Quelle est la spécificité de l’architecture maronite ? Quelle est la relation entre les inscriptions syriaques et l’art ? Et quel est leur rôle sur la façade de l’église maronite ?
Pour répondre à ces questions essentielles, nous avons rassemblé 36 exemples d’églises à travers le Liban. Elles ont toutes en commun des inscriptions en lettres syriaques, ainsi que des croix et des cercles placés au-dessus de l’entrée.
Pyramide de Kfar Sgob
Les éléments les plus grands, comme la porte, sont à la base de la composition, suivis verticalement par des éléments plus petits comme la rosace. Pour cette raison, nous l’appelons « Soyumuto Poramidoyto« , la composition pyramidale. Cette pyramide apparaît sur les églises maronites partout au Liban.
À Notre-Dame de Tamish par exemple, la porte est entourée de deux fenêtres surmontées d’épigraphes. Au-dessus de la porte se trouve la croix, et plus haut la rosace. L’une des épigraphes est circulaire comme une hostie et contient une croix. Elle est datée de 1670 et mentionne l’évêque Gabriel, l’évêque Joseph de Blaouza et le patriarche Estephanos Douayhi.
Un autre exemple de ces compositions se trouve dans le monastère de Saint-Jean-Baptiste à Rishmaya. Son épigraphe est daté de 1686. Elle est incorporée dans une composition avec la porte, la croix et une fenêtre. La simplicité et la pureté de son texte sont évidentes tant dans la forme que dans le contenu. Il ne laisse aucune place à la virtuosité.
Le même phénomène apparaît en 1740 à Notre-Dame de Besré : De nouveau la porte, la croix, la fenêtre et l’épigraphe. Comme dans Rishmaya, le texte est très simple et surmonté de trois croix.
Deux ans plus tard, en 1742, la composition est reprise à Notre-Dame de Zakrit. C’est l’une des plus simples. Son épigraphe est également modeste, que ce soit dans sa forme ou dans son contenu.
Saint-Joseph de Débié
En revanche, Saint-Joseph de Débié offre une des compositions les plus riches et les plus complètes. Le tympan de l’entrée contient tous les éléments de la Soyumuto Poramidoyto, ou composition pyramidale. On y remarque les épigraphes, les croix, les deux étoiles et les fruits de l’Eucharistie. Les étoiles sont le soleil et la lune : La divinité et l’humanité du Christ. L’Eucharistie est clairement représentée par l’Hostie et le Calice. L’inscription est aussi simple que d’habitude, sans aucune place pour la virtuosité. Elle est datée de 1753.
Dlebta
Deux ans plus tard, en 1755, à Notre-Dame-des-champs de Dlebta, un sculpteur montre ses talents à l’entrée de l’église : sur les colonnes, sur le linteau et sur le cadre de l’épigraphe. Mais il était fondamental que toute cette richesse reste à l’écart de l’inscription. À l’intérieur du cadre, la pureté est la règle. Au-dessus du cadre, il y a l’arbre de vie, surmonté du Calice et de l’Hostie. Le texte mentionne l’année 1755, et les noms des prêtres ainsi que du patriarche maronite Tobia Khazen.
Saint-Joseph de Daraoun
Dix ans plus tard, en 1765, l’église Saint-Joseph de Daraoun fut restaurée. L’utilisation de mégalithes phéniciens pour les piliers et les linteaux superposés renforcèrent l’effet pyramidal de la composition. La variation de la couleur de la pierre a rendu l’effet pyramidal de plus en plus évident. Les éléments de la composition sont ici : L’entrée imposante, la Croix, l’épigraphe et l’oculus (rosace) symbolisant la lumière de l’Eucharistie et la forme de l’Hostie. Une fois de plus, le style de l’inscription continue à respecter les valeurs d’austérité, d’humilité et d’extrême simplicité.
L’église de Mart Moura à Rishtaamout montre également une entrée avec une construction maçonnée imposante, une croix, une épigraphe et un oculus, lumière et forme de l’Eucharistie. Son inscription est datée de 1769, et son orthographe est aussi simple que d’habitude.
Néemé
Malgré les grandes dimensions de Saint-Georges de Néemé, la composition est toujours basée sur les mêmes principes. Elle montre l’entrée, la croix, l’épigraphe et l’oculus. Malgré la richesse de cet oculus, ou rosace, l’inscription continue à suivre la tradition de simplicité. Ces valeurs sont même explicites dans le texte qui nous conseille de rester à l’écart du monde matérialiste et des sentiments terrestres.
Même lorsque la pyramide n’est pas visible, la composition verticale est toujours là. Dans le monastère de Maad, par exemple, on remarque la croix et les deux astres à l’intérieur du tympan. Elles sont toutes sur un axe vertical central. Au-dessus, se trouve l’épigraphe surmontée de la rosace. Malgré les deux petites rosettes, l’inscription est encore très simple. Elle mentionne seulement la construction de l’église par les moines de l’Ordre Libanais en 1797.
Mazraat-Yeshoua
La verticalité de la composition est également visible dans l’église Saint-Maron à Mazraat-Yeshoua. Sur la base, nous avons la porte avec la croix sur son linteau. Au-dessus, apparait l’osmose entre l’oculus, l’épigraphe, la croix et les deux astres. L’inscription est incurvée et tourne avec la forme de l’oculus. Le soleil et la lune témoignent de la divinité et de l’humanité du Christ.
L’église Saints-Serge-et-Bacchus à Qartaba nous montre également un type de composition verticale très basique. Elle montre la porte, l’épigraphe et la croix. Son inscription est l’une des plus rudimentaires. Elle mentionne les noms des saints Serge et Bacchus, ainsi que l’année 1830. Elle ne contient pas la moindre poésie, ni la moindre virtuosité verbale.
Qotara
L’église de Mor-Shalita à Qotara, contient une épigraphe datée de 1857. Elle se trouve sur le linteau de l’entrée, surmontée d’une grande rosace. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette épigraphe est le fait qu’elle est gravée sur le linteau avec tous les autres éléments de la composition. Les lettres syriaques sont là, avec le Calice et l’Hostie, à côté de la croix sur une seule pierre.
Bkerké
A Bkerké, le fronton rassemble également tous les éléments : Le cercle contient à la fois la croix et l’inscription syriaque.
L’église de Mor-Awtél à Kfar-Sgob, a utilisé de la pierre blanche pour tous les éléments de la composition. Le contraste qu’ils ont produit à côté du reste de la façade brunâtre, a rendu la composition pyramidale clairement visible. Son épigraphe est très simple. Elle mentionne la construction de l’église et elle est datée de 1776.
Le plus important pour notre recherche est l’inscription sur le battant de la porte. Elle est datée de 1882, et définit la symbolique liturgique de la porte de l’église en énonçant le verset biblique d’Isaïe 60:11. Nous lisons en Garshouné : « Tes portes resteront toujours ouvertes, elles ne seront jamais fermées, ni de jour ni de nuit » . Il est directement suivi par le Psaume 5:7 : « Je peux entrer dans ta maison, je me prosterne avec révérence dans ton saint temple. »
Ceci est encore chanté dans toutes les messes maronites aujourd’hui : « Lvaytokh aloho ‘élét wa qdom bim dilokh segdét ».
L’importance de la porte, en elle-même, devient donc très symbolique dans le cadre de la Soyumuto Poramidoyto, la composition pyramidale. Au-dessus, il y a toujours la croix et la représentation de l’Eucharistie. On remarque également que l’inscription de l’épigraphe est nécessairement dépourvue de toute ornementation calligraphique ou de virtuosité verbale. Nous pouvons maintenant conclure qu’il existe une tradition syriaque maronite dans l’architecture de la façade de l’église. Quel est le message qui se cache derrière cette composition pyramidale ? Et quelle est la signification de chacun de ses éléments?Le prochain article nous parlera de la dimension théologique au sein de cette tradition.
Extrait du livre « Epigraphie Syriaque au Liban – vol 2 » , Amine Jules Iskandar, NDU Press, Louayzé, Liban, 2014