d'Agnès Nebra 14 décembre 2011
Comment expliquer le succès d’une comédie qui pourrait ne ressembler, à écouter certaines critiques, qu’à une suite de clichés ou de stéréotypes savamment mis en scène afin d’émouvoir le spectateur, voire même un film raciste ?
Cette histoire d’amitié qui réussit en quelques semaines à mobiliser treize millions de personnes de tous bords, de tous âges, des centres villes jusqu’aux banlieues confondus, mérite que l’on pose sur elle un regard attentif, qu’on la scrute.
Bien que basée sur une histoire réelle, attachons-nous à la Comédie sortie le 2 novembre dernier. Qu’a t-elle à nous dire ?
Deux hommes que tout sépare et dont l’univers ne pourrait être plus opposé l’un de l’autre vont se lier d’amitié. Ce qui permet cette rencontre est leur attitude de fond. Malgré les intérêts basiques qui les poussent à se lancer dans un contrat d’embauche, ils s’abordent l’un et l’autre sans préjugés.
Driss, qui venait chercher un refus, avec à la clé une signature lui permettant de toucher les Assedic se retrouve embauché malgré lui. Il n’a rien à perdre et il se laisse guider par cet homme qui souffre. Lui qui sort de prison va se rendre disponible et laisser le meilleur sortir de lui-même, assez simplement, assez naturellement. Il est vif, parfois borné, il a ses limites, mais il va savoir répondre d’instinct à ce qui manque à Philippe. Une présence qui lui apporte cet oxygène qui lui manque la nuit, un être libre qui le suit, qui pressent ses besoins, qui lui redonne la joie et qui le traite comme un homme. Jusqu’à devenir cet ami qui se passionne pour son bonheur en organisant la rencontre avec sa « relation épistolaire ».
Philippe, lui a tout perdu. Brillant aristocrate, éduqué à "pisser sur le monde" [1] se retrouve du jour au lendemain totalement dépendant des autres, vulnérable et profondément seul malgré son entourage nombreux. Il s’ouvre à Driss de l’amour qu’il a partagé avec sa femme, maintenant décédée. Bien plus que la diminution et les souffrances que son état de tétraplégique provoque, il confie : “Mon vrai handicap, ce n’est pas d’être en fauteuil, c’est d’être sans elle." [2]
Ce moment est un des moments clé du film où l’on devine que l’homme en fauteuil ne s’adresse plus à son auxiliaire de vie mais à son ami. Celui qui écoute est simplement là, il recueille sa douleur, l’accompagne, il lui offre une présence, une amitié vraie et lui aussi est sauvé par cet homme qui l’éduque, presque à son insu. “Maintenant que vous avez passé le cap et que vous êtes embauché vous allez me rendre l’œuf de Fabergé que vous m’avez volé … [3]” Sa première réaction est de nier, mais il le rendra, une fois retrouvé.
Comme le dit Omar Sy, l’acteur qui incarne le personnage de Driss, dans une interview[4] “chacun a un bon regard sur l’autre, c’est ce qui le tire vers le haut”, et de continuer “c’est aussi comme ça que François Cluzet m’a regardé durant le tournage et c’est ce qui m’a permis d’y aller librement et d’avoir confiance.”
Ces deux hommes se sauvent mutuellement et c’est ce qui les rend « Intouchables ». Ils sont à l’abri d’être touchés par une quelconque idéologie car l’idéologie n’a pas de prise sur l’amitié et l’amour vrais.
On peut bien sûr pointer le doigt sur des limites ou des points négatifs, mais ce n’est pas pour ces raisons que l’on va voir un film. Quelque chose de vrai et de bon parle au cœur à travers ces « Intouchables ». Rien de plus tangible.
Il y a peu, nous échangions ici-même sur le film à succès " La guerre est déclarée" qui m'a exaspéré, notamment à cause du rôle de la mère qui se comporte comme un bulot, ces coquillages qui ne peuvent vivre que juchés les uns sur les autres, caractéristique de notre époque, notamment dans la jeunesse féminine, que d'autres qualifient de reptilienne.
Seul le père avait un comportement assez sain, malgré une scène infantile, mais au fond, les deux se séparent parce qu'ils veulent être comme les autres et que ce gamin , avec sa tumeur, vient envahir leur espace intérieur et qu'ils ne sont pas capables d'ouvrir les yeux sur la réalité (de cela d'ailleurs, on ne saurait les rendre totalement coupables, car çà reste une épreuve forte ….)
Dans les Intouchables, on assiste à un film "viril" : alors que tout les opposait, les 2 personnages vont s'appréhender lors d'une " rencontre" (thème cher à Giussani ….) où le handicapé va d'abord, et lui seul, percevoir une ouverture qu'il ne peut nommer, indicible.
Au grand étonnement de l'entourage féminin qui préside depuis pas mal de temps à l'organisation efficace, dévouée, mais tout-à-fait figée des soins à donner à cet homme avec lequel elles ont manifestement des rapports de confiance, l'arrivée de cet éléphant des rues va faire péter ce cadre convenu.
Et on assiste même au retour d'une vie de don , d'une capacité à aimer chez cet homme privé de bras et de jambes : il aura même peur de ces avancées que Driss l'oblige à accomplir, sans arrière-pensée, sans réflexion autre que celle de n'avoir jamis vu un fauteuil avec un handicapé dedans mais un homme cloué dans un fauteuil et qui peut rêver comme tout un chacun !!!
Dans l'ensemble, excellent film qui peut aider, contrairement au film sur les bulots, à voir la maladie, le handicap, la pauvreté bien au-delà du factuel, et ainsi de ne pas mettre immédiatement et seulement un mécanisme désastreux de "pitié" qui est l'antagoniste de la compassion si chère à nos coeurs !