Home > Arts plastiques > Caravaggio 2025 à Rome

Lorsque vous entrez dans la pièce, la première chose qui vous frappe est le regard confiant et presque hautain qu’elle lance au spectateur. Elle pourrait être une reine ou une princesse, elle pourrait être un assassin ou pire un tueur en série, elle pourrait être tant de personnes au destin tragique, mais la main sereine qui touche l’épée, les plis de ses vêtements mais surtout cette conscience paisible d’une mission qui se lit dans ses yeux, d’une mission qui doit être accomplie sont ce qui nous font voir en cette jeune femme non pas un assassin, mais Sainte Catherine d’Alexandrie qui se prépare à vivre sa passion, à accomplir sa mission.

 

 

Barberini

Au milieu des nombreux événements de l’année jubilaire à Rome, le Palazzo Barberini a décidé de sortir le grand jeu en proposant une exposition sur le Caravage, une véritable monographie avec 23 tableaux venus des quatre coins du monde et qui font la richesse de cette exposition.

Uniquement des tableaux du Caravage : certains exposés pour la première fois depuis des années, d’autres provenant de collections privées et même du roi Charles III qui a prêté une de ses œuvres qui fait partie des collections royales anglaises.

Madrid, Naples, Milan, Rome, New York, Londres sont quelques-unes des villes qui ont prêté leurs « capolavori » afin que cette exposition nous permette de voir les différentes étapes et le parcours que la peinture du maître a suivi au fil des ans : de l’arrivée à Rome pour tenter sa chance et où il a dû peindre sur des morceaux de bois ou des pigments volés dans l’atelier du Cavalier d’Arpino à la « corsa » illégale des mécènes qui ont menti et volé pour obtenir ses œuvres.

 

 

Roberto Longhi

C’est grâce à ce critique d’art que cette exposition peut voir le jour.

Dans les premières années du XIXe siècle, le Caravage était considéré comme un artiste à part, en contraste avec les autres. Benedetto Croce, ministre de l’Instruction publique du Royaume d’Italie le considérait comme l’antithèse de l’« angélique » Raphaël et ce n’est qu’avec l’arrivée de nouveaux historiens de l’art que notre peintre sortira de l’ombre. [1]Longhi e Caravaggio, artista moderno e popolare- Rai Scuola

Longhi voit en Caravage le premier moderniste, entamant une première approche scientifique qui permet de le découvrir et de le sortir de la poussière de l’oubli. Giorgio Vasari avait commencé par ce voile sombre et silencieux de ses œuvres, qui allait se banaliser au fil des siècles.

En 1911, il devait discuter de sa thèse de fin d’études sur cet artiste à l’université de Turin et, à partir de ce moment, il commença non seulement à le mettre en lumière, mais aussi à le mettre en relation avec d’autres artistes qui suivaient cette modernité caravagesque : Mattia Preti, Battistello Caracciolo, Artemisia Gentileschi, Jusepe di Ribera et tant d’autres.

Des livres, aujourd’hui nécessaires à la compréhension de ces artistes, comme « Quesiti caravaggeschi » de 1929, ou « Ultimi studi su Caravaggio e la sua cerchia » seront si importants dans l’histoire de l’art italien qu’ils culmineront dans la première exposition consacrée à l’artiste, au Palazzo Reale de Milan, qui sera la pierre angulaire de la naissance d’un nouveau regard sur la modernité et le baroque : « Caravaggio e i caravaggeschi » en 1951.

C’est grâce à Roberto Longhi que le « naturisme » que Caravage et les peintres qui se sont inspirés de sa manière de peindre ont loué, est passé d’une critique à une manière de lire la réalité et de comprendre l’esthétique moderne, qui désormais s’appuiera sur l’artiste, car comme l’a dit Longhi dans l’exposition de Milan : Caravage … « un peintre qui a cherché à être » naturel, compréhensible, humain, plus qu’humaniste, en un mot, populaire !

Mais une chose est également née de cette première exposition : la rencontre entre le maître du XVIe siècle et les jeunes qui, en entrant dans l’exposition au Palais royal ou en regardant les diapositives, ont rencontré pour la première fois une nouvelle forme d’expression, le drame du clair-obscur, un artiste tourmenté mais aussi béni, comme Pier Paolo Pasolini l’a toujours raconté.

 

 

Palazzo Barberini

L’exposition de cette année au Palazzo Barberini est donc avant tout un regard sur sa période romaine et la possibilité de voir ses œuvres de manière chronologique.

Un grand effort est au centre de cette exposition : ramener à Rome l’amour que le peintre portait à la ville éternelle. C’est à partir de son arrivée dans la ville éternelle et des derniers efforts physiques pour rejoindre Rome à la recherche du bateau qui l’avait abandonné à Porto Ercole que l’on découvre cette relation viscérale que le Caravage entretenait avec elle.

Et elle se voit et se découvre dans les peintures romaines exposées, où son modèle préféré est représenté dans la deuxième salle d’exposition.

Dans le cadre du « naturalisme », Caravage a toujours peint des modèles, et Fillide Melandroni était l’un de ses préférés. Trois tableaux nous permettent de voir Melandroni habillée dans le rôle de Madeleine qui se convertit grâce à la parole de Marthe, de Judith qui sauve son peuple en coupant la tête d’Holopherne ou de Sainte Catherine avant d’être décapitée.

Non loin d’elle se trouvent les deux portraits des membres de la famille Barberini qui ont eu des relations avec la courtisane la plus recherchée de Rome, mais aussi la plus énergique et la plus résolue.

Mais elle n’est pas la seule au centre de l’attention : les jeunes joueurs de cartes, les musiciens, la gitane qui lit l’avenir dans sa main, sont des œuvres qui nous permettent de voir la réalité des rues de Rome, une capitale pleine d’effervescence en ce moment de lutte contre le protestantisme et qui veut montrer non seulement sa grandeur mais aussi la dynamique d’une société ouverte à tout.

L’exposition nous permet d’entrer dans cet esprit, mais surtout dans l’histoire des personnages qui ont été saints, voleurs, martyrs ou assassins. Leurs visages, associés à ceux du peintre, se multiplient comme dans une galerie des glaces sur les différentes toiles.

Paul, Apôtre des Gentils

Si Catherine est statufiée et si le Narcisse qui commence à être dévoré par les eaux du lac peut être considéré comme parfait dans la composition et le drame représenté, l’occasion de voir la première « Conversion de saint Paul » pour la chapelle Cerasi de Santa Maria del Popolo est unique pour ceux qui ne possèdent pas de Caravaggio dans leur collection privée.

 

 

Ce tableau a été commandé en 1600 par Monseigneur Tiberio Cerasi pour sa chapelle funéraire située à côté de l’autel principal de l’église susmentionnée.

L’idée selon laquelle les tableaux auraient été refusés parce qu’ils n’étaient pas conformes à la théologie de l’époque, ou la présence du dos du cheval dans la conversion de saint Paul, ont fait couler beaucoup d’encre, mais il s’agit en réalité d’une tout autre affaire : Le Caravage, qui avait conservé les peintures dans son atelier, décida de les refaire, cette fois sur toile et non sur bois, parce que l’espace disponible à la fin du remaniement de la chapelle était inférieur à ce qui avait été établi.

Après avoir été vendue au cardinal Giacomo Sannesio, elle passa entre plusieurs mains jusqu’à ce qu’elle entre dans l’héritage de la princesse Vittoria Odescalchi-Balbi di Piovera, qui la conserva dans sa collection privée.

Le fait de pouvoir la voir exposée pour la première fois après presque deux décennies nous permet de voir le pouvoir de composition du Caravage, qui non seulement a un fondement théologique sûr et précis, mais nous permet également de comprendre comment, en suivant la tradition ecclésiastique, il peut composer dans un mélange de drame et d’acceptation le moment crucial de la vie de saint Paul.

Bien que dans la deuxième version, la version définitive qui se trouve aujourd’hui dans l’église Santa Maria del Popolo, la compréhension du moment exact de la conversion soit moins claire que dans la version présentée, le drame de l’appel du Christ, la peur du soldat qui accompagne l’apôtre, la rage du cheval en fuite, les mains ouvertes du Christ tenues par un ange sont un tourbillon de personnages centrés sur l’« appel » et la « réponse » d’un personnage à un autre. [2]Caravaggio e il suo tempo, Electa Napoli – 1985- pag. 39

Ce qui est frappant, mais présent dans toutes les autres œuvres du maître, ce sont les mains. Le tableau a une dynamique qui ne passe pas par les visages, la lumière ou même le cheval qui, dans la version finale, sera au premier plan, mais qui passe par la position des mains des différents acteurs du drame divin.

Comme le dit Davide Landoni à propos des mains du Caravage : « Ce sont des mains qui font des gestes inutiles, qui font partie de l’action, mais qui ne sont pas essentielles à celle-ci. Des ornements qui approfondissent la scène, qui caractérisent davantage le personnage, qui alimentent la redondance des signes comme les cercles dans l’eau. Ils ne sont peut-être pas là, mais ils sont souvent là. Et ils parsèment la scène de ce mouvement inquiet que le fiévreux Caravage distribuait dans chacune de ses créations » [3]Sono mani che compiono gesti non necessari, che rientrano nell’azione ma non ne sono indispensabili. Ornamenti che approfondiscono la scena, caratterizzano ulteriormente il personaggio, che … Continue reading

La première chose qui frappe l’œil est le contraste entre les mains ouvertes du Christ, qui semblent non pas appeler mais accueillir le futur apôtre des Gentils, et celles de saint Paul, qui sont croisées pour protéger. Mais ici se pose la première question car elles sont devant le visage et en même temps elles ne semblent pas tendues, elles semblent montrer ce que nous ne pouvons pas voir : l’acceptation sereine de la mission que Paul va recevoir.

Les deux autres mains en miroir sont celles de l’ange et du soldat. Tous deux tiennent quelque chose : le premier le Christ, le second une lance et un bouclier pour se défendre. Paul entend « Io sono Gesù il Nazareno, che tu perséguiti » [4]Actes 22, 3-16 et voit la lumière qui l’illumine non seulement intérieurement mais aussi extérieurement, le soldat qui l’accompagne ne voit rien de tout cela et c’est un geste normal pour se défendre, ses mains serrant violemment une arme qui ne peut pas l’aider face à ce qui se passe.

Le tableau, qui ressemble à un tourbillon de couleurs, de toiles et de personnages, peut finalement se concentrer sur ces quatre séries de mains : celles qui accueillent, celles qui reçoivent, celles qui accompagnent et celles qui se défendent, proposant à la fin non seulement un jeu de rôles, mais surtout proposant, comme dans tous les tableaux de Michelangelo Merisi, appelé le Caravage, de répondre par un « oui » personnel et unique à la mission, ou comme on dit en italien, « il compito » qui nous est proposé.

References

References
1 Longhi e Caravaggio, artista moderno e popolare- Rai Scuola
2 Caravaggio e il suo tempo, Electa Napoli – 1985- pag. 39
3 Sono mani che compiono gesti non necessari, che rientrano nell’azione ma non ne sono indispensabili. Ornamenti che approfondiscono la scena, caratterizzano ulteriormente il personaggio, che alimentano la ridondanza segnica come cerchi nell’acqua. Potrebbero non esserci, ma spesso ci sono. E disperdono su tutta la scena quel moto inquieto che il febbricitante Caravaggio distribuiva in ogni sua creazione. – Daviede Landoni, Artslife- 7. 06.2019
4 Actes 22, 3-16
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