Ce fermier autrichien a refusé de servir une guerre qui s’opposait à sa conscience : « aucune souffrance extérieure et aucune persécution ne peuvent briser la résistance intérieure de celui dans lequel le Christ vit et agit ». Il est fêté en Autriche le 21 mai comme bienheureux et martyr.
Cette année, ce jour coïncide avec la fête de Marie, Mère de l’Eglise, nouvellement instaurée par le Pape François. Heureux hasard du calendrier car l’histoire de cet autrichien, si peu connue en dehors des frontières, illustre bien, à la suite de Marie, comment l’Esprit Saint reçu à la Pentecôte inspire aux chrétiens des réponses prophétiques. Ce fut le cas de Franz Jägerstätter dont la mission fut de manifester à son peuple la liberté de la conscience au milieu de circonstances inextricables.
Jeunesse et conversion
Franz Jägerstätter est né en 1907, dans le village de St Radegonde, en Haute Autriche, fils d’une fille de ferme célibataire, il est élevé par sa grand-mère et plus tard adopté par le mari de sa mère, un fermier de la région.
Jeune homme, il est doté d’un caractère fougueux. En 1933, il devient père d’une fille illégitime avec qui il gardera cependant toujours de bons rapports. Deux ans plus tard, il rencontrera sa femme Franziska et son mariage avec elle marquera le début d’un grand tournant dans sa vie, sa véritable conversion intérieure.
Dès lors, Franz devient un croyant fervent. La vie et les enseignements de Jésus déterminent désormais ses priorités. Il s’engage dans l’église de son village comme sacristain. De son mariage naîtront trois filles.
Le don de clairvoyance
Cet homme simple, doté par ailleurs d’un esprit très indépendant, n’avait fréquenté que l’école primaire. Mais contrairement à la majorité de ses compatriotes, il fît preuve d’une grande clairvoyance, jugeant très tôt le national-socialisme et la foi chrétienne inconciliables. Dés le tout début de la montée du nazisme en Autriche, sa conscience aura été très claire. Déjà en 1938, lors du vote pour l’Anschluss, il était le seul de son village à voter contre.
Après une première et brève période de service militaire, il est autorisé à retourner à sa ferme mais il rentre convaincu qu’il ne devra pas se battre pour une guerre injuste. Il rejette le mensonge selon lequel cette guerre aurait pour but de délivrer l’Europe du communisme athée. Pour lui, c’est une guerre contre le peuple de Russie. Rappelé sous les drapeaux, il répond « qu’il ne peut servir à la fois Hitler et Jésus », tout en sachant que ce refus était passible de peine de mort.
Sauver Jägerstätter !
Son refus de servir donne alors lieu à une pression sans précédent, exacerbée par sa fidélité inébranlable au jugement de sa conscience. Par sa droiture et malgré le signe de contradiction qu’il représente pour ses interlocuteurs, il suscite partout la sympathie et le respect. Chacun se fait un devoir de le raisonner pour tenter de le sauver. AInsi, depuis le prêtre de son village jusqu'à son évêque, en passant par les officiers, tous tentent de le faire changer d’avis. Mais Franz reste ferme. Seule sa femme, consciente de la détermination de Franz et de ses motivations profondes, le soutiendra.
A son évêque qui lui reproche de manquer à son premier devoir d’époux et de père de famille en s’exposant à la peine de mort, il rétorque : « la réponse est-elle de tuer d’autres pères de familles ? ». Arrêté, il écrira depuis la prison locale : « mes mains sont enchaînées mais pas ma volonté ».
Transféré à la prison de Berlin, c’est au tour de la Cour suprême militaire de tout tenter pour le faire changer d’avis. Jägerstätter demande alors à servir en tant que secouriste pour sauver des vies et non les prendre. Mais sa demande est refusée. Il est finalement condamné à être décapité en août 1943.
Jusqu’au bout, il aura été soutenu par la lecture de la Bible, par l’Eucharistie et par une photo de sa famille qu’il aimait si tendrement. Peu de temps après, le juge qui avait prononcé la sentence se suicidera, révalant combien son attitude exemte de tout jugement à l'égard des autres, mettait chacun devant le drame de sa propre conscience.
Un cas problématique
Après la guerre, ses cendres furent rapportées par des religieuses dans son village natal. S’en suivit un silence très embarrassé de la part de la société civile comme de l’Eglise, silence qui durera de longues années et qui sera brisé entre autre par l’excellent film d’Axel Corti en 1971 : Le cas Jägerstätter. Une reconnaissance publique aurait trop risqué d’embarrasser tous ceux qui avaient dû servir dans l’armée. En effet, pour beaucoup un citoyen ne faisait que son devoir en servant sa patrie dans l’effort de guerre, fut-elle allemande depuis l’Anschluss. Il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la moralité ultime de la guerre et du régime qui la mettait en oeuvre, il fallait « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Mais le cas Jägerstätter vient déplacer la question : fait-on son devoir lorsqu’on participe à une guerre intrinsèquement injuste ? La force de son témoignage ne tient pas tant à de grands principes généraux, qui condamneraient les autres, qu'à sa fidélité inébranlable au jugement de sa conscience : il ne pouvait participer à une guerre promue par un régime déclaré mauvais par le pape Pie XII et qui avait fait montre d’une violente hostilité à l’égard de l’Eglise.
L’objection de conscience est-t-elle canonisable ?
En juin 2007, le Pape Benoît XVI publiait un décret autorisant à reconnaïtre Franz Jägerstätter comme martyr. S’il est désormais cause de fierté pour son pays et son église, son cas reste aujourd'hui encore source de polémiques : peut-on canoniser l’entêtement ou la désobéissance formelle aux institutions et à un Evêque ? Reconnaître l’héroïcité de son refus, n’est-ce pas soutenir un idéalisme irresponsable ? N’est-ce pas aussi condamner implicitement tous ceux qui n’ont pas su s’opposer au régime et tant d’hommes morts au front ?
Paysan, Jägerstätter était un homme concret, ancré dans le réel, doté d’un solide bon sens et d’une grande détermination. Jamais fanatique, ni idéaliste, étranger à toute vue partisane, la lecture de ses dernières lettres écrites en prison nous montre un homme pratique et terre-à-terre, soucieux du travail à la ferme, un mari et un père aimant.
A partir de sa conversion, Franz Jägertätter a fait preuve d’une extraordinaire cohérence dans sa vie. Il aimait le Christ par-dessus tout et c’est de cet amour inconditionnel que proviennent sa disponibilité à l’Esprit Saint et son exigence à suivre le Christ de façon si concrète et radicale, allant jusqu’à offrir sa vie pour la vérité.
Il n’était pas, comme on peut l’entendre, rétif à l’obéissance. Ainsi, dans une lettre à son épouse : « Lorsque l'on voit le Christ dans un autre, la soumission n'est pas difficile, surtout dans le mariage et la famille ».
Enfin, il est frappant de constater que jamais il n’a songé à condamner les autres. Comme l’a rappelé le Cardinal Schönborn dans une homélie, ceux qui pensent que la béatification d’un homme qui a refusé de servir dans l’armée sous Hitler équivaut à une condamnation par l’Eglise de tous ceux qui ont participé à la guerre n’ont pas compris le geste. A cette accusation, les mots même de Jägerstätter répondent clairement : « J’ai reçu la grâce de reconnaître cela (i.e. l’impossibilité de concilier Hiltler et le Christ) et c’est pourquoi je dois suivre ma conscience ». « Il ne m’appartient pas de juger les autres », répétait-il inlassablement : « Nous pouvons condamner l'idée ou le sentiment national-socialiste, mais pas l'homme lui-même ».
Pour lui, être incompris et même être jugé dans son chemin solitaire et à contre-courant faisait partie de sa mission. Il devait, par son sacrifice, montrer la liberté ultime d’une conscience droite face aux circonstances.
Citations
On prend la mesure de la profondeur de son engagement en parcourant sa correspondance avec sa femme :
« Celui qui est le plus à même de consoler, est celui qui a lui-même traversé une souffrance profonde et qui s’est rapproché de Dieu sur le chemin de Croix. »
« Qu'en est-il de nos fils, frères ou époux qui se battent au front ou sont peut-être tombés ? Nous devons laisser complètement ce jugement à Dieu, nous n'avons ni le droit de le condamner ni de le sanctifier ».
« L'amour de l'ennemi n'est pas une faiblesse de caractère, mais le pouvoir d'une âme héroïque et une imitation du modèle divin ».
« Chaque heure où nous vivons dans l'inimitié est perdue pour la béatitude éternelle ; parce que quiconque vit dans l'inimitié avec les gens ne peut pas être en amitié avec Dieu. Le Christ a dit oui, va, réconcilie avec ton frère, puis viens et sacrifie ton don ».
« Aucune souffrance extérieure et aucune persécution ne peuvent briser la résistance intérieure de celui dans lequel le Christ vit et agit. Quand le regard est dirigé vers l'Eternel, les tribulations temporelles ne terrifient plus ».
« Les adversaires de saint Paul l’ont ridiculisé quand il s'est donné avec un zèle infini pour sauver les âmes. Le slogan: « il ne faut rien exagérer » est toujours propre à ceux qui ne sont pas guidés par l'amour du Christ, mais par l’amour-propre et la crainte de sortir de sa zone de confort ».
« A propos du mariage: L'homme est l'image du Christ, le Rédempteur de son corps qui est l'Église. La femme est l'image de l'Église, épouse bien-aimée du Christ jusqu'au don total de lui-même. Ce n'est pas un amour égoïste qui les unit, mais la volonté de se sanctifier . L'un devient un autre « moi » pour l'autre. Et cette unité dans la dualité est intégrée dans la communion surnaturelle avec le Christ. Ainsi, le mariage est infiniment plus qu'une « chose mondaine ».
« Le Christ a suffisamment souffert sur la croix pour racheter toute l'humanité. Mais parce que chaque chrétien est membre du corps mystique du Christ, Dieu lui a aussi donné une certaine part de souffrance. Puisque il la vit en communion avec le Christ mystique, elle peut aussi être appelée "souffrance du Christ" ou "tribulation du Christ". Elle profite à l'Église, qui est le corps mystique du Christ, et n'est achevée que lorsque l'Église souffrante et militante est devenue triomphante. De cette profonde mystique de la souffrance surgit la joie pour les autres. »
« L'amour est comme le vêtement extérieur," l'uniforme "des disciples de Jésus. C’est à lui qu’on les reconnaît »
« Il ne faut pas abuser de l'autorité parentale. Les enfants incompris et injustement traités deviennent timides ou aigris ».
« De même que les randonneurs, les travailleurs et les combattants ceignent un vêtement long et ample autour de la taille afin de se déplacer plus facilement, ainsi les chrétiens doivent s'équiper pour travailler et combatre au service de Dieu en se dépouillant de tout ce qui les empêche de parvenir à destination. Ils doivent être spirituellement sobres, c'est-à-dire libres de l'ivresse du péché. »
« L’union (der Anschluss) au Christ ne nous sauve pas des souffrances terrestres, mais nous donne la force de souffrir pour la rédemption éternelle. »
« L'image du Christ ne devrait pas se former selon le goût du temps, sinon elle sera falsifiée ».
Très bel article qui nous fait connaitre ce bienheureux et dépasse toutes les polémiques pour nous faire toucher l'essentiel de son choix! Merci !
Merci pour cet article si édifiant! L'obéissance à notre conscience (éclairée par une vie chrétienne profondément vécue) est en effet notre mission quotidienne la plus grave et la plus nécessaire.
Le film de Mallick à son sujet qui sort en décembre promet beaucoup
Merci Marie-Isabelle pour ce magnifique article sur le Bienheureux Franz Jägerstätter. J’ai vu le film « Une vie cachée » ou » A Hidden Life » et je trouve que c’est un » chef-d’oeuvre ». J’ai écrit un blogue sur le film. Voir: https://dieumajoie.blogspot.com/2020/01/film-une-vie-cachee-hidden-life.html J’ai aussi mis votre merveilleux article sur mon blogue: Le cas Jägerstätter, en date du 23 janvier 2020.