En hommage à Oum Kalthoum pour les 40 ans de sa mort, Ibrahim Maalouf, jazzman franco-libanais, sort un nouvel album et transpose une de ses plus belles chansons : « Alf Leila w leila » (Mille et une nuits). Mais qui était Oum Kalthoum ?
Oum Kalthoum : « L’Astre de l’Orient », la « Cantatrice du peuple », le « Rossignol d’Egypte », « La Dame », la « Diva », la « Voix incomparable ». Qui est cette femme qui a reçu tous ces titres internationaux, qui a marqué profondément l’histoire de l’Egypte et l’âme de son peuple ?
Apparaissant toujours avec ses lunettes noires, son foulard blanc à la main, sa voix puissante et claire, elle demeure jusqu’à aujourd’hui une référence dans le monde arabe. Les égyptiens affirment en parlant d’elle: « Nos deux fiertés sont les Pyramides, et Oum Kalthoum ».
Déguisée en garçon pour pouvoir chanter
La date exacte de la naissance d’Oum Kalthoum, (de son vrai nom Fatima), reste inconnue. Elle est née au début du vingtième siècle, dans une famille très pauvre, habitant un petit village du Delta en Egypte. Son père, qui était Imam, chantait très bien et enseignait le chant à une chorale de garçons dans le village, afin de leur apprendre le Coran. Fatima, âgée à peine de 8 ans, en écoutant son frère apprendre le chant, commence à son tour à quantiler les versets du Coran. En l’entendant chanter, le père perçoit le talent inouï de sa fille. Mais en Égypte, à l’époque, il n’y avait qu’une seule possibilité pour faire chanter sa fille sur scène : la déguiser en garçon. Ainsi, elle pu faire partie de la chorale des garçons du village, et cela jusqu’à l’âge de l’adolescence.
À 16 ans, la jeune Fatima est repérée par un joueur de luth qui lui propose de l’accompagner au Caire où, très vite, une rencontre avec un poète lui ouvre les portes du palais du théâtre arabe. Ce sera pour Oum Kalthoum l’occasion des premiers grands succès.
Des concerts de cinq heures
Par l’authenticité de ses chants, la beauté de leur musique et leurs paroles si poétiques, elle a conquis le cœur de tous les égyptiens. Habitée profondément par ce qu’elle chantait, elle oubliait le temps, se montrant capable d’improvisations musicales, changeant les strophes, répétant parfois certains mouvements, paroles de ses chansons, à l’infini. La durée moyenne de ses concerts était entre trois et cinq heures, durant laquelle elle chantait uniquement deux ou trois chansons, car ses chansons se comptaient en heure et non en minutes. Il y avait une telle communion entre elle et son public, que ce dernier, connaissant bien sa Sitt (la dame), affirme qu’Oum Kalthoum ne chantait jamais deux fois de la même manière.
Dieu, l'amour et l'Egypte
Comme tout véritable artiste elle avait conscience que ce qu’elle transmettait ne lui appartenait pas exclusivement : elle se faisait la porte-parole de cette expérience transcendantale qui l’habitait, chantant presque toujours ces trois thèmes : le sentiment religieux, l’amour et la nation égyptienne. Sa chanson la plus connue : Alf leila w leila, chante ce cœur de l’Homme qui est fait pour l’Amour, et qui sans cette expérience, demeure étranger à lui-même et à tout ce qui l’entoure, et ne peut pas connaitre le bonheur :
« Comment pourrais-je te décrire comment j'étais avant de t’aimer, mon amour ?
Je n'avais aucun passé à méditer ni aucun avenir à attendre,
et même mon existence, je ne la vivais pas.
Ton amour m'a transporté en un clin d'œil,
et tu m'as appris la douceur et la beauté des jours, mon amour.
Mes nuits n'étaient qu’une étrange solitude, et tu les as remplies de bonheur,
mon existence était une terre aride, un désert, et tu en a fait un jardin, un paradis. »
(Extraits de la même chanson)
L'amour comme expérience unificatrice
L’Amour est au centre de ses chansons, pas comme une simple expérience réduite au sentiment, mais comme une expérience que vit profondément le cœur de l’Homme, d’abord avec Son Créateur. Expérience qui, par conséquent, illumine toute sa vie, lui donnant sa consistance, l’unifiant avec tout le créé.
Pour Oum Kalthoum « Dieu est Amour », et de cet Amour en découle l’harmonie dans le monde entier. Dans ses chants, elle ne part pas de la beauté des créatures pour parler de l’amour de Dieu, mais bien le contraire. Elle chante cette âme qui, saisie par l’Amour de Dieu, ne peut que Le proclamer, à son tour. Et son regard, transfiguré par cet Amour, est capable alors de s’émerveiller devant la beauté unique de chacune des créatures, devant l’harmonie qui les unie. La personne vit comme une expérience d’unité, et est capable de connaitre en vérité.
Ainsi pour Oum Kalthoum, toute expérience d’amour humain (l’amour des époux, des enfants, de la création), est contenu déjà dans cet Amour divin, qui en est lui-même son origine. Elle a chanté ainsi, ce que certains théologiens chrétiens, comme Saint Bonaventure, ont médité sur la Beauté : l’être humain part de la Beauté du Créateur pour que son regard soit ajusté et puisse contempler la beauté de chacune des créatures.
Une musulmane au coeur universel
Chanteuse musulmane, elle a chanté dans une de ses chansons les plus connues (Mille et une nuits), ce que Saint Jean a affirmé dans sa première lettre (1Jn 4,8) : « Dieu est Amour ». Cette expression est comme le centre de sa chanson, illumine tout le reste, illumine chaque expérience d’amour.
C’est pour cela peut-être qu’Oum Kalthoum a marqué l’identité même de l’Égypte : des générations entières ont été éduquées à travers ses chansons. Le peuple oriental, chrétien comme musulman, a trouvé dans ses chansons cette nostalgie de l’Infini, cette expérience vraie de l’Amour et de la Beauté qui unifie leur propre vie. Les chansons de la « Sitt » introduisent d’une façon exceptionnelle tous ceux qui l’écoutent dans cette unité entre la Vie et la Foi.
Enfin, cette expérience d’unification, nous ne pouvons que la recevoir de Dieu, comme elle le chante à la fin de cette même chanson. Elle reconnait dans ce dernier couplet, que l’homme n’est pas l’auteur de son propre bonheur, qu’il lui revient uniquement de mendier cette grâce et de la reconnaitre quand elle lui est donnée.
Le 3 février 1975 la Sitt des égyptiens meurt à l’hôpital du Caire. Le peuple égyptien lui montre toute son affection en ce jour de deuil national : plus de 5 millions de personnes ont été présents pour lui dire adieu. Dans les taxis, les bars, les maisons égyptiennes et orientales résonnent encore aujourd’hui la voix d’Oum Kalthoum. Preuve en est, ses chansons continuent toujours de ramener ceux qui l’écoutent à cette nostalgie qui habite chaque cœur, à l’essentiel.
Alf leila w leila (Mille et une nuit) d’Oum Kalthoum
L'interprétation jazz d'Ibrahim Maalouf se trouve sur l'album Kathoum
Ecouter un extrait, Movement 1
Sur cette vidéo, Ibrahim Maalouf nous entraine dans les coulisses de l'enregistrement