de Claire Fortin 2 août 2013
Poème
Ô Cœur éternel,
Se peut-il
– tant de souffrance –
que Tu sois la joie
que j'attendais ?
Dans le magma informe
des cœurs d'hommes
Je ne vois rien
Je suis aveugle
Comment rester là
Avec eux
Avec moi
Informes et infâmes ?
Comment
Toi
peux-
Tu ?
Tant de souffrances,
Ce que nous sommes,
Tes pauvres hommes
Absurdes
et aveugles…
Ce bouillonnement de force que Tu es en moi
Si je ne Te rencontre
à chaque instant,
Chair du monde
l'Incarné !
Tu sais bien que je ne sais pas Te suivre !
Tes voies me sont étrangères !
Je suis obsédée de ce que
Tu hais –- cela que
Tu n’es pas… –-
Il y a des grands devant moi
Ils me sont si purs et limpides et lumineux
Moi qui ne comprends rien de Toi
Et qui condamne mes frères à l'aune de ce rien que je comprends.
Sei mir nah, Du !
Toi
que signifie Ta présence ?
– Souffrance
Je crois
Car pour Te trouver
Il faut savoir
Dans quelles plaies sans fond
Tu déposes Ton souffle
Ces plaies-là savent alors
qu'elles n'attendaient que Toi
qu'elles n'avaient besoin que de Toi
elles savent pourquoi Tu viens
Ces âmes qui sont des plaies
Deviennent alors Ta vive présence
Il faut savoir la souffrance
Pour savoir Ta présence
Il faut savoir quel néant
Tu viens habiter
Pour savoir la joie
Des âmes consolées.
Merci pour ce psaume.
Avec une grande intensité existentielle et théologique, il exprime l'étonnement devant la surabondance du réel, dans lequel apparaît le "Tu" à travers l'expérience même de la souffrance, le "Tu" qui répond à une attente fondamentale :
"Se peut-il
– tant de souffrance –
que Tu sois la joie
que j'attendais ?"
Mais tout autant, on y voit transparaître la voix de cet autre qui assume la condition réelle de notre destin :
"Dans le magma informe
des cœurs d'hommes
Je ne vois rien
Je suis aveugle
Comment rester là
Avec eux
Avec moi
Informes et infâmes ?"
En effet, ces quelques vers s'approchent de ce que peut-être l'état subjectif inimaginable de celui qui s'est Incarné et à souffert pour nous. La distance, l'expérience de l'abandon est à la fois vécue en propre et épousée dans la solidarité de la condition.
Ainsi, tout le paradoxe de la coexistance de la souffrance et de la Présence est accompli dans leur identification, là où se révèle l'inatentdu et s'exprime par cette formulation précieuse :
"Toi
que signifie Ta présence ?
– Souffrance
Je crois"
Ce "je crois" est tout aussi bien l'expression de l'incertitude subjective que de la confession de foi. Il fait écho à cette humble expérience d'avoir été saisi, de suivre, de pénétrer la souffrance des hommes et la sienne propre comme une mission qui est à la fois confession :
Je suis obsédée de ce que
Tu hais –- cela que
Tu n’es pas… –-
Mais elle débouche cependant sur la mémoire d'une communion "Il y a des grands devant moi
Ils me sont si purs et limpides et lumineux". Et c'est pour cela qu'elle peut déboucher sur la joie parfaite, qui émane de la consolation de Dieu.
"Il faut savoir". C'est pourquoi, tout demeure mendicité fondamentale, pauvreté:
"Sei mir nah !"
Merci.
p. Denis