Entretien avec le Professeur Dominique Lambert, philosophe des sciences et physicien aux Facultés Universitaires Notre-Dame-de-la-Paix de Namur par Anne-Sophie Rotsaert 27 juin 2012
Georges Lemaître (1894-1966) est considéré aujourd'hui comme l'un des pères fondateurs de la cosmologie contemporaine. En signe de reconnaissance à l'apport de ce physicien belge, le cinquième vaisseau ravitailleur européen de la Station spatiale internationale porte désormais son nom. Par ailleurs, une exposition à l'espace Wallonie de Bruxelles lui a rendu hommage ce printemps. Désireux de mieux connaître ce grand homme, nous avons rencontré le Professeur Dominique Lambert passionné par cet homme de science et de foi.
Lemaître entouré de deux prix Nobel R.A. Millikan et A. Einstein janvier 1933, Athenaeum of California Institute of Technology.
Le travail de Lemaître nous a tous influencés ! Il est le fondateur de ce qui est notre modèle actuel de compréhension de l'univers. Pour résumer en un langage vulgarisé, c'est un univers en expansion, qui a commencé d'un début très chaud, très dense (« le Big Bang »). De ce commencement, il reste une trace, un rayonnement fossile. Enfin, c’est un univers actuellement dans une phase d'accélération.
Je suis fasciné de découvrir que cet homme fut à la fois un des plus grands scientifiques, respecté par les personnalités les plus éminentes, et en même temps un croyant, un prêtre profond. Il a été jusque la fin de sa vie profondément croyant.
Il a gardé une sorte de discrétion parce que dans le monde scientifique, certains ont eu parfois des réactions négatives par rapport à ses théories. Persuadés que le commencement c'était la Création, certains reprochaient à Lemaître de faire de la mauvaise théologie en proposant un modèle scientifique avec un commencement.
Mais Lemaître savait distinguer les différents plans. Il disait que, méthodologiquement, on ne peut pas mélanger n'importe comment science et foi. Et il maintenait cette distinction. Par exemple, le « Big Bang » c'est un état initial physique, mais ce n'est pas un état qui a une portée théologique. Ce que Lemaître a donné comme message, c'est qu'il ne faut pas trop vite faire de mélange des genres. Il y a une unité profonde entre la science et la foi, mais elle n'est pas immédiate: un résultat scientifique n'a pas de portée théologique immédiate. Cela permet de respecter l'autonomie de la science et de respecter la doctrine chrétienne. Lors d'une conférence, une personne lui reprochait de ne pas avoir parlé de Dieu. Lemaître lui répondit : « J'ai trop de respect pour Dieu pour en faire une hypothèse scientifique ». Ce n'est pas une manière d'évacuer Dieu, mais il ne faut pas le transformer en ce qu'il n'est pas.
Le fait d’avoir la foi ne va peut être rien changer à la pratique scientifique : on fait la même science. De la même manière quand on nage, quand on roule à vélo, on fait la même chose que les autres. Mais la foi donne un optimisme, on sait que derrière tout cela il y a un sens.
À l'époque la majorité des professeurs à Louvain étaient prêtres. Lui, il enseignait la physique, les mathématiques, les sciences. On lui demandait parfois quel était son apostolat. Alors, il montrait sa soutane, disant qu'il témoignait par sa prêtrise.
Pour lui, l'unité ne se fait pas dans le concept mais dans l'action du croyant qui travaille dans le monde et place tout cela sous le regard de Dieu. Chez Lemaître il y a le cœur de Vatican II : le rôle du chrétien est de transformer la société en travaillant comme les autres mais en plaçant, en offrant tout cela à Dieu. « La foi ne sera d'aucun secours pour regarder au microscope mais il restera au scientifique croyant de faire tout cela sous le regard de Dieu et d'offrir tout cela dans sa prière du matin ».