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La guerre est déclarée de Valérie Donzelli

de Cyprien Lanoire         21 octobre 2011

Grand Prix du Festival de Cabourg. Grand prix du Jury, Prix du Public, Prix des Blogueurs au Festival Paris Cinéma2. La guerre est déclarée, qui représentera la France aux nominations des films étrangers aux Oscar 2012, est à l’affiche depuis plus d’un mois et demi et son succès ne se dément pas.

 

Une leçon sans une once de morale, de la profondeur sans gravité, de la joie sans platitude ni superficialité : le fait est suffisamment rare pour être souligné.

Le deuxième film de Valérie Donzelli (après le très drôle La reine des pommes) surprend par sa capacité à synthétiser les contraires : c’est un film très parisien, avec tout ce que cela suppose. Il est pourtant en marge, voir en opposition complète avec ce que véhicule le cinéma français de manière générale.

C’est que Valérie Donzelli est pleine d’une espérance légère comme une brume, elle est inoxydable à la morosité ambiante.

L'histoire n’est pas très glamour, c’est le moins qu’on puisse dire, et elle tient en quelques mots : un couple découvre que leurs fils de deux ans est atteint d’une tumeur au cerveau. Là où on est saisi à la gorge, c’est que Valérie Donzelli tourne ici le film de sa vie : elle joue son propre rôle, avec le très bon Jérémie Elkaïm, son ancien compagnon. Cette guerre, c’est évidemment celle menée contre la maladie de leur fils.

            A quoi bon aller se faire du mal en allant voir un film déprimant, me direz-vous ? Eh, bien, pour rire, par exemple. Le film regorge de moments irrésistiblement comiques. Paradoxal ? Certes, mais on le comprend vite devant un si beau couple, magnifique, plein de fraicheur et de jeunesse, qui refuse de céder à la tristesse et au désespoir, qui se révolte contre le totalitarisme d’une compassion faussement comprise, qui rugit d’une fureur de vivre rare et précieuse.

La joie surabonde dans ce film, mais une joie vraie et exigeante, une joie passée à l’épreuve de la souffrance. On réalise alors pleinement la valeur inouïe d’une telle joie gagnée sur l’adversité, d’une joie qui dérange, qui oblige à sortir de son confort tiède, des raisonnements convenus et compassés sur la douleur et l’épreuve.

Cinématographiquement, c’est sobre et précis. La caméra de Valérie Donzelli, proche de la nouvelle vague, enveloppe d’un regard cru et chargé de tendresse ses deux héros qui s’accrochent l’un à l’autre, et qui s’ils s’aimaient pour le meilleur, vont s’aimer d’autant plus pour le pire.

La réalisatrice s’autorise même de magnifiques métaphores cinématographiques, d’une efficacité redoutable. La bande originale est pop et sublime. Chaque course, chaque fuite est une chorégraphie lancinante. On est ici à l’opposé de Drive (autre découverte du festival de Cannes, et grande tête d’affiche de ce mois-ci) : l’esthétique y est exigeante et toujours au service d’une histoire qui prend aux tripes sans se prendre au sérieux.

Jean-Louis Chrétien, commentant Saint Augustin, disait : Je n’ai plus dès lors à me demander si je suis assez courageux, assez patient, assez intelligent pour telle tâche ou telle action, mais seulement si cette tâche est nécessaire et cette action requise. L’humble est celui qui a confiance, qu’il recevra de quoi manger en chemin, si ce chemin est vraiment le sien, au lieu de préparer toute sa vie des provisions pour un voyage qu’il ne fera jamais [1] ». C’est exactement ce que font, sans le savoir, les héros du film de Valérie Donzelli. Ainsi ce poignant dialogue :

Roméo : « Pourquoi ? Pourquoi est-ce que c’est tombé sur nous ?
(silence)
Juliette : Par ce que nous sommes capable de surmonter ça »

On sort de La guerre est déclarée empli jusqu’au débordement de sentiments contradictoires. Le rire, la peur ; la joie, la souffrance ; la conscience existentielle et ténue de la grandeur de la vie, le respect devant son mystère inexprimable, la certitude que même submergé par la souffrance la plus absurde, la joie reste inexplicablement première. Alors il n’y a plus qu’à se taire.          


[1] Jean-Louis Chrétien, L’Humilité, article paru dans La Croix du 26 avril 2002

 

 

 

 

 

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7 Commentaires

  1. Tabitha

    Curieux comme les avis sur un film peuvent être si différents !
    Car il m'a beaucoup déçu, contrairement à vous.
    J' y ai vu, surtout du côté féminin et maternel, une exposition cruelle de ce qui fait le drame actuel de la femme moderne : une incapacité à accepter ce que la vie impose, 
    Le seul qui s'en tire, c'est justement le père, qui, à part la scène ridicule où, apprenant le diagnostic avec un de ses amis, il se laisse aller à une crise valable chez un pré-ado.
    Mais c'est la note que je décernerai à ce film : un movie de pré-ado, où la présence de l'enfant, bien loin de rassembler ce couple, va les séparer, non pas parce qu'il a cette maladie, mais parce qu'ils sont empêchés de vivre librement à cause de lui.
    En témoignent ces petites fêtes à 2 balles où on essaye de prolonger l'éclate en oubliant tout !
    Désespérant !  Modèle parfait de cette société qui se regarde le nombril et qui va immanquablement  louper les occasions de se "muscler le mental" pour affronter la réalité….
    Antidote : 1/ en livre "Des petits pas sur le sable mouillé"
                      2/ en DVD "Oscar et la Dame rose", formidable message qui démontre le contraire de ce navet, en révélant à une femme paumée qu'elle est capable de se donner, face à un enfant condamné à mourir.

  2. Alexca

    merci pour cet article,

    J'ai beaucoup aimé ce film, effectivement très surprenant dans la paysage cinématographique français.
    Il y a effectivement quelque chose de très rafraîchissant dans la manière dont la souffrance est traitée, et en particulier dans la posture des personnages face à la réalité : ils l'acceptent comme un donné, dans toute sa réalité, aussi crue soit-elle. On le voit bien durant la première nuit où ils se retrouvent et commencent déjà à discuter des meilleur options à prendre : le fait d'affronter la réalité directement, sans tomber dans le déni, est déjà une grande aide pour eux, les force à ne pas s'appesantir sur leur sort (et bon, ce n'est quand même pas rien ce qui leur arrive) et à tout faire pour le bien de l'enfant.

    @ tabitha : C'est curieux, ce film m'a fait tout l'effet exactement inverse : il me semble que les personnages acceptent pleinement ce que la vie leur impose, et même plus : ils l'embrassent. Ils ne s'interdisent sûrement pas de vivre, c'est d'ailleurs le propos principal du film, il me semble.
    Cependant on voit que cette lutte les isole, malgré toute leur bonne volonté, et que la souffrance reste une épreuve qui fait du mal, c'est bête à dire, mais c'est vrai.
    Le film se conclu sur une note terrible, certes, et cela sonne comme un échec : mais quand même, on est impressionné de la confiance mutuelle de ce couple, par la manière dont ils gèrent les changements radicaux dans leur vie, et c'est pour cela que la phrase de la fin est surprenante et décevante. On se dit : "pourquoi ? Après tout ce à quoi ils sont passé au travers ?"
    Quand à la crise que fait le père, j'en ai connu qui en faisait pour moins que ça ;), et puis, mince, c'est un peu le drame de la souffrance, non ? Je trouve qu'au contraire il se reprend très vite, et au lieu de s'appesantir sur lui il est tout de suite présent à sa femme, cela le fait complètement sortir de lui.
    Quand à la scène de la soirée, et bien… C'est le côté parisien du film. Mais tout de suite après, on le voit avec les larmes aux yeux, ce qui montre qu'on est loin de la légèreté oublieuse et du divertissement.

    Quand à dire de quelqu'un en situation de souffrance qu'il est en train de "louper une occasion de se  muscler le mental", c'est tout de même un peu étrange…
    Je vote pour, donc ! Courez le voir, il ne sera bientôt plus en salle…

  3. pock

     
    Merci pour cet article, quel chouette film ! On en ressort vraiment ému et admiratif envers les parents, envers leur jeunesse d'esprit, leur simplicité. Quel dommage, vraiment, que cela se termine comme ça. Et puis, il faut bien le dire, c'est du vrai cinéma, c'est magnifiquement filmé. Pour une fois qu'on a un film français bien tourné, bien joué, et qui n'est pas misérabiliste, on ne va pas se plaindre !

  4. Tabitha

    Oui! je sais bien que je dois avoir tort !!! car mes enfants l'ont trouvé bien et étaient très agacés par mon analyse.
    Mais j'ai bien du mal à la remettre en question : je dois être assez borné, finalement! C'est çà qui ressort de ce film, au fond ! 

  5. caroline

    Pour ma part j’ai adoré ce film, c’est une explosion de sentiments contrairement à ce qu’on dans d’autre film bien cadré. C’est un film très frais avec beaucoup de naturel et de simplicité! La manière dont le couple gère la maladie et gère leurs vies à coté est admirable. Ils ont une grande complicité et une communication qui donne des idées.
    Bref, je suis allée voir la guerre est déclaré et j’ai aimé!

  6. Sigo

    Et bien moi, je ne sais pas si j'ai adoré ou détesté… Je crois que j'ai adoré, jusqu'au dernier 1/4 d'heure.
    Je trouve que c'est un hymne à la vie magnifique, mais pas franchement un hymne à l'amour! Même si c'est l'histoire de leur vie, je ne sais pas si le message est si beau que ça. Jusqu'au 3/4 du film, je me suis dis : "c'est un super beau témoignage sur la vie, ils s'accrochent au 10% de chance de survie etc.. et c'est leur amour qui les aide à surmonter ces difficultés et s'accrocher à la vie, et à vaincre la maladie."
    Mais finalement, avec leur séparation à la fin, même si c'est la réalité de ce qu'ils ont vécu, je me dis que le message du film c'est "l'amour n'est pas suffisamment fort pour affronter la soufrance" puisqu' ils se séparent à la fin! C'est dommage! Donc je me demande s'il y avait lieu de faire un film, car le "modèle" n'est pas si beau!  J'ai trop aimé le passage : Pourquoi ? "Pourquoi est-ce que c’est tombé sur nous ? Par ce que nous sommes capable de surmonter ça"… Mais finalement, ils nous prouvent le contraire! 
    Je me dis que l'enfant doit porter le poids de la culpabilité de la séparation de ses parents… Et je ne suis pas sûre qu'il y ait lieu de faire un film pour mettre en avant ce genre d'expérience.
    Si les 75% du film sont incroyables, la conclusion fait tout retomber. J'aurai préféré un hymne à l'amour qui donne la vie!

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