Avec son nouveau film présenté au festival de Cannes cette année, Nanni Moretti nous fait rencontrer un homme, un homme qui est le nouveau pape, un homme tellement seul qu'il est incapable de dire oui à la tâche qui lui est confiée.
Car ne nous y trompons pas : ce n'est pas un film qui polémique sur le mode d'élection du pape ou qui revendique le « non » comme l'acte suprême de la liberté individuelle. Ce n'est pas un film qui oppose la religion catholique et la psychanalyse, la foi et la raison du monde.
C'est un film qui montre que la conséquence de la solitude est l'impossibilité pure et simple d'accomplir son destin.
Et le choix que fait Moretti de se servir du contexte ecclésial à son plus haut degré hiérarchique pour traiter ce sujet montre qu'il y a là une quête terriblement spirituelle. Il aurait pu en effet choisir un chef d'état ou un homme d'affaire, l'un ou l'autre aurait très bien pu être seul de la même manière et de la même manière, refuser une tâche qui lui aurait incombé par élection.
Mais ici, l'élection, à travers le choix des cardinaux, vient de Dieu. Le drame est donc d'emblée existentiel.
C'est d'ailleurs le premier argument avancé par un des cardinaux au pape nouvellement élu qui vient de se dérober à la bénédiction qui doit le faire connaître au peuple amassé place Saint-Pierre : « Si Dieu vous a choisi, Dieu vous donne la grâce de porter cette charge ». Il oublie simplement que le Dieu dont il parle, le Dieu des chrétiens, est un Dieu qui a choisi de s'incarner et de donner Sa grâce par le biais d'autres hommes qui sont Sa présence dans le monde.
Or il n'y a personne.
Ce choix de la cité vaticane et de l'univers ecclésial est d'autant plus puissant que le cinéaste est athée, comme il le précise en personne au début du film dans une scène croustillante.
Le psychanalyste le plus réputé de la ville, joué par Moretti lui-même, et le pape, joué par un Michel Piccoli d'une humilité et d'une vulnérabilité bouleversantes, sont assis l'un en face de l'autre pour une première prise de contact… vouée à être une non-rencontre, puisque l'ensemble des cardinaux les entoure en tâchant de ne pas perdre une miette de ce qui se dit ! Après quelques échange, l'un d'entre eux intervient : « Mais… quelqu'un s'est-il occupé de savoir si cet homme était croyant ? »
Le psychanalyste : « Non, personne. Et non, je ne suis pas croyant.
Le cardinal : C'est mal !
Le psychanalyste : Je sais, oui, mais que voulez-vous, c'est comme ça. »
Je crois que plus d'un spectateur s'est – légitimement – posé cette question : « Quelqu'un s'est-il occupé de savoir si cet homme était croyant, pour réaliser un tel film ? ». « Non, je ne suis pas croyant », lui répond Moretti, et il ne faut pas chercher un regard de foi qui fait défaut dans tout le film.
Jamais on ne voit le pape prier pour demander secours à Dieu. Ecrasé, errant, fragile, on se dit à plus d'une reprise que cet homme est bien dépourvu. La vie intérieure qu'on est en droit de lui imaginer n'apparaît à aucun instant, cet homme n'implore personne.
Il faut donc écouter Moretti nous prévenir qu'il n'est pas croyant et même plus : être particulièrement attentif à ce qu'a à dire un homme de talent, qui n'est pas croyant et qui cherche – sait-on jamais, si cela nous ramenait vers des sources oubliées ?
Parce que cet homme-là fait le choix du pape comme personnage principal, il est nécessaire de s'étonner pour comprendre la profondeur de son film. Car l'intuition de Moretti est en effet profonde : un homme ne peut pas obéir à Dieu dans la solitude, ne peut pas accomplir son destin dans la solitude.
Le scénario, improbable et plein d'humour, se déploie autour de la question du rôle, déjà très présente dans « La messe est finie »[1] et qui est ici prise à rebours : le pape préfère dire non que d'endosser un rôle. Emmené chez une psychanalyste qui ne doit pas savoir qu'il est le pape, il lui dit qu'il est acteur. Il retournera la voir sans tarder pour lui dire : « Je vous ai menti. Je ne suis pas un acteur ».
Sans amour, sans amitié, la tâche pontificale, paradigme ecclésial de chacune de nos vies, ne peut lui être qu'un rôle inhumain. Au balcon du palais pontifical, il tire sa révérence, déchiré par le choix de jouer le rôle de sa propre vie ou celui d'admettre son incapacité à dire oui.
Si le film se termine sur sa décision, qui est bel et bien sienne, on ne peut qu'imaginer la solitude terrible qui demeure ensuite, ce poids avec lequel il faut continuer à vivre…
Moretti, cinéaste athée, nous offre une œuvre profonde sur le cœur humain ayant pour cadre le Vatican et comme personnages, bon nombre de membres du clergé. Sort-il de son rôle ? Il me semble que la réponse se trouve dans le film même, lors du fabuleux match de volley organisé et arbitré par le psychanalyste (joué par Moretti lui-même donc), qui oppose des équipes de cardinaux constituées selon leur origine géographique. Il est capable, justement parce qu'il sort de son rôle de psychanalyste, d'inventer ce qui faisait tant défaut à ces hommes enfermés malgré eux au Vatican : l'occasion de vivre une communion.
Cet instant de sport, d'humour et de grâce, livrant de très beaux portraits cinématographiques, donne à voir une Eglise universelle et vivante, qui est au fond la réponse que recherche au même moment le pape errant dans la ville – qui est la réponse que nous recherchons tous et qui peut être apportée par l'individu ou la circonstance que nous attendons le moins.
Enfin, on ne peut passer à côté du « Miserere » d'Arvo Pärt, qui s'offre en clôture du film comme une réponse à la bande originale de Franco Piersanti. Ce choix ôte toute possibilité d'ignorer l'aspect dramatique du film et de n'en voir, comme beaucoup de critiques désorientées l'ont fait, qu'une farce insaisissable.
Merci !!! Belle lumière qui révèle la profondeur de ce film qui peut, en effet, dérouter. Au premier abord plein d'humour et de tendresse … mais bien plus riche !