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Dossier Adrienne von Speyr (2) : Adrienne et Luther – 2/2

Le regard d’Adrienne von Speyr permet de dépasser les tensions théologiques résultant du schisme Luthérien. Les deux premières parties de cet article concernant l’enfance protestante d’Adrienne et son portrait de Luther ont été précédemment publiées ici : Adrienne et Luther – 1/2.

3. Les vérités de Luther

Lorsque Adrienne von Speyr devient catholique, elle laisse derrière elle ce que le protestantisme a d'idéologique, son caractère proprement hérétique, mais elle emporte avec elle tout ce que sa tradition lui a légué d'intuitions justes. En entrant dans l'Eglise, elle fait entrer avec elle ces intuitions, qui retrouvent, pour ainsi dire, leur place dans le contexte de la vérité chrétienne totale, comme l'enfant prodigue qui reprend sa place parmi tous les habitants de la maison du Père. Adrienne von Speyr trace donc un chemin concret pour le dialogue œcuménique aujourd’hui. 

Ce chemin porte notamment sur cinq questions qui sont au coeur de la réforme protestante : 

  1. la justification par la foi, 
  2. la sainteté, 
  3. le rapport charisme-institution dans l'Eglise, 
  4. les sacrements et en particulier celui de la confession, 
  5. et enfin cette vision de Luther qui regarde dans l'agonie et la mort de Jésus une expression de la « colère du Père ». 

(Les deux derniers points seront publiés dans un prochain article). 

La Justification par la Foi Seule

Luther a dénoncé à juste titre une vision volontariste du mérite, à connotation pélagienne (qui se retrouvera plus tard dans le jansénisme), comme si le Salut était pour une part un don de Dieu, et pour une autre aussi le fruit de nos efforts (comme un pont entre deux rives que l'on construirait simultanément à partir de chaque rive). Mais puisque tous nos efforts sont caduques et marqués par le péché, la moindre contribution que nous offririons au Salut, si minime et symbolique fût-elle, invaliderait tout le processus – introduisant dans le pont, pour reprendre notre image, une faiblesse structurelle le rendant impraticable – et nous condamnerait par conséquent à la damnation. Luther prône donc un Salut par la foi « seule », pur don de la grâce, sans mérite et sans contribution de notre part autre que l'écoute pure de sa Parole. 

Adrienne montre la justesse de cette intuition, et elle tire la théologie de l'impasse qu'est l'alternative rigide entre la « foi seule » d'une part, et la participation humaine de l'autre. La clé qui ouvre la porte d'une autre voie c'est le « fiat » de Marie à l'Annonciation. En effet, Marie ne « compose » pas avec l'oeuvre de Dieu, elle n'ajoute rien à ce qui lui est offert, comme si l'Incarnation eût été la résultante de ce que Dieu aurait donné et de la contribution offerte par Marie (quand bien même la part de Dieu dans cette oeuvre serait de 99% et celle de Marie de 1% seulement, car alors il y aurait encore composition). 

Marie, à l'Annonciation, est pure écoute, pure réception, pure acceptation de la parole de l'ange. La part de Dieu dans cette oeuvre est donc de 100%. La coopération de Marie, selon Adrienne, se joue sur un autre niveau, un niveau spécifiquement féminin : la réponse et l'accueil. 

De ce point de vue, on peut aussi dire que la part de Marie est de 100%, car c'est son être tout entier – son coeur, son esprit, son corps – que Marie met librement à la disposition de Dieu. En regardant la foi chrétienne en sa source, qui est l'acte de foi de Marie qui « laisse faire », Adrienne montre donc que le dualisme entre la grâce divine et la liberté humaine n'est en rien une contradiction et que l'affirmation de Luther selon laquelle c'est « par la foi seule » que nous sommes sauvés a toute sa place dans une juste compréhension de la Révélation.

Contre une vision héroïque de la sainteté

Luther s'oppose également à une vision héroïque de la sainteté comme perfection extérieure. Cette objection s'inscrit dans la continuité de la précédente, dans la mesure où les vertus morales qui composent cette vision de la sainteté sont le pendant subjectif des « oeuvres » dont il était question ci-dessus, tant il est vrai que les vertus se rapportent aux actes, à la fois comme leur fruit (c'est en posant des actes vertueux que l'on devient vertueux) et comme leur condition (plus on est vertueux plus il est facile de poser des actes vertueux). Les hagiographes tombent souvent dans cette vision héroïque et « virtuose » de la sainteté comme perfection morale. Poussée à l'extrême, cette vision est au fond plus décourageante qu'attirante, car l'image de la sainteté qu'elle donne est si étrangère à notre quotidien, avec toutes ses limites et son poids de péché, qu'elle nous paraît réservée à des âmes d'exception.

Encore une fois, la théologie d'Adrienne, en important ce que la critique de Luther avait de fondé, « dépoussière » vigoureusement notre vision de la sainteté. La nature profonde de la sainteté, une fois encore, s'éclaire lorsqu'on regarde celle qui est sainte par excellence, la Vierge Marie, l' « Immaculée Conception ». Une compréhension, juste mais superficielle, de ce caractère « immaculé », consiste à le regarder justement comme une perfection morale de Marie ou, négativement, comme une absence de péché, une « impeccabilité ». Ces aspects sont réels, mais seconds. Ce qui définit premièrement la sainteté de Marie, nous dit Adrienne, ce ne sont pas les vertus morales (acquises) mais les vertus théologales (infuses) : la foi, l'espérance et la charité. Ces vertus, contrairement aux vertus morales, sont dites « théologales » parce qu'elles sont infuses, centrées sur Dieu et qu'elles n'existent pas en dehors d'une relation avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Dans son Livre des Saints, Adrienne montre très concrètement que ce qui est au coeur de la vie de chaque saint c'est cette relation à la Trinité, une relation qui se traduit concrètement par son obéissance à l'Eglise et à sa mission. La sainteté, qui prend racine dans la relation de l'âme à Dieu, fleurit dans les vertus morales, mais elle intègre aussi – et convertit en humilité, en prière et en confession – toute la faiblesse humaine dont les saints, si grands soient-ils, restent les héritiers.

La dimension charismatique de l'Eglise

Une autre intuition de Luther que Adrienne a réintégré dans notre vision de l'Eglise est le caractère essentiel des charismes. Si Luther, dans sa révolte, évacue la dimension institutionnelle de l'Eglise, c'est dans l'intention de retrouver sa dimension charismatique. L'Eglise des origines, selon lui, était une église essentiellement charismatique, c'est-à-dire conduite directement par l'Esprit Saint sans l'intermédiaire d'une institution (hiérarchie, magistère, droit canon, etc.). Ce n'est que que plus tard, poursuit cette relecture luthérienne de l'histoire, que l'institution s'est imposée et qu'elle a mis le pouvoir humain au centre de l'Eglise, s'appropriant l'Evangile et la vérité chrétienne, s'interposant entre les âmes et Dieu. C'est contre cela que le protestantisme proteste. Dans l'esprit de Luther, la « réforme », en évacuant la structure, permet de revenir à la « forme » originelle du christianisme, celle des premiers siècles, à savoir la forme charismatique. C'est pour cette raison que Saint Paul est une référence si fondamentale pour Luther et les protestants, dans la mesure où il incarne la dimension charismatique de l'Eglise : sa conversion et sa mission lui sont conférées directement par l'Esprit Saint, et pour mener à bien cette mission il n'hésite pas, à l'occasion, à tenir tête à Saint Pierre lui-même. Un certain œcuménisme va dans le même sens et, reprenant à son compte l'opposition faite par Luther entre charisme et institution, regarde le christianisme comme une grande famille au sein de laquelle l'Eglise catholique s'inscrit dans la lignée de Saint Pierre tandis que le protestantisme s'inscrit dans celle de Saint Paul.

Adrienne von Speyr nous aide une fois de plus à sortir de l'impasse que constitue cette opposition stérile entre charisme et institution. Elle le fait en nous rappelant une vérité ancienne avec une fraîcheur toute nouvelle : l'Eglise n'est premièrement ni pétrinienne ni paulinienne, elle est mariale. Cette vision de l'Eglise, que Balthasar articulera dans plusieurs ouvrages [1]En particulier dans Qui est l'Eglise ? et Le complexe anti-romain., peut se résumer ainsi : le « fiat » de Marie à l'Annonciation est « l'acte personnel fondateur de l'Eglise ». C'est en Marie et par elle que l'Eglise est réellement, dès aujourd'hui, l'épouse du Christ immaculée, « sans tache ni ride », dont parle Saint Paul (Ep 5,27). Ce caractère immaculé de la Mère, qui n'est pas seulement « idéal » mais réel, coule aussi dans les veines de ses enfants : il s'appelle alors foi, espérance et charité. Malgré le péché des hommes qui la composent, ce sang irrigue depuis deux mille ans toute la vie de l'Eglise. Sur la toile de fond de cette Eglise mariale se détachent, au gré de l'Esprit Saint, les charismes particuliers, dont, en premier lieu, celui de l'institution, confié par Jésus à Saint Pierre et à ses successeurs. La mission de Pierre et, par extension, celle de toute la structure « bâtie sur cette pierre », est au service de la vie théologale, pour la nourrir et la protéger : « Et toi, quand tu seras revenu, affermis la foi de tes frères » (Lc 22,32). L'erreur du protestantisme consiste à penser que la pureté de la foi ne peut être préservée qu'en évacuant l'impureté de la structure. Mais « ce que Dieu a uni, l'homme ne doit pas le séparer » (Mt 19,6). Le Cardinal Balthasar fut une illustration vivante de cette ecclésiologie par le fait qu'il comprenait sa propre mission comme étant au service du charisme d'Adrienne. C'est grâce à lui notamment que cette ecclésiologie, qui intègre les dimensions charismatique et institutionnelle de l'Eglise dans l'unité de la mission maternelle de Marie, est passée dans le trésor de l'Eglise, et que son ami Jean-Paul II a pu affirmer, lors de la rencontre des Mouvements à Rome en 1987, que « dans l’Église, tant l’aspect institutionnel que l’aspect charismatique (…) sont co-essentiels et concourent à la vie, au renouveau, à la sanctification, de façons diverses, et de telle façon qu’il se produise un échange, une communion réciproques » [2]Jean-Paul II, Aux mouvements ecclésiaux réunis pour leur IIe Congrès international, in “Insegnamenti” X, 1 (1987), p. 478.

Contre une vision mécanique de la confession

Luther a également dénoncé une vision « magique » des sacrements perçus comme des distributeurs de grâces fonctionnant, si l'on nous permet cet anachronisme, avec la nécessité d'un distributeur de boissons : à partir du moment où l'on suit correctement le mode d'emploi, le sacrement est « valide », la grâce est distribuée, indépendamment de la foi de l'individu. Luther s'oppose avec raison à cette vision mécanique et utilitariste de la grâce qui fait fi de la liberté et de la gratuité divines. Cette mentalité continue hélas de marquer profondément la compréhension que beaucoup de catholiques ont du sacrement de la confession. Autant l'Eucharistie, par exemple, est un sacrement que l'on a appris à contempler avec davantage de profondeur (non comme une dévotion individuelle, mais comme « source et sommet de la vie de l'Eglise »), autant le sacrement de la confession, dans la théologie comme dans la pratique, est souvent présenté aujourd'hui comme une discipline ordonnée exclusivement au progrès spirituel de l'individu. La Confession est caricaturée comme un remède bon marché qui nous soulage de nos remords et de nos scrupules. On comprend donc que le sacrement, défiguré à ce point, tombe en désuétude en beaucoup d'endroits. Luther, qui s'est élevé avec véhémence contre le marché des indulgences, tenait aussi la confession en haute estime et il a continué à se confesser jusqu'à la fin de sa vie. Il appelait la confession le « troisième sacrement », à côté du baptême et de l'Eucharistie. Cependant, la validité du sacrement ne dépendait selon lui ni de la forme ni du ministre, mais exclusivement de la foi du pénitent.

Nous avons déjà observé qu’Adrienne von Speyr avait manifesté, longtemps avant sa conversion, un grand désir de la confession, accentué plus tard par son expérience de médecin et les heures passées à écouter ses patients, qui lui firent prendre conscience que la confession est un besoin fondamental du coeur humain, qui aspire à vivre une transparence sous le regard d'autrui. Après sa rencontre avec Balthasar et sa réception dans l'Eglise Catholique, la confession sacramentelle deviendra un aspect fondamental de sa vie et de sa théologie, et elle consacrera à ce sacrement un livre considéré comme l'un de ses chefs-d'oeuvre. Sa présentation du sacrement, profondément évangélique et rafraichissante, répond aux objections de Luther. Elle contemple ce sacrement, non pas d'abord en fonction de notre péché ou de notre mauvaise conscience, mais à la lumière du mystère pascal: la crucifixion est la grande confession du Christ, qui prend sur lui chaque péché de chaque homme, qui en porte le poids et qui le confesse au Père à la première personne du singulier, comme si ce péché était le sien (« il s'est fait péché », dit Saint Paul en 2Co 5,21), et la résurrection au matin de Pâques est la grande absolution du Fils par le Père. Le sacrement de la confession, qui est le premier don de Jésus à ses disciples après la résurrection (« Recevez l'Esprit Saint, ceux à qui vous remettez les péchés, ils leur seront remis… ») est une porte d'entrée dans ce mystère. Adrienne fait éclater notre compréhension juridique et moraliste (quand elle n'est pas purement psychologique) du sacrement de la Confession. Le confessionnal n'est pas une toilette superficielle et bon-marché de notre conscience, c'est un lieu privilégié de rencontre, dans la foi, avec le Christ mort et ressuscité, une participation à son travail de rédemption.

Le crucifié, objet de la colère du Père

Luther, dans son désir de prendre au sérieux l'identification du Christ aux pécheurs, a vu le Fils crucifié comme l’objet innocent de la haine du Père qui décharge sa colère contre lui et le livre à la damnation. Cette affirmation, inacceptable dans son acception littérale, comporte néanmoins ses vertus. D'une part, Luther contemple l'agonie et la mort de Jésus dans une lumière trinitaire, comme quelque chose qui a lieu entre le Père et le Fils, et non seulement dans leur dimension horizontale, comme un événement qui a lieu entre le Christ et nous. D'autre part, Luther prend au sérieux la dimension tragique de la croix et le mystérieux cri du Fils au Père : « Pourquoi m'as-tu abandonné? » Par ailleurs, la position opposée n'est pas davantage recevable, qui consiste à voir dans l'agonie et la mort du Fils en croix quelque chose de purement extérieur n'affectant pas en profondeur son âme qui, sous le masque de la solitude et de la souffrance, continuerait de jouir paisiblement de la vision béatifique.

Une fois encore, Adrienne von Speyr garde de son héritage protestant la justesse de cette intuition. Dans les milieux théologiques, son nom évoque aussitôt un aspect de sa théologie qui, en effet, est en lien direct avec cette question: le Samedi Saint. La théologie, relativement silencieuse sur ce sujet, se contentait jusqu'alors d'une lecture superficielle de ce mystère: derrière une apparence de tragédie et de vide (le corps de Jésus est dans la tombe, les disciples sont dispersés, l'oeuvre de toute la vie du Christ est presque réduite à néant), le Christ est en train de proclamer sa victoire au « royaume des morts ». En apparence, et en apparence seulement, c'est un mystère douloureux, mais en réalité c'est un mystère glorieux. Dans sa théologie du Samedi Saint (dont Balthasar a montré, dans son livre Mysterium Paschale, à la fois la nouveauté révolutionnaire et le caractère de continuité avec la plus ancienne tradition) Adrienne von Speyr tire la théologie hors de l'impasse que présente ce dualisme douloureux/glorieux.

Le Fils expérimente déjà sur la croix, et plus encore le Samedi Saint, une distance infinie par rapport au Père, distance qui lui fait crier « Mon Père, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Cette distance, cependant, n'est pas une nouveauté, un changement en Dieu, elle n'ajoute ni ne retire rien à l'être de Dieu. Elle prend en effet sa source, explique Adrienne, dans la distance infinie qui existe déjà, de toute éternité, au sein de la Trinité. A notre échelle humaine, nous voyons bien que tout amour suppose une certaine distance: la distance qui permet le respect de l'autre, de sa liberté, de son rapport à Dieu. C'est un paradoxe : sans distance, pas d'amour, donc pas de proximité. En Dieu, l'amour est infini, donc le respect de la distance est également infini. Les Personnes divines sont à la fois infiniment proches (infiniment « une ») et infiniment distinctes, infiniment distantes (et donc infiniment « trois », si l'on peut dire). Ce n'est donc pas la distance en tant que telle qui, dans la déréliction de la croix et du Samedi Saint, est une nouveauté, mais le fait que cette distance est expérimentée subjectivement par le Fils comme la distance infinie qui sépare Dieu du péché, et donc comme condamnation. Adrienne montre ainsi toute la profondeur contenue dans l'expression déjà citée de Saint Paul, selon laquelle « le Christ s'est fait péché pour nous » : bien qu'il soit « semblable à nous en toute chose excepté le péché », le Fils prend sur lui le « poids » du péché et sa conséquence subjective qui est le sentiment extrême de l'abandon et de la solitude. Mais puisque cette distance est par ailleurs constitutive de son amour éternel pour le Père, le Fils intègre l'expérience du Samedi Saint dans son amour pour le Père par un acte de suprême obéissance, de telle sorte que le Samedi Saint est, comme la croix, un mystère à la fois de solitude infinie et d'amour infini, un mystère douloureux et un mystère glorieux.

CONCLUSION : La clé de l’œcuménisme

L'anniversaire des 500 ans de la Réforme protestante est une occasion de regarder avec objectivité cet événement, et de porter sur lui un vrai jugement.

Adrienne von Speyr nous aide à porter un jugement sans concession et à reconnaître ce qu'il y a de profondément faussé dans l'attitude de Luther et dans le protestantisme qui en a résulté. On ne saurait surestimer la gravité de cette hérésie, et à quel point elle a falsifié l'Evangile dans l'esprit de beaucoup, en substituant au Verbe incarné et à son Eglise un Jésus imaginaire et désincarné, redéfini à notre dimension.

Contrairement à Luther, Adrienne fait oeuvre de vraie réformatrice, en ce sens qu'elle ne fait que dépoussiérer notre compréhension de l'Eglise pour la faire à nouveau resplendir dans sa « forme » première, qui est l'obéissance de Marie. C'est Marie qui, paradoxalement, est la clé de l'œcuménisme, car c'est seulement en revenant à l'origine et en partant d'elle, c'est-à-dire de son assentiment sans ombre à l'oeuvre de Dieu au jour de l'Annonciation, que sont dépassés tous les dualismes stériles que Luther s'est senti obligé de trancher dans un sens ou dans l'autre.

Cependant, Adrienne von Speyr nous aide aussi à reconnaître et à sauver ce qu'il y a de juste dans les intuitions de Luther. Lorsqu'elle entre dans la pleine communion de l'Eglise catholique, elle apporte avec elle ces fragments, elle « les reconduit à la maison ». L'apport d'Adrienne à la théologie catholique, dont Hans Urs von Balthasar a montré la valeur inestimable, se concentre notamment sur ces points de rencontre des intuitions de Luther avec la tradition catholique – c'est comme si elle apportait avec elle les pièces manquantes d'un puzzle, et que ces pièces venaient soudain articuler des pans de la théologie jusqu'alors détachés, délaissés, révélant ainsi la figure du Christ avec une netteté nouvelle. Ce charisme d'Adrienne von Speyr est encore, pour une large part, un trésor à découvrir et à faire découvrir, notamment à tous les enfants de Luther dont le christianisme atrophié ressemble à « la peau sèche d'un fruit dont la chair a été enlevée ».

Comme le souligne Balthasar, Adrienne est porteuse pour eux d'une bonne nouvelle : « Les soucis profonds qui animaient Luther et la Réforme n'a-t-il pas été inséré dans le sein de l'Eglise par cet unique charisme ? [3]Hans Urs von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, Réflexions finales ».

Première partie de l’article : Adrienne et Luther – 1/2.

References

References
1 En particulier dans Qui est l'Eglise ? et Le complexe anti-romain.
2 Jean-Paul II, Aux mouvements ecclésiaux réunis pour leur IIe Congrès international, in “Insegnamenti” X, 1 (1987), p. 478.
3 Hans Urs von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, Réflexions finales
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3 Commentaires

  1. Thibault

    admirables ces deux articles! Merci Paul de nous les offrir pour un regard nouveau sur la Réforme et pour nous aider à renouveller notre foi en contemplant la Très Sainte Vierge Marie, forme originelle de l'Eglise et de la foi. Belle préparation à la grande fête de ce vendredi, de l'Immaculée Conception: passer d'une vision "moraliste" à théologale est d'une grande aide.

  2. Bruno ANEL

    La conception selon laquelle le Christ en croix apaisait la colère du Père a longtemps effleuré la théologie catholique : que l'on songe aux paroles de "Minuit Chrétiens". Sur Marie comme forme originelle de la foi et de l'Eglise, ne peut-on pas dire que le samedi saint elle porte à elle seule la foi de l'Eglise ? Le théologien Gustave Martelet pensait que si les évangiles ne font aucune mention d'apparitions du Christ à Marie, c'est peut-être parce qu'elle n'en avait pas besoin pour croire.

  3. Bruno ANEL

    Il y aurait sans doute beaucoup à creuser sur la double dimension charismatique et institutionnelle de l'Eglise . La seconde n'a-t-elle pas parfois étouffé un peu la première ?