La poésie est une arme contre les slogans, l'hypocrisie et le cynisme. Son exigence de lumière vient purifier les mots. Elle ne sauve pas, mais elle aide à tenir. Elle vient raviver le cœur dans son élan premier et donner le courage de regarder les êtres qui nous entourent. Elle ouvre les yeux pour le temps du visage. Mais une fois le visage atteint, il reste encore à l’homme sa terrifiante liberté. Ce poème investit l'épisode biblique de la trahison du roi David, lorsqu'il fit tuer Urie le Hitite pour cacher son forfait (2 samuel 11 – 12).
Le Roi David, Gustave Moreau, détail.
Le roi David
D.C.
« De mi trunfo en la guerra quedó la hierba
que alimentan los muertos de la batalla ».
Pacheco, El rey David
« En hébreu, Batsheva signifie "fille de la promesse" ou "fille du serment". »
« David l'invita à manger chez lui. Il le fit boire jusqu'à l'enivrer. Mais le soir, Urie alla quand même se coucher avec les gardes de son seigneur et ne rentra pas chez lui. »
2 Sam 11, 13
Tu avais entendu, pourtant, le chant du soir
et tu avais connu cette crue d’innocence
qui t’a fait hésiter.
Je t’imagine maintenant,
en cette heure latente, hagard, inquiet.
Ou est passé le ciel au reflet vacillant
que tu voulais tenir et disait mieux que toi
toute l’attente humaine ?
Du fond de ce jardin j’entends couler cette eau
qui soutenait ton vœux de musique fervente.
Parfois les mots t’ont échappés, libres dans le silence,
souvent ils se servaient de tes balbutiements
ainsi que des chevreaux sur les murets
se moquent de l’entrave.
Les voici à tes pieds.
Qu’est-ce donc sur tes mains ?
Du sang ?
+
Les mots t’étaient donnés comme des seuils
sur le soleil de vrais visages.
Les suivais-tu dans leur prière suppliante ?
Qu’as-tu donc fais du Hittite confiant ?
Il allait à la guerre et ne s’est pas méfié
de l’escorte funeste :
peut-on se protéger d’un roi que l’on vénère ?
Etait-ce pour cela que le très haut
t’avait béni ? Ne le sais-tu donc pas ?
Les mots qu’on a servis sont des teignes patientes.
Ils travaillent longtemps dans les greniers secrets
de l’âme devant Dieu.
+
Le soir recouvre de sa pourpre un peuple qui s’endort.
Le monde est bien plus noir en cette nuit terrible.
Est-il un seul endroit où trouver l’innocence ?
Le ciel a recouvert tout un peuple qui tremble
et tu ne trembles pas d’avoir causé tant de tourments.
Te voici sur ta couche.
Mais tu n’apprécies pas ce corps déjà
Mais tu n’apprécies pas ce corps déjà
souillé de tavelures.
Ce qui monte à ta bouche n’est pas le flot du temple,
mais une vomissure. Le vin tourné ne peut plus t’apaiser
car le prophète en toi, regarde avec effroi,
la tête de saint Jean rouler parmi les astres.
Te souviens-tu de l’arche triomphante
et de la sainte ivresse qui te faisait passer
pour méprisable aux yeux de ta servante ?
C’étaient les jours de la jeunesse et de la liberté.
Qui a dansé pour toi, singeant les fastes de la joie ?
A quelle Salomé as-tu livré la bouche d’or
dont le flot coule maintenant, irrémédiablement ?
+
Plus douloureuse est la chute des saints. Tu le sais bien.
Mais que Nathan se lève et t'interroge,
Sauras-tu l’écouter, te rompre devant Dieu ?
Que monte maintenant la seule vérité
que peut forger ce cœur de poète entravé,
l’humaine vérité, ta seule vérité : miserere.