Hugo Chavez a été réélu dimanche dernier Président du Venezuela avec 54,42% des voix. Interview d'une vénézuelienne vivant à l'étranger depuis quelques années.
Hugo Chavez © CC BY www_ukberri_net
Madame S., quelle est votre réaction à la réélection de Monsieur Hugo Chavez ?
A propos des élections, tout le monde savait que Hugo Chavez gagnerait, mais pas avec une telle marge. Nous pensions que la différence serait bien moindre ! Cette nouvelle élection va signifier pour le Venezuela 20 ans de chavisme et un régime très corrompu (dont j’aimerais beaucoup connaître les chiffres) qui continue.
Pensez-vous que c’est un bien pour votre pays ? Hugo Chavez a beaucoup appuyé sa campagne sur tout ce qu’il fait pour les pauvres et les projets sociaux…
Pour être objectif, il faut également évoquer les progrès réalisés sous son mandat. La Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (un organisme de l'ONU) a établi que le Venezuela est le pays sud-américain – avec l'Equateur – qui, entre 1996 et 2010, a le plus réduit le taux de pauvreté.
Selon ce que j’ai lu, le gouvernement d'Hugo Chavez consacre 43,2 % du budget aux politiques sociales. Résultat : le taux de mortalité infantile a été divisé par deux. L'analphabétisme est descendu à 4,9%. Le nombre de professeurs des écoles a été multiplié par cinq (de 65 000 à 350 000). Le pays détient le coefficient de Gini (qui mesure les inégalités) le plus performant d'Amérique latine. Il a réellement redistribué l’argent, mais au cours de la campagne électorale, il a acheté des voix en faisant des cadeaux, pratique courante dans la vie politique au Venezuela même avant Chavez.
Le Venezuela est un pays riche et plein de possibilités, notamment grâce au pétrole. Pensez-vous qu’il progresse actuellement ?
Il y a eu beaucoup de promesses dans le domaine social mais qui n’ont pas été tenues, avec une économie qui ne repose que sur le pétrole, ce qui signifie à mon avis qu’il n’y a pas eu de progrès : on distribue seulement de l’argent sans créer de richesses. De plus, le taux d’inflation à deux chiffres est un des plus élevés du continent. Les coupures d’électricité sont la cause d’un manque d’entretien du réseau et perturbent la vie quotidienne des personnes. Au niveau agricole, nous dépendons fortement des importations en raison d’une réforme agraire qui a échoué.
Quel est à votre avis la question la plus urgente ou importante aux yeux de vos concitoyens ?
Hugo Chavez pendant sa campagne électorale a, en plus de distribuer de l’argent, promis un plan de sécurité citoyenne, car il a enfin commencé à reconnaître le chiffre de 14 000 homicides et morts violentes qui ont eu lieu au cours de l’année dernière (bien que selon des ONG privées le chiffre monterait à 19000, soit un niveau de guerre civile). J’espère que cela se concrétisera car il n’y a aucune sécurité civile. Le Venezuela est le deuxième pays le moins sûr du continent, et cela est indéniable.
Un autre aspect qui m’inquiète, pas quantitatif mais qualitatif, est la peur. La révolution est basée sur un ressentiment envers les classes moyennes, et celle-ci souffre de la peur d’être attaquée, de ne pas bénéficier des programmes de l’Etat, etc… Les pauvres eux-mêmes ont peur, et Chavez joue sur cela. Car ils ont peur de ne plus rien recevoir du gouvernement, surtout les pensions et les aliments subventionnés dans les marchés de Chavez. Notamment, au cours de la campagne, il a menacé le pays de chaos en cas de défaite de son parti. Il est possible que cette peur du chaos ait joué un rôle important dans le choix des électeurs.
En conclusion, pour une raison ou pour une autre, tous souffrent de la peur, et c’est très triste.