Après la tragédie du 4 août qui a détruit Beyrouth, la blessure est toujours aussi béante, la douleur aussi profonde, et la colère bien immense. Parce qu’il est interdit d’oublier, et parce qu’à la fois l’espérance pousse à une urgence de se relever, à un besoin de consoler, dimanche soir a retenti au cœur de Beyrouth un mélange de musique classique et libanaise. Le concert « Recollect Beirut » a eu lieu au palais Sursok. 300 participants, musiciens et chanteurs se sont produits pour ce concert dédié à tous les beyrouthins, spécialement à toutes les familles des victimes.
Recollect Beirut, Palais Sursock, dimanche 20 septembre
Pourquoi consoler à travers la musique?
Fadia Tomb el Hajj, solliste qui a chanté « Li Beirut » au début du concert, affirme à la chaîne de television LBCI : « la musique est un baume, elle éradique la douleur de notre cœur, pas seulement pour nous les musiciens, mais pour chaque être humain. Dans ces moments douloureux, nous avons plus que jamais besoin d’écouter de la belle musique qui chasse de notre cœur cette angoisse du traumatisme que nous vivons au Liban avec cette explosion. C’est pour cela que le répertoire de ce soir est comme une prière, qui nous sort de nous-mêmes et est offerte à l’intention de toutes les victimes qui sont mortes ou qui ont souffert de cette explosion. Personnellement, j’étais présente pendant l’explosion et j’ai vu de mes propres yeux la mort, les blessés, tout se détruire devant mes yeux. La musique nous sauve, elle est un baume et un remède pour nous. Je ne peux pas dire que notre musique de ce soir porte un message en particulier, sinon qu’elle est pure consolation, ni plus ni moins. Nous vivons une lourde épreuve, et l’important c’est de se relever petit à petit, sans sombrer dans le désespoir, mais d’aller toujours de l’avant, à travers des petits pas d’espérance. Nous savons qu’après la mort, nous attendons la résurrection, et aujourd’hui, la résurrection du Liban en particulier ».
Guy Yazbek, un des organisateurs expliquait également : « Le message de ce concert est d’une grande richesse, car il comporte en soi plusieurs messages. Avant tout, nous voudrions à travers ce concert, consoler. Il y a eu des victimes, des disparus, des personnes qui ont tout perdu en 1 seconde (maison, travail, famille…). Tous ceux qui ont travaillé avec nous pour l’installation, ce sont des personnes qui ont tout perdu, mais qui sont venus préparer avec nous ce concert pour affirmer qu’après ces pertes, nous essayons de nous relever pour tout reconstruire de nouveau, c’est le deuxième message. A tous ceux qui ont perdu la vie lors de cette explosion nous voulons dire que, pour eux, nous voulons reconstruire notre Liban, et ceci à travers notre culture et notre musique. Car la culture et la musique sont le langage de la communion. Le Liban est plus que jamais divisé et déchiré par les disputes des hommes politiques qui n’ont pu faire aucun pas pour consoler les familles des victimes. Donc c’est à nous, le peuple, à travers notre culture et notre musique, de nous tenir debout aujourd’hui, ici, au palais Sursok qui respire notre culture, pour les consoler et dire à tout le Liban éprouvé que nous reconstruirons tout. Et le troisième message c’est que nous n’oublierons jamais ce drame qui a détruit le cœur de Beyrouth ».
« C’est une sorte de mosaïque musicale qui part du religieux vers le traditionnel, vers le libanais, du classique vers l’oriental », précise M. Mainguy
Pourquoi le palais Sursock ?
Les Sursocks sont l’une des plus grandes familles grecques orthodoxes du Liban, descendant de marchands qui ont fui le sac de Constantinople en 1453. Ils ont reconstruit leur fortune, avec des palais, des terres et des investissements industriels au Liban. Ce joyau architectural du XIXème siècle construit par cette famille à Achrafieh a résisté face aux deux guerres mondiales, à la guerre civile libanaise et, par son architecture, il est témoin de l’époque Ottomane, du mandat français et de l’indépendance du Liban… Aujourd’hui, transformé en musée, il regroupe de magnifiques œuvres d’art. Malheureusement, l’explosion du Port l’a complètement détruite. Une partie du cœur des beyrouthins, de leur histoire et de leur culture a été soufflée avec sa destruction. Mais malgré cela, le désir de se relever réanime le cœur des Libanais pour poser un geste d’espérance, en ce lieu si significatif, affirmant à travers la musique que le désespoir et la mort n’auront jamais le dernier mot.
Le palais Sursock avant l’explosion
Yvonne Sursock Cochrane [1]née le 18 mai 1922, fille unique d’Alfred Bey Sursock, aristocrate libanais, et de Donna Maria Theresa Serra di Cassano, fille de Francesco Serra, 7e duc de Cassano. En 1946, elle épouse Sir … Continue reading , « mémoire de la capitale libanaise » et figure emblématique de la défense du patrimoine architectural de Beyrouth, est décédée à l’âge de 98 ans, pendant l’explosion, alors qu’elle se trouvait au palais familial qui a également été endommagé : ses portes ayant été arrachées, ses vitraux brisés et ses panneaux en bois de l’époque ottomane balayés.. Elle a dédié sa vie à la préservation du patrimoine architectural de Beyrouth malmené par 15 années de guerre civile, suivies d’une longue ère de reconstruction sauvage et chaotique du centre-ville qui ne ressemble pas du tout à l’âme de la vraie Beyrouth et que Lady Cochrane a toujours dénoncée comme un « massacre archéologique ».
Photo d’yvonne sursok, Lady Cochrane
Le répertoire, une prière d’offrande
250 personnes de différents chœurs (de l’Université Antonine, de l’Université Notre Dame, du chœur Al-Fayhaa) et un orchestre de 30 musiciens ont participé au concert. Chrétiens et musulmans ont unis leurs voix, à travers la musique de Mozart, Bach et Feiruz. D’émouvants témoignages de soutien ont été envoyés par des Libanais expatriés ou immigrés : « Qu’est-ce qui s’est passé ce 4 août dernier afin qu’ici, nous, Libanais immigrés en Australie, nous n’arrivions plus à dormir ? Nous qui, a priori, pensions avoir fondé notre vie ici en Australie. Je me suis rendue compte que nous avions fui et non immigré, que nous avions enterré et gardé une partie de nous-mêmes, qui n’a jamais cessé d’être toujours vivante, au Liban ».
Intérieur du palais Sursock après l’explosion
Le pianiste Zaid Dirani et le compositeur Gabriel Yared ont également présenté deux pièces : To Beirut et The English patient, accompagnées de photos de la capitale qui, ayant traversé toutes ces épreuves n’a pas été brisée dans son âme. À travers l’« hymne de Beyrouth », un hommage a été rendu également à toutes les petites mains, tout particulièrement les jeunes, qui ont pris leur balais et, à travers leurs humbles moyens, sont venus au secours des beyrouthins, animés par la grande générosité de leur cœur, dans l’enlèvement des gravats et la fourniture de repas.
La musique de l’artiste Tania Saleh « fenêtres de Beyrouth » a ramené les Libanais à la beauté des arcades et au charme des anciennes fenêtres de la capitale, avant l’explosion. Des poèmes de Gibran Khalil Gibran et une magnifique prière d’Amin Maalouf ont été également proclamés: « prière vers le Ciel pour que le Liban puisse cette fois encore se remettre debout, et relever ses murs, et panser ses blessures, qu’il sache surmonter sa détresse, sa douleur et son abattement ». Des photos des victimes de l’explosion ont été plantées dans le jardin du palais, submergé par le silence et le recueillement.
Photos des victimes dans le jardin du palais
Le Père Khalil Rahme, chef d’orchestre et directeur de la Chorale affirmait à la LBCI : « à travers notre musique, notre silence et recueillement aujourd’hui, nous souhaitions dire aux victimes toute notre communion depuis la terre. Ils sont au Ciel, et nous, depuis la terre, nous nous unissons à eux à travers le Requiem de Mozart, reprenant conscience de cette communion qui nous unit à eux, demandant leur intercession. Nous sommes unis avec eux dans le même cœur, Celui de Dieu. »
Concert Recollect Beirut à partir de la minute 14’50
References
↑1 | née le 18 mai 1922, fille unique d’Alfred Bey Sursock, aristocrate libanais, et de Donna Maria Theresa Serra di Cassano, fille de Francesco Serra, 7e duc de Cassano. En 1946, elle épouse Sir Desmond Cochrane, 3ème Baronet |
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Élie Saab (couturier libanais de renommée internationale), son atelier étant juste en face du port, avait tout perdu le jour de l’explosion. 1 mois après, il pose un beau geste d’espérance et lance une nouvelle collection de robe qu’il nomme « Beyrouth, Source éternelle ».
Cette collection célèbre Beyrouth avec ses plaies et ses rires, sa résilience et sa gloire, saluant à travers elle l’absolue divinité de l’éternel retour. Enfant de la guerre et d’un pays incertain, Elie Saab connaît mieux que quiconque cette force qui vous vient quand on croit avoir tout perdu, insufflée par l’amour qui dicte de ne jamais abandonner ce que l’on aime.
Voici la video sur you tube de la collection : https://youtu.be/WWHNJiJKjZ4