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de Loïc Serra
Politique – Senegal – Temps de lecture : 4mn

Ce vendredi soir 27 janvier à 21h 25, après de longs mois d'attente, la décision du Conseil Constitutionnel tombe. Les « cinq sages » qui doivent statuer sur la validité des candidatures à la présidentielle de février 2012, rendent leur souverain verdict. Il n’y a aucune surprise : la candidature du président sortant est validée, celle de Youssou Ndour, en revanche, le chanteur de mbalakh de renommée internationale est invalidée pour nombre insuffisant de signatures.


CC BY-NC-ND Kaysha

Cette décision du Conseil Suprême de la République du Sénégal, garante de la démocratie, ne surprend en effet personne. Tous accusent les « cinq sages » d’être à la botte du Président qui les a nommés et qui a récemment fait passer leur salaire à 5 millions de francs CFA (7600 €) par mois. Mais le mécontentement est à son comble. Comme l’écrivait Mor Talla Gaye, journaliste de l’Observateur, « les cinq sages ont validé la candidature contestée du candidat Wade. La bombe est lâchée… le Sénégal prend aussitôt feu. »[1]

De fait, depuis trois jours, les manifestations se multiplient, toujours plus violentes. Un policier a été massacré à coup de briques et de barres de fer par les manifestants. Le 1er février, on déplorait déjà 8 morts. Toute l’opposition s’est rassemblée sur la place de l’Obélisque non loin du centre de Dakar. On y trouve surtout les membres du M23, ce groupement apolitique composé de jeunes rappeurs, de la société civile et des partis d’opposition, qui a vu le jour le 23 juin et qui a auparavant fait plier le président Wade lorsque celui-ci voulait modifier une nouvelles fois la constitution pour instituer que le Président puisse être élu au premier tour à 25 % des voix.

Le bilan économique de Wade, après 12 ans de règne est loin d’être négatif. Le Président de l’alternance (après 40 ans de socialisme de Senghor et Diouf) a radicalement changé le Sénégal : les routes, les écoles, les lycées, les grands monuments… se sont multipliés. Mais Wade, depuis son deuxième mandat à la magistrature suprême ne cache plus son désir de garder le pouvoir à tout prix. La constitution est réécrite tous les 6 mois au grès de ses convenances politiques (la plus spectaculaire fut de décider que le mandat du Président de l’Assemblée Nationale soit réduit à un an pour faire tomber son ancien Premier ministre, Macky Sall, qui du perchoir demandait des comptes au fils du Président pour sa gestion de l’agence qui avait en charge l’organisation de la conférence islamique tenue à Dakar. Il a pu ainsi être tranquillement défenestré !) Toutes ces magouilles ont engendré une violente aversion contre lui. On ne compte plus les bruits et rumeurs (sont-elles fondées ?) qui courent sur sa gestion corrompue du pays. Il règne dans l’atmosphère sénégalaise un sentiment de malaise profond devant l’enrichissement tapageur d’une certaine classe qui profite du régime et l’attitude sans scrupule du président.

L’homme pourtant est vieux. Officiellement il a 85 ans. D’aucuns disent qu’il en a 95 ! Lui affirme être en pleine forme, il se fait même prendre en photo en train de courir dans les jardins du palais présidentiel ! Est-ce qu’il s’estime être le seul capable de gouverner son pays ? Est-ce l’ivresse du pouvoir ? Veut-il transmettre le pouvoir à son fils Karim qui a déjà en main trois ministères ? Le mystère reste entier… mais son obstination ne présage rien de bon car l’opposition et la rue plus généralement sont prêtes à employer toutes les méthodes pour l’obliger à quitter ses fonctions.

Les évêques du Sénégal, dans un message du 11 janvier s’exprimaient ainsi pour rappeler à qui de droit le fondement substantiel de toute démocratie saine : « Au moment où certains de nos compatriotes veulent légitimement briguer le suffrage des Sénégalais, il nous faut rappeler que celui qui détient l’autorité jouit d’un pouvoir, qui n’est légitime aux yeux de Dieu que dans la seule mesure où il est exercé, non pas de façon absolue, mais en vrai « lieu-tenant de Dieu ». C’est Dieu qui donne le vrai pouvoir, le pouvoir qui garantit le bonheur qu’il veut, Lui Dieu, pour tout homme, le pouvoir qui sert et protège le pauvre, le pouvoir qui se soucie de promouvoir la justice, la solidarité et la paix. » Puisse-t-ils être écoutés.


[1] L’Observateur, N° 2506, 28 et 29 Janvier 2012

 

 

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