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« Capharnaüm » : Quand la souffrance est vaincue par l’Amour

« Capharnaüm », le nouveau film de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki, vient de sortir dans les salles en France après avoir gagné le prix du Jury au festival de Cannes le 17 mai 2018. Il raconte l’histoire de Zain, âgé de 12 ans, qui attaque ses parents en justice pour lui avoir donné la vie. Au-delà de ses parents qui sont autant victimes que lui dans le film, c’est plus profondément contre tout un système d’enjeux politiques que Zain porte plainte. Des enjeux qui déracinent les réfugiés de leur pays, les rendant invisibles, vivant en marge des sociétés où ils se trouvent, en stand-by dans les pays où ils sont reçus.

Plusieurs sujets sont abordés dans ce film : le mariage forcé des mineurs, la lutte des enfants des rues, les clandestins, l’enfance maltraitée, la souffrance des réfugiés … Un vrai « capharnaüm » qui pourrait donner le vertige. Mais on y retrouve la grande caractéristique des réalisations de Nadine Labaki : le mélange paradoxal d’un drame intense et d’un humour exceptionnel.

On peut se demander comment trouver la beauté et l’espérance au milieu de ce capharnaüm de drames humains. La trame du film n’est pas tant une liste de souffrances que la manifestation du miracle de l’amour à travers des petits gestes, des amitiés qui rendent le fardeau plus léger.

Ce qui brille à nos yeux comme des pépites d’or au milieu de cette boue de souffrances, ce sont les personnages exceptionnels de Zain et Rahil. A travers leur amitié, ils sont provoqués à ouvrir la porte de leur cœur, pour se tourner généreusement l’un vers l’autre et s’accueillir, demeurant ainsi profondément humains au milieu de cette expérience si destructrice de la rue.

Zain, par sa force de caractère et son amour véritable pour sa sœur de 13 ans, fait tout ce qu’il peut pour essayer de la sauver d’un mariage forcé arrangé par ses propres parents, avec tous les moyens qu’il trouve, et ce, même aux dépens de sa vie. La souffrance n’a pas le dernier mot en lui, mais elle est comme un trampoline qui lui permet d’affermir de plus en plus ce que son cœur désire vivre profondément, ce cri de justice et d’amour véritable pour sa petite sœur, désirant la protéger.

Rahil, vivant elle-même clandestinement et dans une grande pauvreté matérielle avec son fils Yonas (âgé d’1 an), se laisse émouvoir par le petit Zain qui vit désormais seul dans la rue, et l’accueille sous son toit. Ainsi Zain, après avoir tout perdu (sa famille, sa sœur, sa maison), accueilli et aimé par Rahil, est capable à son tour de s’occuper avec une grande délicatesse de son fils, est capable d’aimer au lieu de s’enfermer sur sa propre souffrance ou de la laisser le détruire. Les plus belles scènes du film se passent entre Yonas et Zain. Celui-ci, qui n’a reçu que violence dans sa vie, est capable des gestes les plus tendres vis-à-vis du petit. L’amour et la compassion de Rahil ont comme vaincu la souffrance, et ont permis à Zain de donner le plus beau de lui-même.

Pour trouver ses acteurs, Nadine Labaki n’a pas cherché lors du casting des personnes qui « joueraient le rôle » d’un enfant réfugié, ou d’une femme clandestine ; mais a voulu que ses acteurs soient ce qu’ils sont dans la vie, qu’ils soient eux-mêmes. Elle dit avoir mis très peu de ses propres idées dans le film, mais s’être plutôt adaptée à la réalité de la souffrance de ceux qu’elle voyait en face d’elle, déviant son scénario  « bien écrit » au départ, vers ce que les acteurs vivent réellement, vers leur propre langage. Aucun des acteurs principaux n’est acteur professionnel, mais ce sont de vrais réfugiés. C’est ainsi que Rahil s’est fait arrêter, car elle vivait clandestinement au Liban ; toute l’équipe a donc dû suspendre le tournage pendant plusieurs mois. Et le petit Yonas (en réalité une petite fille qui s’appelle Treasure) a dû vivre dans la maison d’un des membres de l’équipe du casting pendant ce temps, en attendant la sortie de prison de sa maman. C’est pour cela qu’au Festival de Cannes, Rahil partageait avec beaucoup d’émotions : « Ça, ce n’est pas un film ; pour moi, c’est ma vie » [1]https://www.youtube.com/watch?v=2J84dthZMLU : interview de Nadine Labaki et ses comédiens pour Capharnaüm – Cannes 2018

Donc la beauté qui peut nous saisir tout le long du film, ce sont les visages de ces 3 acteurs principaux, non professionnels :

Zain, qui dans la vie réelle est un refugié syrien âgé de 12 ans. Il vivait dans des conditions très difficiles dans un bidonville à Beyrouth depuis 6 ans, fuyant la guerre. L’équipe du casting l’a rencontré dans la rue, attirée par son visage très expressif. Suite à des petites interviews sur sa vie, une amitié est née et la proposition du tournage a été faite. Zain n’a jamais été à l’école, sinon celle de la rue. C’est là qu’il a appris à se défendre, à se protéger par la violence, par son langage truffé d’insultes, mais il y est également devenu un professionnel de la débrouillardise. Nadine le qualifie d’enfant « étonnant par sa sagesse, [qui] a réussi à avoir une distance et un recul incroyables par rapport à ce qu’il a vécu. C’est un garçon qui a une force de caractère impressionnante ». Son authentique mélange de drame et d’humour en fait le personnage le plus poignant du film. Le Zain du film est le même que celui de la vie réelle.

Pour Nadine Labaki, l’idée du film s’est imposée naturellement, en regardant la réalité autour d’elle. Khaled Mzannar, compositeur de la bande sonore et époux de la réalisatrice, définit cette œuvre comme une sorte de mission qui les dépassait : « Tout le monde était porté par quelque chose qui était plus grand que nous au tournage, tous on se donnait pour la vie de ces gens là ».

Après le festival de Cannes, une nouvelle porte s’est ouverte pour Zain. Il vit désormais en Norvège avec sa famille, il va pour la première fois à l’école, dort pour la première fois dans sa propre chambre. L’expérience de ce film a réveillé en lui le désir de devenir acteur professionnel. Une profonde amitié est née entre lui et Nadine qui le considère déjà comme un de ses enfants.

References

References
1 https://www.youtube.com/watch?v=2J84dthZMLU : interview de Nadine Labaki et ses comédiens pour Capharnaüm – Cannes 2018
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2 Commentaires

  1. David B

    Merci pour cette belle présentation : la démarche est exceptionnelle, et ce film a effectivement l'air magnifique…

    Le teasing est réussi ;-) !!

  2. CI

    Ce film est absolument magnifique et les acteurs d’une rare justesse (difficile d’imaginer que cet enfant joue pour la première fois). Nadine nous précipite dans une série de drames inextricables en s’interdisant de prendre parti (même si joue magnifiquement le rôle de l’avocate de Zain contre ses parents) pour nous montrer effectivement la fine pointe d’humanité de chaque protagoniste.
    Il est magnifique de penser que le deuxième acteur le plus important et le plus longtemps à l’écran, est Yonas, un enfant d’à peine un an, qui ne joue pas (il ne peut pas). Et pourtant, à contempler ses grands yeux rieurs, peu conscients du drame qui se joue autour de lui, on ne peut pas ne pas percevoir le Grand Metteur en Scène. Cet enfant est le rappel de l’Esprit du jeu qui sous-tend toute chose et qui se manifeste une dernière fois dans le sublime sourire de Zain à la toute fin du film.
    A voir absolument!

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