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Rencontre avec saint Maximilien Kolbe à Auschwitz

De S. Jimenez.

Nous fêtons aujourd'hui saint Maximilien Kolbe, mort un 14 août à Auschwitz. Récit-témoignage d'une visite de la cellule 18 où il est mort de faim avec 10 autres compagnons pour sauver un père de famille.

 

Nous sommes si perplexes que même pleurer ne nous semble pas juste. Rien ne nous sort des entrailles.
Je ne suis pas d’ici, et toi non plus.
Je ne reconnais plus rien, ni même la pluie qui apporte les larmes.
Je fais un pas sur le côté. Je ne peux même pas commencer à raisonner. Les noms, les listes, les chaussures me brisent la tête. Les valises remplissent la pièce de cris silencieux et étourdissants. Une tonne de cheveux s’enlise dans ma gorge et l’air y passe à peine. Dans les couloirs, parmi les visages, l’un d’eux a les mêmes yeux que les tiens, mais elle, elle s’appelle Katherina Ivanhossolf et meurt à 13 ans. Toute sa beauté meurt à 13 ans. Et les couloirs deviennent infinis et sont remplis de visages, maintenant multipliés par trois. Même si je ne veux pas, tous les yeux maintenant ressemblent aux tiens.

Rien de tout cela n’est arrivé, se dit mon âme pour pouvoir continuer.
Rien de cela ne se passe aujourd’hui. Ni la faim, ni la torture, ni les ghettos – me dis-je aussi sans le croire.
Tout donne le tournis et la nausée. Est-ce que cette cour fait partie de mon monde ? Par où vais-je aujourd’hui ? Est-ce Auschwitz ? Est-ce la bande de Gaza ? Est-ce Puente Piedra ? Le Mont Chaqueño ? Ou, peut-être, les hauteurs du Mozambique ? Est-ce que cela fait partie de mon monde ?
Qu’est-ce que cela a à voir avec toi et moi ? Nous venons d’une autre planète et je viens déjà de si loin. Il se fait tard et la terreur commence à être monnaie courante. La pluie dans notre dos, nous entrons plus avant dans les lieux de détention et les fours crématoires, la torture et la chambre à gaz. Dès lors, nous ne pouvons plus rien distinguer. Tout est si obscur.
L’homme est si obscur. Maudit animal obscur. Ténébreux, plein d’obscurité, nourri d’ombre, né de la moisissure et de l’obscurité, rampant dans un monde qu'il ne mérite pas. Aveugle, le cœur rongé et obscur. Mille fois maudit.

J'avance à tâtons par les couloirs qui s’enfoncent dans la terre et qui aboutissent dans les recoins de l'homme. Dans la torture de la mort par la faim.
Mourir de faim. Et je fais un pas (pourquoi ? comment ?). Un autre (Pour quoi ?). Encore un autre (pour quoi ?).

Sans le prévoir, je déambule entre les milles pièces et au milieu de la désolation, j’arrive au numéro 18 et je rencontre celui qui soutient tout.
Ton foyer fait deux mètres et la lumière ne vient que de toi-même. De toutes parts, la douleur t’inonde. C'est toi-même qui t'es condamné à la faim et tu te livres ainsi jusqu'au bout. Tu n’as pas besoin de te présenter avec ta peau dans la main comme dans la chapelle Sixtine. Ton offrande est une photo, une famille.

Il ne te reste déjà que peu à parcourir du chemin de la faim. Deux semaines ont passé. Plus qu’une.
Par cette fenêtre que tu n’as pas, tombe sans cesse une cendre sombre et grise. Autour de toi, tout est folie, sauf ta faim. Tu aurais aimé faire plus. Je te dis que tu ne pouvais pas faire plus. Elle te console, peut-être, la fille de celui que tu ne connais pas, gambadant dans les prés derrière les papillons qui ne semblent pas exister dans ton monde souterrain. Tu l’imagines avec un regard bleu, le visage caressé par les rayons du soleil. Tu veux sourire, mais ta chair usée choisit de respirer.
Mais déjà cela importe peu car tout ton sourire vit de le même façon en toi.

Même si tu n’as plus le choix, le silence est préférable. Ton silence est un soufflet au silence du monde. Tu n'es plus qu’un seul cri.
Mon âme s’effondre, elle pèse, tombe avec la multitude et c’est ta main qui la soutient. Peut-être d’autres t’aident, même s'ils sont plus silencieux car plus anonymes.

Déjà il ne reste que peu du temps de la faim. Seulement quelques jours de plus… cinq, peut-être six. Ils semblent interminables. Ils vont passer…
Tes genoux tremblent, les pauvres. La peau sur les os… cependant tu soutiens tout.

Tout serait folie si tu n'étais pas là.
Tout serait obscur, mais toi, tu es là.

Je passe, je te considère comme un grand ami et je ne sais pas – je te le jure – comment t’accompagner ni comment faire partie de ta vie livrée.
Peut-être un jour.
Mais c’est seulement un peut-être. En le disant à voix haute, les yeux s’ouvrent enfin et les larmes tombent comme la pluie dehors.

 

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