Douze jours, c’est le délai au-delà duquel (depuis 2013 en France) une hospitalisation sous contrainte pour motifs psychiatriques ne peut être poursuivie sans qu’un juge des libertés ne statue sur la situation du malade et n’approuve la poursuite d’une telle mesure.
Le réalisateur Raymond Depardon nous présente avec une grande pudeur plusieurs de ces face-à-face entre le malade et le juge. Les premiers plans du film nous découvrent les couloirs de l’hôpital psychiatrique, identiques et anonymes, où l’on devine une atmosphère pesante. Nous pénétrons ensuite dans la salle d’audience, située au sein de l’hôpital, où se déroule la rencontre du malade (accompagné de son avocat) avec le juge.
Mal-être et compassion nous saisissent à l’écoute de ces patients : en raison de leurs troubles psychiques, ils ne comprennent souvent pas le motif de leur hospitalisation non volontaire et ils demandent à quitter l’hôpital : le juge ne peut alors que constater son impuissance à faire comprendre la situation au malade… Malgré la gravité du thème choisi par Depardon, certaines répliques nous font sourire : telle celle d’un patient qui déclare vouloir fonder un parti politique qui interdira les psychiatres ! On reste aussi muet que le juge quand tel autre déclame : « Je suis fou, j’ai la folie d’un être humain ! » Ce n’est que trop vrai, les personnes hospitalisées contre leur volonté ne représentant que les cas psychiatriques les plus graves. Mais en même temps, face au mystère de cette souffrance sans nom, de ces troubles qui peuvent pousser à commettre l’irréparable (on apprend que l’un des patients a tué son père), ces malades n’ont-ils pas quelque chose à nous dire ? Ne nous rappellent-ils pas la fragilité de notre condition, notre dépendance fondamentale à l’autre et en fin de compte à l’Autre ? Bien souvent, la santé physique et mentale dont nous jouissons (qui sont bien sûr une bonne chose !) peuvent nous faire croire que nous sommes autonomes, que nous n’avons de compte à rendre à personne… au point que l’on n’ose pas s’engager, se lier à l’autre pour rester « libre »… Mais quel intérêt y a-t-il à vivre sa « liberté » tout seul ? L’homme n’est-il pas un être de relation ? La solitude n’est-elle pas l’un des plus grands maux de notre époque ? C’est l’une des raisons pour lesquelles la maladie psychique est si douloureuse : d’une part, le malade s’isole, entraîné qu’il est par ses pensées dans un monde où nous avons du mal à le suivre et d’autre part, le bien portant fuit la relation avec le malade à cause de cette étrangeté causée par le trouble psychique. Raymond Depardon et Claudine Nougaret, productrice du film affirment : « Ce sont avant tout des personnes qui souffrent, leurs paroles sont précieuses, pas seulement décalées ni insensées, elles sont simples et fortes et engagent leur avenir. (…) Nous sommes sortis grandis de ce film qui donne la parole à ceux qui sont momentanément enfermés dans leur esprit et en ont perdu l’usage. »
Puissions-nous, comme Raymond Depardon avec sa caméra, rencontrer ces personnes malades avec la plus grande délicatesse en nous mettant aussi à l’écoute de ce qu’elles ont peut-être à nous dire…