Plusieurs initiatives ont vu le jour ce week-end en Roumanie à l’occasion du 135-ème anniversaire de la naissance de Iuliu Hossu, le 30 janvier 1885. Cet homme – l’un des 7 évêques martyrs gréco-catholiques béatifiés le 2 juin dernier par le pape François à Blaj – (voir notre précèdent article ici) s’est vu tout récemment dédier le film « Cardinalul », relatant quelques épisodes de sa vie et tout particulièrement son temps en prison durant le communisme, pour rester fidèle à sa foi et à l’Eglise catholique.
Ce film, s’il comporte quelques inexactitudes historiques, a néanmoins le mérite de dévoiler au grand public l’histoire du bienheureux cardinal. Ce qui transparaît, paradoxalement, dans sa vie marquée par un long temps d’emprisonnement – il est d’abord interné au pénitencier de Sighets de 1950 à 1955, puis assigné à résidence de longues années, jusqu’à sa mort le 28 mai 1970 – c’est une souveraine liberté intérieure. S’il ne cède jamais aux pressions des bourreaux qui cherchent à le faire plier et renoncer à l’appartenance à son Église gréco-catholique, il restera aussi pleinement libre face aux hommages qui lui seront rendus à la fin de sa vie : nommé cardinal in pectore (en secret), il refuse de se rendre à Rome pour recevoir ce titre, sachant qu’il ne pourra ensuite revenir en Roumanie auprès de ses fidèles.
Au fond, ce qui dicte sa conduite, c’est la primauté de sa conscience : rien ne peut acheter sa liberté, ni la torture, ni les honneurs. Ce qui est premier pour lui, en toute circonstance, c’est la fidélité à une Personne, celle du Christ ; et ce qui importe, c’est d’agir en conséquence. Ainsi, son incarcération n’est pas un empêchement pour vivre sa mission d’évêque : plus que jamais, il rend témoignage à Dieu et « donne sa vie pour ses brebis ». L’anecdote du film, qui montre la guérison d’un enfant par son intercession, n’est pas basée sur des faits historiques. En revanche, durant son emprisonnement, il n’aura de cesse de visiter son diocèse « en esprit », refaisant mentalement les nombreuses visites apostoliques vécues durant son épiscopat, quand il pouvait encore se déplacer d’un village à l’autre. Il y a pour lui un lien invisible mais réel entre sa vie, qu’il donne au goutte à goutte et le peuple qui lui est confié : les sacrifices qu’il offre pour ce peuple, son soulagement, son salut, sa rédemption.
Cette constance n’est ni entêtement, ni simple héroïsme ; elle confond ses bourreaux car elle manifeste quelque chose de plus profond : l’adhésion à la personne du Christ, à sa destinée, à sa mission. Ainsi, Iuliu Hossu, lorsqu’il entre dans sa cellule pour la première fois remercie le Christ de l’avoir rendu digne d’avoir part à ses souffrances. Comment ne pas entendre, en écho, ces mots que Jean Anouilh met dans la bouche d’un autre homme souverainement libre, Thomas More, alors qu’il est emprisonné pour avoir refusé de signer le traité reconnaissant le roi Henri VIII comme chef de l’Eglise d’Angleterre ? « Quand cette porte s’est refermée sur moi, je me suis senti libre, pour la première fois. » [1]Jean Anouilh, Thomas More ou l’homme libre, la Table ronde, Paris, 1987
Cette liberté intérieure est participation à la liberté du Christ qui se donne : « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Un épisode de sa vie le manifeste particulièrement : au moment où les habitants de Nazareth veulent le faire mourir en le précipitant au bas d’une falaise, l’évangéliste relate : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ». [2]Luc 4, 30. Et Romano Guardini commente : « Au milieu de ce tumulte, apparaît, légère, silencieuse, irrésistible, la liberté de Dieu qui fait glisser toute violence humaine et qui ne peut être enchaînée par rien, si ce n’est sa propre heure qui sonne » [3]Romano Guardini, Le Seigneur, Méditations sur la personne et la vie de Jésus-Christ, Alsatia, Paris, 1945
Ce qu’un autre homme de théâtre, Claudel, traduira par cette phrase, prononcée par Violaine, dans L’annonce faite à Marie : « Je suis libre, […] c’est un Autre qui me mène » [4]Paul Claudel, l’Annonce faite à Marie, Gallimard, 1912. Repris en « Folio » en 1972
N’est-ce pas ce dont témoigne Iuliu Hossu par sa vie ?
Trailer – avec traduction en anglais – du Film Cardinalul
References