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“Bailamos?” Tango : une conversation intérieure intense

de Natalia Fassano        20 avril 2012
Interview, danse, temps de lecture : 4 mn
 

John H. (NY), est un passionné de tango. Cela fait plus de dix ans qu'il s'y adonne. Il nous commente ce que cette danse argentine peut révéler des rapports humains.


CC BY-NC Gerard Stolk

John, comment le tango est-il devenu une telle passion dans votre vie?

En 1997, je suis allé au cinéma pour voir le film japonais Shall we dance? Cela m'a donné un intérêt tout nouveau pour la danse. Après quelques hésitations, j'ai trouvé le courage d'aller à un studio de danse et de m'inscrire pour des cours de danses de salon qui commençaient la semaine suivante. Le premier soir, deux danseurs professionnels ont fait une démonstration de tango argentin. Je ne pourrais jamais les oublier : il me semblait que les parties supérieures de leurs corps se déplaçaient ensemble, sereinement, tandis qu'au-dessous ils s’engageaient dans un vif combat à l'épée.  Je n'avais jamais rien vu de si étonnement, d'aussi enivrant que ce couple dansant le tango.

Est-ce que l'apprentissage de la danse vous a aidé à mieux vous découvrir vous-même?

J'ai du commencer par le tout début : pour danser, j'avais besoin de réapprendre à marcher, besoin d’apprendre ce qui est impliqué dans la prise d’un seul pas. J'ai commencé à prendre conscience de l'endroit où mes pieds étaient, où mon équilibre était, où je me trouvais à chaque instant. Ainsi comme lorsque l'on apprend une nouvelle langue en étant adulte, je devais redevenir un enfant afin d'apprendre à me tenir debout, à prendre mes premiers pas, à marcher, avant que je ne puisse commencer à réellement danser. Mais au contraire d'un enfant qui apprend par l'exemple et l'encouragement affectueux de ses parents et qui n'a alors pas peur de faire des erreurs, je me tenais dans une salle pleine d'hommes et de femmes, des étrangers, et j’ai compris combien j'étais maladroit. J'ai continué parce que mon désir d'apprendre était plus fort que ma peur de l'humiliation.

Qu'est-ce qui réside au cœur de cette danse intense?

Le cœur du tango est l'étreinte. Il y a des variations de l'étreinte, mais l'étreinte elle-même est objective. Ce n'est pas ma volonté ou mon inclination, voire l'expression de mes émotions. On rentre dans l'étreinte librement et on reste en elle librement. J’accueille l'autre exactement comme elle est : grande ou petite, jeune ou âgée, bonne danseuse ou non. Etant l’homme, je prends le rôle du leader, et mon partenaire de celui qui suit. Je trouve ces deux rôles plus profondément distincts dans le tango que dans n'importe quelle autre danse : si le leader ne peut pas conduire ou le partenaire ne peut pas suivre, la danse n'est plus le tango.

Qu'est-ce que cette conduite et cette suite vous disent sur les relations humaines?

Dans le tango, la suite est une écoute intérieure, une attention totale à l'invitation du leader. Celle qui suit, doit écarter complètement de son esprit toutes les idées qu'elle pourrait avoir sur l'endroit où elle placera ses pieds. Chaque pas qu'elle fait, chaque mouvement de son corps seront guidés à travers l'étreinte, au fur et à mesure que le leader interprète la musique. Elle devient la star de la danse à travers l'intensité de sa suite. La moindre hésitation de sa part ou le refus de se laisser guider, brisera à la fois le rythme de la danse et la concentration du leader.

Si suivre consiste à répondre sans hésitation, conduire consiste à délicatement inviter cette femme qui se confie à moi, avec le plus profond respect pour sa dignité et sa liberté. Quand une femme suit si intensément qu'elle répond à ma conduite comme si elle était une partie de mon propre corps, cette tâche bouleversante et difficile devient tout à coup sans effort.

Au cours de cette « communion » nous nous engageons dans une conversation intérieure intense : un aigle plane dans le vent à côté d'un rocher, compagnon silencieux des montagnes éternelles. La musique devient visible et tangible en elle.

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