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Interview du Père Mychajlo Dymyd, « l’aumônier de Maïdan »

Le père Mychajlo Dymyd, prêtre de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine, et professeur à l’université catholique d’Ukraine, accompagnait l’an dernier ses étudiants sur la place Maïdan. Surnommé « l’aumônier de Maïdan », il fut le premier à y célébrer la messe, avant d’être suivi par d’autres prêtres des différentes Eglises ukrainiennes. Un an après, le père Mychajlo Dymyd et sa fille Klementia publient un livre, « Kaminnia Maïdanou », une rétrospective de Maïdan. A cette occasion, il a accepté de répondre à nos questions :

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P. Mychajlo et Klementia Dymyd a une presentation de leur livre, Lviv, decembre 2014

Vous venez de publier un livre avec votre fille Klementia : « Kaminnia Maïdanou – Les pavés de Maïdan ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

C’est un grand album en couleurs de 280 pages qui contient 450 photos, 85 homélies et 150 articles. Ce livre se veut une vue « cosmique » de Maïdan, comme « révolution de la dignité de l’homme ». Les 85 textes correspondent à une méditation par journée de feu, d’espoir, de fraternité, de haine, de prière, de blessure, d’amour, à la lumière de l’évangile du jour selon le calendrier Julien. Ils ont été prononcés par un prêtre oriental catholique à un peuple qui goûtait ce que devait être la « vie originelle » à la Création : loin des clivages de religions et dans la liberté totale confiée par le Créateur à tout être humain. Les photos sont des témoignages directs de la réalité des combats. Elles ont été prises par une jeune fille de 21 ans, aux points les plus chauds de la révolution. Accompagnées de commentaires, elles se sont fait l’écho de Maïdan, jour et nuit le net. Par ces textes et ces photos, sans autre commentaire, ce livre est une pure et simple présentation de Maïdan. Une traduction anglaise est en préparation.

 

Il y a un avant et un après Maïdan. Un an après le début de cette révolution, quel regard poser sur ces événements ? Cette révolution a coûté de nombreuses vies, elle a obtenu le départ de Yanoukovitch, la mise en place d’un nouveau gouvernement, puis a provoqué ce soulèvement pro-russe à l’est du pays… Mais plus profondément, quels sont les conséquences et les fruits de ce mouvement pour le peuple ukrainien ?

Maïdan fut un véritable mouvement de la dignité humaine. Il a jeté une lumière sur les problèmes des relations humaines et sociales dans la zone postsoviétique dont l’Ukraine fait partie géographiquement, politiquement, historiquement et culturellement. Cela ne veut pas dire que les problèmes ont disparu, ils ont simplement été mis en lumière. Quand un malade prend conscience de sa maladie, il se met alors en recherche d’un traitement approprié. Notre pathologie est compliquée. Les médecins ne nieront pas que dans ces cas presque désespérés, l’esprit humain et surhumain puisse faire la différence. Celui qui a goûté à la liberté citoyenne de la place Maïdan ne sera heureux que s’il peut vivre de cette liberté intérieure au quotidien. Cette « révolution de la dignité » a porté un terme à la Seconde Guerre Mondiale dans cette zone géopolitique. La démolition en cette année 2014 de plus de 504 monuments à Lénine sur 2200 en Ukraine centrale et orientale, en est un signe. Le peuple ukrainien s’est senti uni indépendamment de l’origine ethnique ou linguistique de chacun…

 

Aujourd’hui l’Ukraine semble s’enliser dans ce conflit à l’est du pays. Voyez-vous un chemin de paix possible pour l’Ukraine et plus largement entre le peuple ukrainien et le peuple russe ?

Les armes du peuple ukrainien sont la liberté et la dignité de chaque être humain, et la primauté de sa mission et de ses droits par rapport à l’Etat. C’est aussi ce que le régime postsoviétique de la Russie veut à tout prix éliminer. Et il a raison, sans quoi, s’il laisse le peuple russe aspirer à cette liberté, il perdra sa légitimité, sera renversé et terminera dans les vestiges des dictatures de l’histoire. Il n’y a pas de problème majeur en Ukraine entre russophones et ukrainophones, Maïdan en est la preuve. Il n’y a pas de problème entre les régions orientales et le reste de l’Ukraine ; les classes dirigeantes de Donetsk étaient au pouvoir central de Kiev depuis 10 ans et les principaux flux financiers étaient dirigés vers ces régions. La paix extérieure ne peut venir que de la paix intérieure. Le démantèlement des statues de Lénine est un indicateur de l’approche de la chute définitive de l’Union Soviétique, survivante aujourd’hui dans la Russie de Poutine. Pour l’Ukraine, cela signifiera le retour de la Crimée et la fin de la guerre hybride menée pour conquérir Donetsk et Louhansk. La paix entre la Russie et l’Ukraine adviendra donc définitivement et sur tous les plans après le crash définitif de l’Empire soviétique.

 

L’Euromaïdan fut peut-être le plus grand rassemblement pro-européen de l’histoire. Qu’attendez-vous de l’Europe aujourd’hui ?

Non. L'Euromaïdan s'est terminé la nuit du 29 novembre 2013 quand la police spéciale a sciemment et durement battu les jeunes manifestants qui chantaient et dansaient dans la nuit. Par la suite, le peuple rassemblé à Maïdan clamait sa liberté et sa dignité d’êtres humains et d’enfants de Dieu. L’Union Européenne d’aujourd’hui a perdu cette dimension divine de l’humanité sans laquelle il ne peut y avoir de liberté vraie et sans limite. Nous attendons de l’Europe qu’elle défende ses valeurs chrétiennes devant ses intérêts marchands et partisans. Ainsi nous pourrons espérer vivre dans cette liberté et cette dignité que nous avons reçue dans notre histoire commune. C’est la liberté et la dignité que mendie la crèche de Bethléem, ce petit Enfant qui ne trouve pas de place dans la société organisée. Nous espérons que cette dignité soit garantie à tout homme en Europe.

 

A l’inverse, quelle est selon vous la mission spirituelle et politique de l’Ukraine au cœur de l’Europe ?

Le peuple ukrainien a la foi, il croit en un Dieu Créateur qu’il identifie clairement comme le Dieu chrétien. Cette foi a porté ce peuple à travers le désert d’Egypte moderne – le régime athée communiste – maintenant les ukrainiens debout et sereins face aux dures épreuves du siècle passé. L’Ukraine est aussi un grand laboratoire de l’apprentissage de l’unité des chrétiens au quotidien, malgré les murs qui divisent les Églises. Sur le plan politique, si l’Ukraine arrive à mettre fin à la soif de conquête de la Russie (après la Transnistrie, la Tchétchénie et la Géorgie), elle trouvera une place importante dans l’échiquier des pays porteurs de sécurité en Europe.

 

Comment l'Ukraine peut-elle être un pont œcuménique entre le monde slave et latin ? 

L’Ukraine a une grande tradition latine. La première constitution ukrainienne était écrite en latin par le duc Philippe Orlik en 1710 : « Pacta et Constitutiones : Legum libertatumque Exercitus Zaporoviensis ». En 1240, des moines dominicains latin étaient déjà installés à Kiev. En 1596, une branche de l’Eglise orthodoxe ukrainienne de Kiev s’est unie à Rome, elle est encore très florissante aujourd’hui. Les rapports politiques, religieux, culturels et scientifiques entre la Pologne et l’Ukraine montrent que l’Ukraine continue à avancer sur ce chemin. Je pense qu’aujourd’hui, le défi important pour notre pays est de retrouver ses véritables racines orthodoxes, qui ont toujours cherché à se rapprocher du monde catholique et protestant, comme tout mouvement vraiment chrétien. Le Maïdan de Kiev a montré qu’il n’y avait pas de clivages entre les fidèles ou même les prêtres, mais qu’ils étaient au niveau des institutions partisanes et politisées et de leurs représentants. Il me semble aussi important de dépolitiser le sentiment religieux. Cette politisation existe aujourd’hui dans toutes les composantes religieuses ukrainiennes à différents niveaux.  

 

Quelle est votre espérance pour votre pays aujourd’hui ? Quelle Ukraine espérez-vous léguer à vos enfants et petits-enfants ?

Mon espoir est de voir une société dans laquelle toutes les personnes de bonne volonté pourront vivre dans la dignité et la liberté auxquelles aspire leur cœur : une liberté qui ne soit pas la possibilité de choisir entre le bien et le mal, mais la recherche constante du bien pour soi-même et pour les autres. Je voudrais léguer aux générations futures l’espérance d’une lumière intérieure qui conduirait à des relations interpersonnelles et sociales sincères et limpides.

 

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