La Cinémathèque fançaise présente jusqu'à aujourd'hui une rétrospective de l'œuvre de Nanni Moretti, inaugurée en avant-première par le film Habemus papam présenté à Cannes en mai 2011.
Citons en premier lieu Serge Toubiana, le directeur général de la Cinémathèque, dans l'article consacré à Moretti à l'occasion de cette rétrospective :
« Sogni d'oro (1981) commence par une scène se déroulant dans une salle de cinéma : Moretti vient à la fin de la projection participer au débat avec le public. Aussitôt, un spectateur indigné l'interpelle en lui disant que son film ne concerne pas « le paysan de Lucanie, le berger des Abruzzes ou la ménagère de Trévise ». Sempiternelle critique de gauche du désir petit-bourgeois : qui n'a pas entendu ce genre d'argument, dans les années 1970 et 1980, où le cinéma est toujours relégué au second plan derrière le discours idéologique ? Vers la fin du film, arrivent dans la salle un paysan de Lucanie, un berger des Abruzzes et une ménagère de Trévise, chacun ayant interrompu son activité spécifique pour venir faire acte de présence et dire en quoi le film les concerne eux aussi. Pour Moretti le cinéma passe avant toute chose. »
Et si le cinéma passe avant toute chose, c'est bien parce qu'il est en soi un regard sur le monde et sur les hommes qui concerne le plus grand et le plus petit, et non l'instrument d'une pensée unique qui voudrait réduire le monde et les hommes à un moyen terme inhumain.
Le film La messe est finie a été tourné en 1985. Don Giulio, jeune prêtre, quitte la petite île où il officiait depuis dix ans. Il vient d'être nommé dans une paroisse de la banlieue romaine où il retrouve ses parents et ses vieux amis.
La situation de départ n'est déjà pas aisée : cette paroisse a été abandonnée depuis longtemps déjà, à en juger par l'état de l'église et du presbytère. Don Giulio célèbre sa première messe seul avec deux enfants de chœur et apprend rapidement que tous les paroissiens sont partis dans la paroisse voisine parce que le précédent curé était tombé amoureux d'une femme dont il avait eu un enfant.
Dès lors, Don Giulio ne cesse d'être confronté à une avalanche de situations dramatiques incarnées par ceux qui lui sont les plus chers : son père quitte sa mère et part vivre avec une jeune fille dont il veut un enfant, sa sœur vit une situation chaotique avec son ami qu'elle finit par quitter en annonçant à son frère qu'elle attend un enfant et qu'elle va avorter, ses anciens amis sont respectivement terroriste emprisonné, homosexuel, dépressif, sa mère se suicide… Très « années 1980 », ces thèmes sociaux ne sont présentés qu'en rapport avec la personne de Don Giulio : comment peut-il réagir face à cela ?
De main de maître, Nanni Moretti se met lui-même en scène, puisqu'il joue le rôle de Don Giulio. Avec une tendresse infinie, une passion et une lumière toutes italiennes, il fait peu à peu sombrer le jeune prêtre dans la confusion la plus totale, qui pourrait bien être la notre dans nos rapports avec ceux qui nous sont chers et qui ne manquent pas de nous dérouter.
C'est que Don Giulio est seul, seul pour affronter la solitude des autres qu'il identifie parfaitement comme étant le plus grand de tous les maux qui l'entourent.
Sa sœur refuse de s'engager avec son ami et veut vivre seule, figure triste aux longs cheveux noirs.
Un de ses amis d'enfance s'enferme dans la névrose et refuse un à un tous les vieux amis qui viennent le voir, silhouette épaisse qui se met au lit à l'heure où le soleil brille haut dans le ciel.
Le jeune terroriste, visage dur derrière son parloir de prison, se terre dans le silence sous ses épais sourcils noirs.
Certes, Don Giulio est irréprochable. Mais tous ces bras cassés, ces mauvais, ces coupables, il est incapable de les aimer.
Si seulement il le reconnaissait ! Si seulement il reconnaissait qu'il n'y a pas eux et lui, mais un même cœur souffrant de la même solitude !
Il est en effet incapable de les aimer parce que leur drame est exactement le sien : cette terrible solitude qu'il voit chez les autres et qui génère une grande violence en lui, c'est la sienne. Chez eux comme chez lui, l'incapacité d'aimer est la conséquence de la solitude.
Alors pour garder contenance il joue le rôle du curé, assène des vérités toutes faites, moralise, enseigne… Mais peu à peu perd pied. On le voit errer dans sa triste chambre – « Je suis incapable de rien faire ».
Le salut vient de la scène centrale du film, la seule scène où Don Giulio est présenté en vraie relation avec quelqu'un, lorsqu'il se confesse à un moine – lorsqu'il sort de son rôle et se livre dans toute son humanité impuissante, acte ultime de l'homme qui s'en remet à un autre.
A la fin de cette confession les deux hommes discutent. Don Giulio demande au moine où il était avant et celui-ci lui répond qu'il était au-delà du Cercle polaire, dans une région où le vent rend fou. « Vous étiez leur curé ? » – « Non, j'étais leur ami. »
La fin du film est marquée par un baptême et par un mariage, deux événements résultants de situations cocasses qui ont donné bien du fil à retordre à notre ami Giulio.
Le mariage justement unit de façon subtile et superbe Don Giulio à son peuple : c'est pendant l'homélie qu'il annonce qu'il va s'en aller, pour aller vivre dans une région où le vent rend fou. Les quittant, il avoue à la fois son incapacité à être avec eux et son désir d'être ami avec les hommes, suivant les traces du moine qui l'a confessé. En même temps, les invités peu à peu se trouvent les uns les autres, se mettent deux par deux et commencent à danser lentement dans l'église, les individus se font couples, les solitudes s'unissent pour former une assemblée en mouvement.
La messe est finie porte le poids de beaucoup de souffrances actuelles et concerne « le paysan de Lucanie, le berger des Abruzzes et la ménagère de Trévise » que nous sommes : que faisons-nous de nos frères ? Quelle est cette illusion qui nous attire, de croire que leur solitude n'est pas celle-là même qui nous empêche de les aimer ? La même, pour les mêmes manques d'amour…
Terminons enfin en reprenant à nouveau les mots de Serge Toubiana : « Moretti s'invente comme personnage de cinéma, tantôt cinéaste, tantôt professeur, tantôt prêtre, non seulement pour être le témoin de l'Italie contemporaine, mais pour en être le témoin actif et souffrant. L'Italie va mal et cela fait souffrir Moretti. »
Très bel article qui donne envie de voir le film!
Chère Claire,
Merci pour cet artile. Nous avons vu le film Habemus Papam au ciné, et nous avons du mal à y trouver un sens…
Hormis le fait que face à sa charge, le nouveau pape Melville se trouve dans une extrême solitude..
Nous ne voyons pas la progression du personnage… Peux tu nous éclairer si tu as vu ce film ?