Artisan fleuriste et meilleur ouvrier de France, Jacques nous parle de son métier qui suscite en lui et autour de lui émotion et étonnement. Tenant une boutique « Art et Végétal » dans Paris, il nous dit combien son métier ne cesse de le surprendre par sa richesse. Il est auteur d’un livre « Newlands astromorphorganique », dans lequel il ne cherchait pas d’abord une esthétique mais une expression, à travers images et textes.
Pourriez-vous nous présenter votre métier d’artisan fleuriste ?
Donner la meilleure expression possible, à travers un arrangement. Ce n’est pas seulement vendre la fleur telle qu’on la reçoit ou l’achète. C’est lui donner le plus bel éclat, donc par une technique de travail et une façon de l’accompagner avec d’autres éléments ou fleurs. Artisan fleuriste c’est aussi créer, étonner, surprendre à travers certaines techniques, ce qui permet de faire la différence avec un vendeur ou un marchand de fleur.
Quel est votre parcours personnel et professionnel ?
D’abord, j’avais l’intention de devenir agriculteur. J’avais grandi à la campagne et à la ferme. J’ai été orienté vers l’horticulture avec une alternance d’étude et de stages chez des professionnels, j’ai beaucoup aimé ce passage-là. Il se trouve que j’ai rencontré une fleuriste qui était la femme d’un horticulteur, et c’est elle qui m’a un peu orienté, en voyant un potentiel pour moi dans cette branche-là. À la suite de cette formation, je me suis orienté vers le BAP de fleuriste. J’ai rencontré des gens, des fleuristes qui m’ont orienté vers la compétition. J’ai commencé par les Oscars, les éliminatoires de département île de France, coupe de France et des compétitions internationales. C’était au début de ma carrière, j’ai eu quelques titres, j’ai participé à beaucoup sans titre. Ensuite, il y a eu un grand vide, j’avais acquis un magasin et avais moins de temps. Un jour, une amie est venue me trouver alors qu’elle participait au concours des meilleurs ouvriers de France, et me demanda si je voulais le faire. J’y réfléchis, et finalement au bout de quinze jours, je lui dis que je voulais le faire mais à condition de reprendre l’ensemble des concours. J’ai repris les éliminatoires de région, la coupe de Paris, la coupe de France, j’ai fait le prestige d’or, de diamant, la coupe d’Europe. J’ai participé aux éliminatoires et à la finale de meilleur ouvrier de France.
Né et à naître, averse de paix infinie
Vous êtes meilleur ouvrier fleuriste de France, en quoi cela consiste ?
C’est un titre qui est assez reconnu par le grand public. On parle beaucoup du meilleur ouvrier de France, cuisinier, pâtissier, chocolatier, œnologue…dans notre métier on commence à en parler, c’est un titre qui est aussi valable que pour ces gens-là. Avec autant de difficulté à l’avoir que pour eux. Je pense que ça porte aux yeux du grand public. Je ne le mets pas toujours en avant, j’aime bien la discrétion, mais je suis très heureux d’être meilleur ouvrier de France. Je suis issu d’un milieu très modeste. Mon père était artisan couvreur, zingueur. Il était un véritable autodidacte puisqu’à l’origine il était agriculteur. Petit à petit il a monté son entreprise et il a bien avancé. Quelque part, ce titre, c’était lui montrer que moi aussi, je pouvais le faire à mon tour, même si je ne l’ai pas vraiment pensé comme ça au début, mais malgré tout c’était pour lui une fierté, donc c’est important. C’est important aux yeux de ma famille que je puisse obtenir ce titre.
Votre magasin s’appelle « art et végétal », quel est votre rapport à l’art et au végétal, ou encore à la créativité et la matière ?
La matière, je ne dirais pas que végétale, mais en général, la matière me parle bien. Quand j’enseigne, je dis souvent à mes élèves : « c’est la matière qui nous guide, donc c’est elle qui va nous amener sur une expression, sur l’identité d’un végétal, d’une matière, sur sa façon de s’exprimer à travers nos mains. » Pourquoi art et végétal ? Car au début je cherchais quelque chose qui représente un peu ça et je trouvais que l’association des deux était bienvenue, bien en accord. Alors je ne parle pas du bouquet au quotidien, mais quand on donne la meilleure expression possible à un végétal, qu’on lui donne toute son ampleur, toute sa personnalité, ça veut dire qu’on réussit à donner le meilleur d’elle-même. Donc, je pense, un peu comme l’art dans la sculpture, la peinture, par l’expression des lignes. Le meilleur, ne veut pas dire forcément lui donner le meilleur éclat, mais ça veut dire aussi qu’on a réussi à étonner avec une façon de s’exprimer avec elle. Lorsque j’arrive à lire dans une sculpture certaines choses que l’artiste n’a peut-être, lui-même, pas vu, finalement, j’ai l’impression d’entrer en relation avec une histoire. Une histoire acquise par l’artiste au fil des ans. Quelque part l’artiste qui arrive à émouvoir avec la matière est pour moi quelqu’un de très sensible. Il a compris qu’une expression pouvait créer une émotion.
D’abord si frêle, maintenant si réel, le printemps comme un vieux frère
Quelle est la part de l’imaginaire dans votre travail ?
Je travaille beaucoup dans l’imaginaire, lorsque je compose pour des évènements, ou des concours. Je ne parle pas du bouquet plus commercial qui est aussi un aspect de mon travail. Dans des représentations ou expo, on a un peu plus de place pour l’imaginaire. On va construire des bases, des structures qui vont être une expression du végétal. Ma façon de procéder comme je le dis à mes jeunes (en cours) : « Nous avons un projet, dessinez-le, faites un croquis et racontez une histoire. » Parce ce que dès que vous créez une histoire avec un fil conducteur et bien vous aurez déjà cinquante pour cent de l’arrangement ou de la composition qui sera faite, parce que tout va s’enchaîner, parce qu’avec un fil conducteur on donne vie à l’histoire. Certes cette histoire va être propre à celui qui crée mais elle va donner une émotion à une personne ou un autre groupe de personnes parce qu’il y a à la base cet effort de créer une histoire, alors que si on pique des fleurs de-ci de-là pour que l’esthétique soit bien, vous n’avez pas créé la même chose que quand quelque chose a une expression.
Pourriez-vous nous partager une de vos expériences dans l’une de vos créations ?
Ce qui m’a le plus apporté dans ce métier était à travers une expo. Le jour où un galeriste est venu vers moi et m’a dit : « Nous allons faire une exposition, le jardin des sentiments, est ce que vous pourrez nous créer des compositions florales ? » Le thème me plaît bien, mais à force d’y réfléchir, le problème c’est que je ne voyais pas de fleurs ! Je voyais plein de matière mais je ne voyais pas de fleurs. J’ai donc créé un arbre avec des feuilles très différentes de formes et de couleurs. Elles étaient toutes à égale hauteur et parfois une branche montait plus haut ou plus, cela représente pour moi, les sentiments humains. C’était tous ces sentiments qui sont à l’intérieur de chaque être et, on ne sait pas pourquoi, un jour il y avait un sentiment qui venait un peu plus haut, ou un plus en retrait. Et là tout d’un coup, l’individu se modifiait. Grâce à ce métier, j’arrive à exprimer ces choses.
Symphonie brossée par le vent
Voyez-vous un lien entre votre métier et la compassion ?
Quelque part ce métier nous amène à rencontrer plein de gens, qui viennent chercher un bouquet pour des occasions très différentes, et parfois bien sûr on est confronté au deuil. On est confronté à des situations, et parfois les gens s’épanchent. Le dimanche, j’ai beaucoup de gens qui viennent discuter de choses et d’autres et parfois on a des discussions assez profondes et je trouve qu’on va loin, je trouve que ça permet de rentrer un peu plus dans leur vie à travers ce métier. On devient parfois des confidents, donc confidents, compassion. On se rapproche d’eux et l’aspect commercial est plus atténué. Certes, on est là pour faire du commerce mais aussi pour apporter un peu de poésie à leur vie. Chez celui qui vient acheter des fleurs, il a déjà de l’empathie pour celui à qui va l’offrir, il pense que c’est un moyen de rentrer en communication, il pense que c’est un moyen d’atténuer sa peine, ou il pense que c’est un moyen d’apporter de la joie. Quelque part la fleur à une très belle image pour celui qui vient et qui souhaite rentrer dans l’émotion avec l’autre personne. Je pense que « dans ce monde de brutes », c’est une belle façon de communiquer malgré tout. Ce n’est pas de l’alimentaire, c’est quelque chose qui fait appel à l’émotion, au ressenti… ça va plus loin.
Que pourriez-vous dire aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le métier ?
Courageux, volontaire, persévérant, travailleur. Aujourd’hui, c’est surtout persévérant et travailleur parce qu’on n’acquiert pas ce métier en quelques semaines de stage. Ce métier s’apprend au fil du temps. J’ai le sentiment, même au bout de vingt ans de métier de continuer à apprendre. Je reste toujours émerveillé par les végétaux, par certains que je découvre encore. Je reste toujours en éveil sur ce métier, continuer à m’informer, lire, laisser entrer toutes les informations, laisser vous envahir par ce métier, parce qu’il est riche, très riche. Quand je dis volontaire, je sais que j’ai accepté des travaux que je ne m’imaginais pas faire. Je trouvais que c’était assez loin de mon métier mais finalement tout est lié. Mon métier m’a amené à faire de la scénographie, ce qui est complètement incroyable. Je crois qu’il faut laisser la porte ouverte à tout ce qui vient. Il faut laisser cette part là au client, à sa demande, chaque fois c’est un challenge. Quand on laisse la porte ouverte on doit être prêt à être étonné. Laissez la porte ouverte à l’étonnement, à la surprise.
Pourriez-vous nous dire quelque chose sur votre livre ?
Il y a le photographe, le directeur artistique et moi pour la partie végétale mais aussi pour les textes. Parce que comme j’ai parlé là, j’ai voulu apporter une expression, dire un ressenti, qui permet d’interpeller quand on regarde. Ce n’est pas forcément esthétique, d’ailleurs, je n’ai pas voulu que ce soit esthétique, c’était plutôt une expression. Ce livre a pris deux ans, pour une photo c’était parfois une demi-journée, voir une journée. Ensuite c’était des semaines de réflexions sur le sujet. Par exemple il y a un sujet qui m’a pris plusieurs semaines de réflexion mais pour lequel a la création m’a pris 2h-3h, c’était génial parce que c’est là qu’on se rend compte, que plus on pense, plus on réfléchit à un sujet, plus l’expression est à son apogée. C’est réinterpréter, parler d’autre chose avec le végétal. Quelque part c’est pour redécouvrir certains végétaux, parce que bien souvent, on ne voit que l’aspect esthétique, bien souvent on voit que la fleur, alors que dans un végétal, il y aussi la tige, la racine, la feuille, il y a plein de choses qui sont intéressantes. Mais on a fait en sorte que vous soyez dirigé vers le côté esthétique, la couleur, la beauté de la fleur. C’est un peu comme dans le monde où l’on vit, on aurait tendance à vous amener vers quelque chose, pour satisfaire votre appétit de la beauté alors que vous pourriez faire l’effort de fouiller ailleurs et découvrir tant de beauté, mais moins évidente. Quand on pense comme ça on peut trouver des choses qui nous font du bien sans que ce soit si marqué. J’ai toujours aimé regarder, observer les choses, j’y découvre une âme, quelque chose d’autre, car il y a « voir » et « regarder ». Parfois, j’essaie de faire la différence là.
Quelle est la différence entre voir et regarder ?
Pour moi, on voit quelque chose, on voit l’esthétique, la couleur, l’équilibre…mais en regardant on peut découvrir autre chose. C’est à dire qu’à l’intérieur de ce qui peut nous apparaître comme parfait, on peut redécouvrir, une âme, un style, quelque chose qui s’anime à l’intérieur de cet esthétique qui a encore plus de valeur. Bien souvent, on ne nous demande pas de trop regarder, on nous demande simplement de voir, et c’est pour ça qu’il y a beaucoup qui ne font que voir, et quand on ne fait que voir, on ne perce pas certains mystères.