Friedensreich Hundertwasser Photo Hannes Grobe 1998 |
Friedensreich Hundertwasser se traduit par « le Royaume de la Paix aux cent eaux ». C’est dire combien cet admirateur de Gaudi et de Le Corbusier,a voulu donner à l’architecture une dimension contemplative, poétique et artistique.
Hundertwasser, né en 1928 de mère juive, a beaucoup voyagé mais il resta toujours bien enraciné dans la culture autrichienne, en particulier dans l’esprit d’enfance et de renouveau du « Jugenstil » : « L’Autriche a besoin d’un centre bien ordonné, fondé sur des valeurs éternelles… comme la beauté, la culture, la paix intérieure et extérieure, la foi, la richesse du cœur… La pensée rationaliste de ce siècle nous a réduits à un standard de vie américain et éphémère au détriment de la nature et de la créativité qui est étouffée, cela détruit notre cœur, notre qualité de vie et notre nostalgie. […] L’Autriche a besoin d’une couronne, vive la monarchie constitutionnelle, vive Otto von Habsburg. »
Dans son manifeste écrit en 1958 « De la moisissure contre le rationalisme en Architecture », Friedensreich Hundertwasser se présente comme un médecin de l’architecture. Il s’élève contre la ligne droite qui est « gottlos », sans Dieu et immorale, car la ligne droite symbolise les schémas rationalistes, les préjugés et les idéologies qui enferment l’homme. Le rationalisme architectural brise la créativité et la spiritualité de l’être humain, divise les hommes entre eux et oppose l’homme à la nature. Hundertwasser essaie de retrouver l’unité entre la nature, les hommes et l’habitat. Les décorations colorées, les mosaïques, les arbres qui poussent à l’intérieur des bâtiments, le système de nettoyage biodynamique, l’absence de ligne droites et de sol plat, tout cela crée un espace où la personne est au centre, où il fait bon se promener.
Dans son manifeste, Hundertwasser propose aussi le « droit à la fenêtre », c’est-à-dire que chaque locataire doit avoir la liberté de modeler et de décorer sa façade et sa maison selon ses goûts, car chacun doit exercer sa créativité. Ce n’est que lorsque l’homme devient créateur qu’il peut découvrir sa propre identité et être source de communion. Il y a donc une dimension trinitaire dans la construction : « L’architecte, le maçon et l’habitant sont une Trinité comme le Père, le Fils et le Saint- Esprit. On observe une similitude, presque une identité dans la Trinité. Si l’unité entre l’architecte, le maçon et l’habitant est perdue, il n’y a plus d’architecture, comme on le voit aujourd’hui. L’homme doit retrouver sa fonction de critique et de créateur qu’il a perdue et sans laquelle il perd son humanité ».
De la paix et de la communion surgit la contemplation : pour Hundertwasser la fenêtre est le centre de l’architecture. La maison ouvre le regard : plus on se sent chez soi et plus on peut regarder au loin, être attentif à la nature et rêver un idéal : "Si quelqu'un rêve seul, ce n'est qu'un rêve. Si plusieurs personnes rêvent ensemble, c'est le début d'une réalité !"
Le 9 avril dernier, le Musée Hundertwasser a fêté ses vingt ans d'existence. Un bel endroit à visiter à Vienne (Untere Weißgerberstraße 13).
Pour découvrir : Pierre Restany, Hundertwasser, Le peintre-roi aux cinq peaux
Pour approfondir : Collectif, Hundertwasser architecture. Pour une architecture plus proche de la nature et de l'homme, Taschen.
Immeuble par Hundertwasserhaus à Plochingen en Allemagne. Photo Anita Hummel / Carl Williams
Façade d'appartements de Friedensreich Hundertwasser à Darmstadt en Allemagne. Photo Heidas
Friedensreich Hundertwasser à Blumau en Autriche. Photo Petra15
En prolongement aux propos du Père Jacques (que je salue amicalement), je voudrais humblement amener quelques éléments d'architecture…
On pourrait considérer la production architecturale de Friedenreich Hunderwasser comme une viennoiserie: une pâte fermentée à base de sucre, de beurre, de crème… La référence à l'architecture de Gaudi est inévitable: la filiation est évidente. Mais ce qu'a réalisé le maître catalan dépasse l'élève autrichien: la Sagrada Familia de Barcelone, désormais consacrée, est un véritable espace de célébration. Le divin y est manifesté à la fois dans la majesté de l'édifice (encore inachevé) considéré dans son ensemble et à la fois jusque dans chacun des détails pris isolément, subtilement amenés, divinement manifestés.
Un point fondamental que touche le Père Jacques concerne la référence à la trinité. La relation habitant – entrepreneur – architecte me semble effectivement essentielle pour assurer une composition architecturale à la mesure et selon l'unicité de chaque occupant. Ceci constitue une anti-thèse par rapport à la production d'espaces réalisés par des promoteurs immobiliers, vendus achevés, donc réalisés sans prise en compte de l'utilisateur. Avec la construction "clé sur porte" (ou "clé en mains"), la mesure de l'homme et ses attentes d'espaces à sa mesure sont gommés par des préoccupations uniquement pratiques et commerciales.
L'homme a besoin d'habiter des espaces à vivre, dans lesquels il peut ressentir, goûter, vibrer, s'exprimer. C'est là précisément que la dimension sacrée pourra être révélée. Ce que des Gaudi et Hundertwasser ont cherché à nous apprendre…