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Théo Angelópoulos ou la poésie au cinéma

de Silvia Cechetto       31 janvier 2012
Cinéma – Temps de lecture : 4 mn

Théo Angelópoulos, l’un des plus grands cinéastes contemporains, est décédé à Athènes, le 24 janvier à l’âge de 76 ans. Il était en train de tourner L’Autre Mer, dernier volet de la trilogie Eléni qui raconte les effets de la crise économique dans la vie quotidienne des grecs. Ses films, profondément contemplatifs et chargés de silence, sont une fresque de l’histoire grecque et de l’Europe.


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Il nous aura fait voyager comme personne, dans le temps et dans les paysages, à travers la matière et l'esprit. Il excelle, souvent dans un même mouvement de caméra, à convoquer des réalités et des époques différentes, à faire cohabiter le mythe et la réalité, le théâtre et l'histoire, l'imaginaire et le politique.

Theódorus Angelópoulos est né à Athènes le 27 avril 1935. Il était fils de petits commerçants. Il étudie le droit à l’Université d’Athènes mais peu de temps avant d’avoir le diplôme, il quitte son pays et part en France. C’était l’année 1961. « Je suis parti car je n’avais rien à faire avec le droit. Je voulais autre chose. Mais à cette période, en Grèce, les choses étaient assez difficiles. On sortait de la guerre. Il n’était pas facile de choisir et faire quelque chose de complétement différent de ce que faisait la famille. J’ai tardé à choisir, c’est pour cela que j’ai fait l’Ecole de droit. Mais, lorsque ma décision a été prise, je suis parti, sans rien, pour Paris. À l’époque on dansait dans les cafés. C’était incroyable, dans la rue on sentait la joie de vivre ! Ce départ a été décisif pour ma vie et ma carrière » C’est une époque où, à Paris, se côtoient tous les courants cinématographiques et où il rencontre de grands cinéastes comme Michelangelo Antonioni.

En 1964 il retourne en Grèce pour voir ses parents puis repart à Paris et y suivre un stage de cinéma. Mais, voyant les problèmes qui affligent son pays, il décide d’y rester et devient critique cinématographique pour un petit journal. « Moi, je suis un homme marqué par les événements. J’avais un an au début de la dictature de Ioánnis Metaxás ; j’avais 5 ans lors de la déclaration de la deuxième guerre mondiale ; j’avais neuf ans lors de la guerre civile en Grèce. Ma famille était coupée en deux. Mon père a été arrêté par mon cousin. Dans les années 50, il y avait les manifestations pour Chypre puis l’arrivée des Colonels. Je ne peux pas être en dehors de tout ça, c’est ma vie ! »

Ses premiers films sont empreints d’une certaine critique envers les gouvernements qui ont marqué son pays pendant le XXe siècle. Il le fait en utilisant un langage de sous-entendus qui passe inaperçu par le pouvoir en place. Lorsqu’il décide, dans les années 1970, de présenter « La reconstitution » à Berlin et à Rome, il doit cacher le film dans ses valises, parmi ses vêtements, sans utiliser des bobines métalliques pour qu’elles ne soient pas repérées lors des contrôles de sécurité. « Ce que je faisais c’était un acte subversif. En arrivant à Rome, j’ai rencontré des grecs qui avaient quitté le pays depuis un certain temps. Ils ont vu le film. Mais ils ne voyaient pas le film, ils voyaient la Grèce… et ils pleuraient ».

Pour tourner chaque film, il doit demander une permission et elle lui est accordée seulement si une commission gouvernementale juge que le scénario ne porte pas atteinte au pouvoir. Lorsqu’il décide de dénoncer clairement les excès du gouvernement – « Cette fois je voulais parler librement » – il va rencontrer le sous-Ministre des Informations qui était un ancien collègue de la faculté de droit. Il lui demande de lui donner la permission de filmer sans faire lire le scénario par la dite commission. Son ancien collègue accepte sans hésiter.  « Je pouvais tourner librement ! Pourquoi il a accepté ? Il m’a répondu ceci : Nous sommes très forts et n’avons pas peur de toi. Ce que tu fais n’a aucun sens pour nous. Je lui ai dit : Ecoute, ce film, je vais le faire quand même ». Le Voyage des Comédiens fut présenté à Cannes avec un très grand succès. « Jamais, je n’avais eu un tel accueil. Pour un film qui durait 4 heures c’était incroyable ! »

Tout au long de sa carrière il est animé par la volonté de faire de ses films un lieu où le spectateur travaille avec lui. Le cinéma pour lui n’est pas un passe temps. « Le cinéma exigeant qui demande aussi, à part les impressions extérieures, la participation mentale et émotive du spectateur mais à un niveau qui respecte vraiment le film qu’on regarde et la personne qui le voit, devient de plus en plus rare. »

“La nostalgie est la source de la création”, cette phrase d’Aristote, souvent citée par Angelópoulos, résume bien son œuvre. Ses films, remplis d’une poésie étourdissante, des longs plans conçus comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, de musique et de silence sont immensément beaux. Cette poétique s'amplifiera, lançant sur les chemins des personnages en quête d'eux-mêmes.

En 1998, il reçoit à l’unanimité la Palme d’Or pour le film « L’Eternité et Un Jour », un chef d’œuvre où la poésie et le cinéma se trouvent réunis de façon remarquable. Dans cette œuvre majestueuse il nous rappelle que ce ne sont pas les idéologies qui apportent l’espérance, mais l’enfant. « Demain, lundi, Alexandre rentrera à l'hôpital : "Quand la douleur deviendra insupportable", avait dit le médecin… En attendant, il met de l'ordre dans ses affaires. Il va quitter la vieille maison sur la mer où il a toujours vécu. Il retrouve des lettres d'Anna, sa femme morte depuis longtemps, et prend conscience de l'amour qu'elle lui portait. Cet amour qu'il n'a pas su voir. Les souvenirs défilent. Soudain, alors que Salonique se repose sous la pluie, il rencontre un enfant. Un petit Albanais. Alexandre va aider ce petit clandestin, lui faire passer une frontière. Il lui raconte l'histoire d'un poète grec qui vivait en Italie et qui, de retour en Grèce, acheta des mots aux gens du peuple pour écrire ses poèmes dans sa langue d'origine. Alors, pour aider Alexandre, le petit garçon va à son tour lui vendre des mots. Grâce aux mots, Anna va revenir, et avec elle la vie. Fût-ce pour une seule journée… pour l'éternité. »

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