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La Grande Roumanie, une et indivisible

La pandémie et ses conséquences viennent soulever avec force l’épineux problème de la liberté de culte : est-elle au rang des libertés fondamentales, protégée par la Constitution, qu’aucun état d’urgence, d’alerte ou confinement, ne peut limiter…ou un simple corollaire de la liberté de se déplacer, de se rassembler ou de consommer ?

 

Photo : © Jérémie DUMAS

 

Plusieurs pays semblent se prononcer en faveur de la première tendance : En France, le Conseil d’État vient de casser la jauge absurde de 30 personnes pour les célébrations religieuses, tout comme il avait demandé au gouvernement en mai dernier de lever l’interdiction de réunion dans les lieux de culte ; aux Etats-Unis, la cour suprême a bloqué les restrictions imposées aux services religieux que l’Etat de New York avait voulu mettre en place.

Mais ces passes d’armes juridiques mettent en évidence le fait que la question de la laïcité – qui se repose tragiquement à chaque attentat, chaque état d’urgence, dans les débats actuels de la loi sur le séparatisme – reste extrêmement tendue, et ne va pas en se clarifiant. Emmanuel Macron s’exprimait récemment dans un discours aux Mureaux, reprenant la ligne directrice de toute la classe politique depuis des décennies, qu’il doit manifestement trouver très claire : « La laïcité, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, la possibilité d’exercer son culte à partir du moment où l’ordre public est assuré. La laïcité, c’est la neutralité de l’État et en aucun cas l’effacement des religions dans l’espace public. La laïcité, c’est le ciment de la France unie » [1]https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes . Mais tout dans l’attitude de l’Etat semble affirmer l’effacement, la non-existence ou le peu de crédibilité des religions dans l’espace public. L’heureuse séparation de l’Eglise et de l’Etat est comprise en réalité comme une mise à l’écart, de plus en plus évidente, de l’Eglise et, plus généralement des religions ; le dernier épisode de la jauge des 30 personnes en est un exemple. Mgr Aupetit disait à ce propos « comme d’habitude nous avons été écoutés mais pas entendus » ; « cela suffit il faut arrêter de nous infantiliser » [2]https://www.lefigaro.fr/mgr-michel-aupetit-ca-suffit-il-faut-arreter-de-nous-infantiliser-20201125 se plaignait-il. La question de la laïcité traverse de nombreux sujets d’actualité depuis septembre ; affirmer qu’elle puisse être le ciment de la « France unie » semble une chimère.

Le 1er décembre, la Roumanie célèbre sa fête nationale, celle de « la Grande Union », établie le premier décembre 1918 dans la petite ville d’Alba Iulia quand la Transylvanie décide de se rattacher au Royaume de Roumanie avec qui elle partage une langue, une culture, une foi commune. Loin d’être le fruit d’une brusque révolution idéologique ou des partages territoriaux plus ou moins heureux de l’après-guerre, cette Grande Union a longtemps été attendue par le peuple roumain, préparée par des guerres et déclarations d’indépendance de certaines provinces au XIXème siècle. Elle se réalise tardivement pour un peuple qui partage une langue commune depuis l’Empereur Trajan d’heureuse mémoire, mentionné dans l’hymne national qui a résonné dans toute la Roumanie en ce jour : « Maintenant ou jamais, montrons au monde / Que dans ces mains coule toujours un sang romain / Et que dans nos cœurs nous gardons avec fierté un nom/ Triomphant dans les batailles, le nom de Trajan! » [3]Source : http://www.diacronia.ro/indexing/details/A28334/pdf

 

Photo : Source 

 

Dans cet événement, l’Eglise orthodoxe et l’Eglise Roumaine Unie à Rome ont joué un grand rôle, qui aurait effrayé les tenants d’une laïcité moderne. Pour l’Eglise, cette unité était de l’ordre de la justice pour le peuple roumain qui l’attendait depuis si longtemps. En montrant l’unité́ du peuple et de la langue des Roumains de la Bassarabie, de la Moldavie, de la Transylvanie, de Crişana, Vasile Goldiş, à l’occasion de l’allocution d’Alba-Iulia, soulignait : « Après dix-huit siècles, l’âme roumaine se réveille de son sommeil de mort et ressuscite comme un soleil lumineux ». L’Eglise a donc travaillé ardemment à ce réveil de l’âme roumaine, à cette œuvre de justice pour un peuple dont l’histoire est faite d’invasions, à l’éveil de la conscience nationale par de multiples biais : revues multiples, feuilles diocésaines, associations, radios, interventions publiques… L’Eglise s’est engagée de toutes ses forces dans la sphère publique pour ce bien commun et cette œuvre de justice, ce qui a fait dire à certains historiens : « Si l’Église, qui, par ses représentants, a maintenu la conscience nationale éveillée, n’avait pas existé́, il n’y aurait plus eu ces fils qui ont fait l’Union ».

Nombre des discours prononcés à Alba-Iulia pour la proclamation de la Grande Union ont été proclamés par des prêtres, évêques : « En analysant en détail les discours des représentants de l’Église à l’approche des évènements de 1918, on peut tirer la conclusion que des éléments tels que unité́, langue, peuple, nation, foi, résurrection, réconciliation constituent un vrai « fil rouge » du message transmis à la population roumaine, où qu’elle se trouve. Des prêtres et des évêques appartenant aux divers cultes religieux ont milité en permanence pour la réalisation de l’union du peuple et de la foi des Roumains. On peut considérer l’Union de 1918 comme un certificat de l’identité du peuple et de l’amour chrétien. À juste titre, plusieurs historiens soutiennent l’idée que : « le parrain principal de l’Union a été l’Église ».

Parmi eux, l’évêque Ioan I. Papp: « … Maintenant, toujours avec le clergé et notre peuple, fêtons la joie de cette journée, où le soleil de la justice s’est levé pour nous aussi, ce qui est la preuve d’une vie future comme nation roumaine libre et unique dans son droit de disposer de son sort présent et futur ». Mais l’homme d’Eglise qui est l’emblème de cette grande Union, celui qui en a lu le texte principal, est certainement l’évêque Iuliu Hossu, mort martyr en prison à domicile sous le joug communiste en 1970. Régime, qui, soit dit en passant, a d’une certaine manière assez bien réussi la mise en place de la laïcité, puisque- exceptée l’Eglise Uniate persécutée pour son lien avec Rome et l’Occident – il a laissé relativement en paix les Eglises de Roumanie qui n’intervenaient pas dans le domaine public. Un régime totalitaire pouvant appliquer le principe de laïcité, on a du mal à voir comment la laïcité en soi pourrait devenir le « ciment de la France unie » qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux.

Monseigneur Hossu a été béatifié en 2019 par le Pape François en Roumanie. Il est remarquable que ce jeune évêque gréco-catholique de 33 ans ait été choisi pour une telle tâche et soit resté la figure de la « Grande Union » de la Roumanie. Remarquable, car l’Eglise Roumaine Unie à Rome était déjà en 1918 largement minoritaire par rapport à l’Eglise orthodoxe. Mais elle a porté avec cœur et efficacité – notamment par l’école de Blaj, lieu de haute culture et d’éducation pour toute la région de Transylvanie – ce projet d’unité du pays, jusqu’à en être la voix le jour de sa proclamation par Mgr Hossu. Cette Unité se serait-elle réalisée sans le concours de l’Eglise Roumaine Unie à Rome ? Difficile de le savoir, mais en tout cas La « Grande Unité » de la Roumanie a été permise certainement par la « Sainte Unité » du rattachement à Rome d’une partie de l’Eglise orthodoxe roumaine un peu avant 1700. Tolkien devant cette proclamation de la Grande Unité par le plus petit des dignitaires de l’époque aurait peut être redit: “Il en va souvent ainsi des actes qui font tourner les roues du monde : de petites mains s’en chargent parce qu’il le faut, pendant que les yeux des grands regardent ailleurs.” [4]J.R.R. Tolkien

 

Monseigneur Hossu

 

Il proclame un texte où la politique n’a pas peur de la mystique, ni de la poésie
« Frères! L’heure de la plénitude des temps est celle-ci, où Dieu Tout-Puissant fait parler sa justice éternelle, à travers son peuple fidèle. Aujourd’hui, par notre volonté commune, se réalise l’Union de la Grande Roumanie, une et indivisible, nous tournant joyeusement vers tous les Roumains de ces terres : nous sommes pour toujours unis à la Mère Patrie, la Roumanie !
Vous souvenez-vous quand, vous visitant dans des centaines d’hôpitaux, dans les jours sombres, j’ai dit: « La justice vaincra »; nous voulons vous montrer que l’heure vient où tous les auteurs d’injustice pleureront, des larmes de sang, au jour de notre joie. La justice a prévalu! C’est l’heure de la justice de Dieu et de sa récompense, c’est l’heure de notre joie, la joie de toute une nation, après les souffrances endurées par une nation qui a gardé foi en Dieu et espérance en sa justice. Les paroles du Seigneur sont également accomplies ici, dans cet acte de justice : ‘Beaucoup ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu. Heureux sont vos yeux parce qu’ils voient et vos oreilles parce qu’elles entendent’
Je vois le jour de l’unification de la nation et j’entends la bonne nouvelle de notre union éternelle avec la patrie : la Roumanie…
Je suis heureux d’annoncer la décision du jugement de Dieu à travers les représentants de tout l’esprit roumain ; Heureux êtes-vous qui avez scellé à jamais, l’Union avec la Mère-Patrie.
Vous avouerez fièrement toute votre vie : « J’étais aussi à Alba-Iulia »! Les fils de vos fils crieront fort et joyeusement en disant : « Et nos parents étaient à Alba-Iulia ! » Vous êtes la grande armée des âmes élues de votre nation.
Désormais est née une Grande Roumanie, basée sur la justice de Dieu et la foi de son peuple. Que notre chant de victoire soit le chant de la nation sur le long et dur chemin des âges : « Ta justice, ô Seigneur, est justice pour toujours et ta parole la vérité. »
Justice et vérité, à la base d’une Roumanie réunie.
Gloire à Dieu au plus haut, et paix sur terre.
Au Jour de la Résurrection, peuple, rayonnons de joie ! (Hymne de la Résurrection du Seigneur)
Vive la Grande Roumanie, une et pour toujours indivisible, Amen! [5]https://centenarulromaniei.ro/discursul-lui-ps-iuliu-hossu-campul-lui-horea-1-decembrie-1918/

Ce texte il le connaît par cœur, il le récitera encore sur son lit de mort en résidence surveillée dans un monastère, avec le peu de voix et de force qui lui restent.

 

 

Il fallait des assoiffés de l’Unité pour travailler avec une telle passion à cette unité nationale et la proclamer ainsi non comme une simple déclaration politique mais comme un acte de la justice divine. Le fait que la Roumanie ne soit pas devenue un état « christianique » belliqueux en partant sur de telles bases, une telle confusion entre la mystique et la politique, entre la sphère publique et les religions, entre l’Eglise et l’Etat ne peut que nous interroger sur une « laïcité à la française » en souffrance.

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2 Commentaires

  1. Anonyme

    Magnifique ! Merci de nous avoir donne encore une raison de connaitre Hossu, ses confreres eveques et l’Eglise Roumaine Unie a Rome !