de Claire Fortin
Cette drôle d'étouffeur,
Père,
qu'il faut qu'on endure
Ce visage qui est le sien,
et l'amour de tout
Des immeubles de grisaille
aux toutes petites fenêtres mal mises
Des tas et des tas et des tas
de choses qu'on aime
Les trains qui partent
Les coups de sifflet sur les quais
Je les aime
Les hangars de la gare aussi
Ce visage qui est le sien
Il faut toujours le regarder de plus près
Le suivre
avec des yeux qui caressent
qui touchent
qui se ferment
Je marche doucement
Je veux avoir faim
Avoir le temps d'avoir faim
Et ne pas manger de fausses nourritures
Ouvrir et fermer les yeux
Sur ce visage qui est le sien
Marcher inlassablement
Père,
Je ne veux pas de ces hommes sans corps
C'est assez
Peut-on m'aimer enfin ?
Vous comprenez,
je veux errer,
j'ai besoin de errer
et du silence de l'errance
avec un amour toujours plus grand
en moi
les drôles de liens qui m'attachent aux hommes
que j'aime
me condamnent à l'errance
Et vivre seule
Forcer la main aux choses
Et s'apercevoir que finalement,
elles m'agréent, forcées
obéissantes à ma folie
et Dieu obéit à notre désobéissance
Père,
je ne peux vivre que de cette miséricorde
car je revendique ma liberté de chuter
de regarder l'effroi dessous moi
et dessus moi, et devant
derrière non, car derrière la miséricorde a soufflé sur l'effroi de ma folie.
Les gouffres de tous les univers
Ne peuvent détruire ce qui m'a faite
Confiante,
Heureuse,
Assurée,
Je demeure ainsi dans l'effroi – colère, ténèbres, chute infinie
Qui ne tarit pas de larmes
Qui ne tarit pas de l'amour
de tout.
Le train avance toujours plus vite
Avec de laides traînées noires aux coins.
Père,
Il est partout, ce visage qui est le sien.