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Hong Kong – une interview récente du Cardinal Zen

Le temps est venu de m’exprimer à nouveau, car le risque est maintenant réel que les événements de Hong Kong se transforment en tragédie. Les jeunes protestataires sont courageux et pleins de générosité, mais la violence peut devenir incontrôlable. Il faut que nous nous arrêtions, joignions nos forces et révisions notre stratégie, pour ne pas courir le risque que leur sacrifice demeure stérile.

 

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Il semble que les manifestations contre la loi d’extradition se soient transformées en une lutte pro-démocratique dirigée contre le gouvernement local et la police. Que se passe-t-il à Hong Kong ?

Lorsque la Chine a exigé que lui soit rendu Hong Kong, nous étions tous au fait de la nature de son régime politique. Afin de nous faire avaler la couleuvre, ils ont inventé une formule très intelligente, le concept d’autonomie appelé « un pays, deux systèmes ». Ce qui s’est passé ensuite est que le communisme a graduellement montré ses dents, et sa volonté d’exercer les pleins pouvoirs. Des « deux systèmes » ne reste aujourd’hui plus grand chose. Le suffrage universel qu’ils avaient promis a dévoilé sa vraie nature : une démocratie aux traits chinois, c’est à dire une illusion de démocratie. Il ne s’agit que de voter pour des candidats proposés en amont par Pékin.

Il y a cinq ans, le mouvement « Occupy Central » que vous aviez soutenu n’a pas obtenu le moindre résultat. En sera-t-il autrement cette fois-ci ?

Occuper était une action désespérée. Auparavant, pendant plus d’un an, le mouvement avait promu le dialogue à propos de la loi électorale. Il en était sorti trois propositions, sur lesquelles 800.000 s’étaient exprimées. Lorsque Pékin a rejeté le résultat du vote, les étudiants ont marginalisé les fondateurs du mouvement et le camp démocratique, prenant la tête de la protestation sans avoir de stratégie. Occuper les rues, ce n’est pas un plan. Le gouvernement les a simplement laissé faire, et le gêne occasionné dans la vie de la métropole a fini par leur aliéner la population.

Ils semblent avoir retenu la leçon : au lieu d’occuper les rues, ils sont maintenant plus agressifs, plus violents.

C’est vrai. Le 12 juin, tandis que nous autres, les manifestants pacifiques, nous dispersions, les « courageux » ou les « violents » se sont adjugé le mérite de l’encerclement du Conseil Législatif, prévenant ainsi l’approbation de la loi. C’était de la résistance passive, mais un certain comportement agressif a prévalu. Au début, ils ne s’en prenaient qu’aux choses, mais il semble maintenant qu’ils ciblent également les policiers.

Les citoyens continuent pourtant à les soutenir.

Ils apprécient leur courage face à un gouvernement qui ne veut écouter personne, et des policiers qui se comportent comme des bêtes sauvages. Les gens sortent de chez eux en pantoufles pour les soutenir. Mais à aller de l’avant ainsi, on risque l’escalade, et donc que les choses finissent comme avec Occupy Central, que l’appui s’évanouisse. Les habitants de Hong Kong ne veulent pas la violence.

C’est un manque de stratégie ?

Il n’est pas possible de continuer infiniment sans obtenir le moindre résultat. Tant de sacrifices ont été consumés jusqu’à présent – plus de mille manifestants ont été arrêtés, une centaine condamnés [1]« Je suis l’un des membres du directoire d’un fonds d’aide humanitaire de Hong Kong, qui a récolté de généreuses donations pour aider les personnes condamnées. Les dépenses d’avocat … Continue reading . Toute cette souffrance n’est pas justifiée. Ils disent qu’ils n’ont pas de leader, qu’ils agissent de façon « liquide », mais une guérilla ne peut être efficace contre des envahisseurs que si l’on peut se cacher et frapper de façon inattendue. Or nous en sommes rendus à affronter sans armes un gouvernement qui lui est puissant.

Mais d’un autre côté, qu’ont donc résolu des années de marches pacifiques ?

Il n’est pas vrai que nous autres les « vieux » n’avons rien obtenu. Si ce n’était pour nos luttes, ces jeunes gens seraient tous des Gardes Rouges à l’heure actuelle. Bien sûr ce sera difficile si les communistes s’acharnent dans leur stupidité, dans leur aveuglement sur le fait que « un pays, deux systèmes » avantagerait aussi la Chine. Mais avec la violence, nous perdons plus que nous n’obtenons. Si les jeunes gens peuvent continuer, c’est parce qu’ils sont soutenus par deux millions de citoyens pacifiques. Ils le savent, le gouvernement le sait. C’est pour cela qu’il nous faut maintenant nous arrêter, mettre nos forces en commun et réviser notre méthode, cherchant des moyens non-violents et efficaces pour exercer une pression sur la politique. Ce sera un long combat, qui n’aboutira à rien sans une stratégie.

Le Vatican se tait. Est-ce par peur de compromettre le dégel avec la Chine, suite à l’accord sur la nomination des évêques [2]Accord amèrement dénoncé par le Cardinal Zen en son temps. https://www.cath.ch/newsf/accord-chine-vatican-les-interrogations-du-cardinal-zen/ ?

Malheureusement, certaines forces au Vatican poussent de toutes leurs forces dans le sens d’une Ostpolitik, que le pape François semble apprécier. L’accord était une erreur, il a livré l’Eglise clandestine en Chine. Le dernier pas accompli a été celui du 28 juin dernier, qui a encouragé les fidèles à joindre l’Eglise officielle, qui n’est autre qu’une Eglise schismatique. Et en retour d’avoir abandonné ceux qui avaient la foi et avaient besoin d’être soutenus, ils n’ont  pas obtenu quoi que ce soit.

Le diocèse de Hong Kong fait-il l’objet de pressions pour ne pas prendre parti ?

A un certain degré oui, mais pas explicitement : tandis que le monde entier a les yeux rivés sur Hong Kong, le Vatican est resté silencieux. Le diocèse est totalement aligné sur le Vatican. Je suis la minorité au sein de l’opposition.

La Chine a fêté le premier octobre le 70ème anniversaire de la République Populaire. Le pays est maintenant une superpuissance, ses habitants vivent mieux qu’auparavant. N’est-ce pas un succès du Parti Communiste ?

Les communistes ont ruiné la Chine, son peuple et ses valeurs : ce sont l’amour du pouvoir et l’appât du gain qui règnent maintenant sur l’Empire du Milieu. On ne peut pas appeler ça progrès. Le pape Paul VI disait que le signe du progrès véritable est que tous avancent ensemble, et non un petit nombre ; et lorsque ce progrès concerne l’homme tout entier, non pas seulement son aspect matériel. Qui plus est, si nous avions une démocratie, la Chine serait bien plus riche que les Etats-Unis, car les Chinois sont de rudes travailleurs. Une Chine démocratique n’est pas impossible.

Bien des jeunes gens de Hong Kong rêvent de l’indépendance vis-à-vis de la Chine. Et vous ?

Non. Bien sûr, le nombre de gamins qui veulent l’indépendance est en augmentation, mais ils sont encore peu, et le gouvernement s’en sert de croque-mitaine. Je comprends ces jeunes, ils sont nés ici, peu leur chaut de la Chine. Mais moi oui, je suis chinois [3]Le cardinal Zen est né à Shangai en 1932 et a quitté la Chine pour l’Italie un an avant la Longue Marche . La Chine est pour l’instant entre les mains des communistes, mais nous voulons la récupérer.

Que sera Hong Kong en 2047 ?

Il est bien certain que je ne serai pas là pour le voir, et quoiqu’il en soit je ne crois pas que qui que ce soit puisse faire des pronostics en la matière. Je ne sais qu’une chose, c’est que tous les hommes méritent la liberté.

Article paru dans le journal Repubblica en anglais et traduit par J-M P.

References

References
1 « Je suis l’un des membres du directoire d’un fonds d’aide humanitaire de Hong Kong, qui a récolté de généreuses donations pour aider les personnes condamnées. Les dépenses d’avocat sont extrêmement élevées, ce pourquoi cet argent est nécessaire. Au début, les jeunes manifestants avaient peur de demander de l’aide. Ils ne veulent pas de publicité. Si bien que nous avons trouvé le moyen de les aider tout en maintenant le secret sur leur identité. Il me semble aussi que l’Eglise est solidaire de ces jeunes. Cela est une très bonne chose. » (Interview de Hanko Cho du 29 septembre 2019, pour « TheLibertyWeb »
2 Accord amèrement dénoncé par le Cardinal Zen en son temps. https://www.cath.ch/newsf/accord-chine-vatican-les-interrogations-du-cardinal-zen/
3 Le cardinal Zen est né à Shangai en 1932 et a quitté la Chine pour l’Italie un an avant la Longue Marche
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