique incroyable. Il a dansé les rôles principaux, il a dû obtenir sa technique, il s’est violenté pour y arriver. Dans mon enfance, j’admirais Noureev, mais quand je suis entré dans la compagnie, Donn est devenu mon Dieu. Il avait une aura que l’on ne pouvait expliquer. C’est cela l’artiste, il n’y a pas d’explications. Donn dégageait pour moi quelque chose d’une luminosité intérieure qui m’attirait. Il parlait très peu. J’étais un admirateur silencieux. À l’époque le maquillage nous prenait beaucoup de temps. Donn n’acceptait personne dans sa loge, mais moi j’avais le droit d’être là. Je l’ai absorbé vraiment : j’ai pris ce que j’aimais en lui et cela a fait ce que je suis aujourd’hui. » [3]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197

 

 

Maurice Béjart, un maître :

« Un maître est quelqu’un en qui l’on donne toute sa confiance, en qui l’on croit, et chaque geste qu’il fait est un apprentissage. C’est une manière de regarder un être. C’est pour cela que je l’ai choisi comme maître, c’est moi qui l’ai choisi comme maître, cela implique une démarche d’humilité, de service. Cette décision, je l’ai prise alors que je voulais partir, j’allais mal, et lui aussi. On a commencé à parler, et on s’est rendu compte qu’on avait les mêmes intérêts, les mêmes passions. J’ai été viré plusieurs fois du ballet, j’avais mon caractère (que j’ai toujours d’ailleurs), cela a souvent chauffé entre nous. Ce fut difficile de grandir, entre mes crises d’ado et nos crises d’égo. J’ai toujours eu de la chance : tout m’a aidé. Même mes dépressions m’ont aidé. C’est une manière de voir que j’ai apprise au contact de Maurice. » [4]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197

 

 

Croissance :

« Quand on entre dans la compagnie et qu’on a 19 ans, on a un orgueil incroyable. Je me disais : dans deux ans, je serai l’étoile de cette compagnie. J’ai pris beaucoup de coups dans la gueule, j’ai dû apprendre, apprendre l’humilité, comprendre ce que Maurice voulait. Grandir, c’est passer par la souffrance. Si j’en suis là aujourd’hui, si je peux faire ce que je fais aujourd’hui, c’est parce que tout au long de ma carrière, j’ai été aimé. » [5]extraits d’une rencontre avec le Points-cœur d’Athènes le 16/09/2019

La compagnie :

« Des danseurs venant de toutes les parties du monde, où toutes les nationalités sont représentées, avec des cultures différentes qui se mélangent et s’enrichissent. Une compagnie à l’image du Monde, avec une polyvalence de styles, où chaque personnalité nourrit la compagnie. Il n’y a pas de hiérarchie chez les danseurs. Un soir, un danseur peut être le 1er ballerine du Boléro, et le lendemain se retrouver dans le corps du ballet. J’ai des danseurs de tous les âges, de toutes les tailles, de toutes les formes … Il faut une capacité à savoir transmettre et enseigner :  Je chorégraphie à partir de mes danseurs : c’est pour eux tout ce travail, et toute ma vie … » [6]extraits d’une rencontre avec le Points-cœur d’Athènes le 16/09/2019

« La danse permet de voir les gens tels qu’ils sont. Si a l’intérieur il y a une pureté, une fragilité, une vulgarité. Et tous les êtres sont beaux quand ils dansent. Quand un être danse, on voit beaucoup de lui. C’est à travers le mouvement que l’être se découvre. C’est la vérité qui me touche. J’ai besoin d’aimé et d’être aimé, c’est une question de confiance. Ça me fait plaisir de transmettre un ballet, de le voir être incarné par un danseur, et de voir comment le ballet reprend vie à travers d’autres. Ces ballets, je ne les ai jamais vus parce que je les ai dansés. » [7]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197

La source :

« La danse, ce n’est pas quelque chose que l’on doit apprendre, c’est avant tout ressentir. Il ne s’agit pas de comprendre mais de chercher …1 Je peux être très vite porté vers le haut, et très vite porté vers le bas. Mes danseurs parfois me tuent, ils veulent tous exister en tant que danseurs, la carrière est si courte, et en tant que directeur, je me demande « comment je vais faire pour nourrir tous ces gens ? ». Et quand ça marche, je reçois une énergie nouvelle car je les vois heureux, et cela me rend heureux. » [8]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197

Création :

« J’essaye d’être là. Quand je vois un vol d’oiseau, j’essaye d’être là. Vous avez vu comment les choses se dessinent ? Tout est mouvement. Les ballets que je fais sont des recherches intérieures. Je traduis à l’extérieur ce que je ressens à l’intérieur. J’aime qu’on regarde les artistes pour ce qu’ils font. Les choses viennent naturellement à moi, c’est tout simple. Tout simple par rapport au fait que les choses arrivent et qu’il faut les accepter ainsi.

Le futur :

Chaque création est une remise en question, et la compagnie n’est jamais stable. C’est un groupe humain qui change tout le temps, certains vont rester 1 an, d’autres 15 ans. Je ne sais jamais qui j’aurai la saison prochaine. Parfois je crée pour un danseur, et il s’en va après. Parfois, on a l’impression d’être trahi, d’être utilisé. Avant, j’avais de la rancœur. Maintenant, quand les gens s’en vont, je les oublie. On ne peut pas ne pas être blessé. C’est un don d’amour. Quand on fait une chorégraphie sur un être, c’est pour le mettre en valeur, c’est parce qu’on l’aime totalement… En vieillissant, j’ai pris l’habitude, et je repars. » [9]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse  le 09/03/2019 … Continue reading . « J’essaye d’apprendre à laisser les autres vivre leur vie sans en être le centre. Arriver à se détacher de ce désir de possession. Je suis obsédé par ma compagnie, mais je ne me sens pas la posséder, je me sens au service. La compagnie n’est jamais établie, chaque année est une lutte, chaque saison est une difficulté pour exister. J’essaye d’être vivant. Essayer de se découvrir, trouver une vérité. J’ai fait ce métier pour apprendre à vivre avec les autres. J’ai toujours eu du mal avec les mots, tandis que mon corps s’exprime plus facilement. » [10]interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197

« Devenir l’autre et non pas dépeindre l’autre ». Les mots de Maurice Béjart commentant son ballet des « 7 danses grecques » résonnent à nos oreilles. Ainsi que les applaudissements de plus de 9000 personnes présentes ce soir-là dans le cœur d’Athènes. C’est un vibrant hommage que le BBL a rendu au peuple grec, hommage à ses racines, à sa culture, à l’heure où cette terre humiliée peine à se relever. Quand la beauté, l’intensité de ces corps livrés sur scène nous inspirent pour en faire tout autant dans notre propre vie. Nos chaussons de danse ont une couleur qui nous est propre, mais c’est tout autant le même ballet que nous tentons de danser : celui d’une humanité qui crie, s’émerveille, reprend vie …

 

References

References
1 interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse  le 09/03/2019 https://www.rts.ch/info/suisse/10276446-sur-les-pas-de-gil-roman.html?fbclid=IwAR0hu8796POd4_39hYp11JmtCDtxkoXMm-0wrzNIR-BrWW6kZfLUfBEXGls
2, 3, 4, 7, 8, 10 interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse le 21/12/2018 https://www.rts.ch/play/radio/entre-nous-soit-dit/audio/gil-roman-directeur-du-ballet-bejart?id=10051197
5, 6 extraits d’une rencontre avec le Points-cœur d’Athènes le 16/09/2019
9 interview avec Gil Roman à la Radio Télévision Suisse  le 09/03/2019 https://www.rts.ch/info/suisse/10276446-sur-les-pas-de-gil-roman.html?fbclid=IwAR0hu8796POd4_39hYp11JmtCDtxkoXMm-0wrzNIR-BrWW6kZfLUfBEXGls
Vous aimerez aussi
Crystal Pite, danser au cœur du conflit
L’art rend l’âme capable de se retourner vers le Bien
Madrid, une lutte nécessaire pour un enseignement libre et valable
Pina Bausch-Sacrifice et vie

1 Commentaire

  1. Frédéric

    « J’essaye d’être là. Quand je vois un vol d’oiseau, j’essaye d’être là. (…) Les choses viennent naturellement à moi, c’est tout simple. » wow! J’essaye d’être là… Tous un programme… Génial, merci…

Répondre