Home > Arts plastiques > Jeu, symbole et fête

C’est le titre de la dernière exposition du sculpteur allemand Hans Scheib. « L’été de sculptures 2018 » est un projet plus qu’osé, si l’on songe que les œuvres de l’artiste sont exposées à l’intérieur de la forteresse de Sonnenstein à Pirna (Sachsen / Saxe, Allemagne).

Le visiteur est convié à parcourir les couloirs et dédales de la forteresse et y découvre tantôt un chat en bronze perché sur un haut mur ou un dodo sur une corniche, tantôt une série de femmes en bois peint, réparties le long d’un couloir en vieilles pierres… Il y a comme une mystérieuse harmonie, une symbiose très naturelle entre les sculptures et leur lieu d’exposition. On se promène et on rencontre… C’est vrai, il y a quelque chose d’un « jeu », d’une « fête ». Mais quel défi d’exposer dans un tel lieu, et pas seulement en raison de sa géographie compliquée et de l’architecture peu adaptée à une telle entreprise !

En effet, pour nombre de personnes rencontrées lors du vernissage, « Pirna-Sonnenstein » sonne avant tout de manière terrifiante, rappelant des souvenirs que l’on souhaiterait plutôt avoir oubliés depuis longtemps. La forteresse Sonnenstein a tout d’abord été un hôpital psychiatrique, fondé en 1811. On y soignait surtout les malades psychiatriques dont l’atteinte semblait à priori potentiellement curable. Puis, entre 1940 et 1941, plus de 14.700 personnes ont été « euthanasiées » à l’intérieur de la forteresse, dans le cadre de l’action secrète « Aktion T4 » menée par les national-socialistes en vue de « la destruction de la vie sans valeur » ou, dit encore d’une autre manière, de « l’élimination des existences de remplissage ». Parmi les victimes, on compte surtout des personnes atteintes de maladies psychiatriques ou de handicap mental.

Ainsi, les œuvres de Hans Scheib viennent habiter ce lieu sordide. L’éphèbe, la sorcière liée, Jane, Bella et Ruth… viennent habiter ce lieu et sa tragédie. Ils sont là avec toute leur humanité blessée, avec leurs limites si visibles et touchantes, avec toujours cette expression du visage vide, absente, mais belle parce que vraie. Pourtant, ils ne se contentent pas de venir seulement habiter ce lieu. Ils y sont présents. Par la sincérité de leur être, la transparence de ces angoisses, du vide intérieur, du cri, qui jaillissent sur les traits du visage et l’expression du corps, les personnages pénètrent des lieux plus intérieurs. A travers ses œuvres, l’artiste se livre. Loin des rôles mondains, loin des masques sous lesquels on tente habituellement de cacher ses fêlures, il se livre.

« Demain, la vague ». L’intitulé désigne un jeune homme emmitoufflé dans sa couverture, avec une expression d’effroi telle qu’on aurait d’abord envie de fuir, ou du moins de tourner la tête. Puis… naît le désir de le prendre dans ses bras pour le rassurer, ou du moins d’attendre avec lui une consolation… Ainsi, à travers sa sculpture, Hans Scheib rejoint le visiteur dans sa propre intimité. La vérité invite à une réponse… pour peu qu’on se laisse rejoindre dans ses propres lieux de souffrance.

 

Hans Scheib, Morgen (die Welle), 2013 (demain, la vague)

Il y a, appelant depuis le fin fond d’un cachot humide, la petite fille serrant son chat dans ses bras.

 

Hans Scheib, Sah ein Knab ein Röslein steh’n, 1994

Il y a aussi, colorés et pleins d’humour, un cortège de Sphinx (dont on n’aperçoit qu’un sujet sur la photo ci-dessous), côtoyant un petit écolier le jour de son « Einschulung » (premier jour d’école) représenté avec le traditionnel « Einschulungstüte » (la prochette du premier jour d’école, remplie de douceurs et de cadeaux censés consoler et rassurer l’enfant). Avec une ironie non dissimulée, Hans Scheib intitule la sculpture « Hourra, je suis un écolier! », titre qui tranche avec la mine déconfite de l’enfant.

 

Sphynx A, 1993  A l’arrière-plan: Hurra, ich bin ein Schulkind, 2015 (Hourra, je suis un écolier, 2015)

 

Ainsi, à travers ses figures de bois peint, Hans Scheib alie avec génie le drame d’une humanité blessée qui cherche le sens de son existence, avec une sincérité désarmante et un certain sens de l’humour presque enfantin. Ses personnages si visiblement éloignés d’eux-mêmes sont une provocation, une question vive, mais aussi et surtout une attente, une invitation à la rencontre.

 

Vous aimerez aussi
Cristóbal Corbeaux, sculpteur Chilien à la recherche de l’humain
Eido Alhussein, sculpteur de la compassion
« L’artiste n’a qu’à en croire ses yeux » Rodin et Giacometti exposés à la Fondation Gianadda
Le sculpteur Alfred Liyolo est mort