Pour le croyant, il n’y a pas de frontière précise entre la vie éternelle et celle-ci. Il n’y a rien de mieux, pour bien vivre cette vie, que l’horizon de l’éternité.
Photo : © Sabina Kuk
Celui qui croit en la vie éternelle ne méprise pas cette autre précaire, fragile comme une feuille d’automne. C’est ce qui transparaît dans la citation d’Adrienne von Speyr : « Je ne reconnais aucune des étoiles et, en histoire, j’ai toujours été très mauvaise. Je pense que j’étais trop occupée par mon environnement immédiat, par les personnes ». Une affirmation qui bouleverse l’équation selon laquelle le mépris de la réalité est le résultat de Dieu. Le mépris du monde de la matière, celui d’en bas, pour penser à celui qui ne s’est pas encore manifesté et qui est peu probable. Néanmoins, la mystique et théologienne suisse, malgré sa croyance, s’intéressait plus aux personnes qu’aux étoiles, aux malades qu’au sujet de l’histoire.
La religion est souvent considérée comme un antidouleur. L’opium, disaient-ils. Quelque chose qui détourne l’attention et annule l’évidence. Mais cela arrive, bien au contraire, lorsque la foi est authentique et non religiosité. La foi transforme le présent, et l’améliore même. La vie d’Adrienne soignant les malades en témoigne. Parce qu’elle, une mystique, a attendu Dieu après la mort, mais en attendant elle l’a adoré dans le concret. Dieu dans une vie difficile. Celle des fous de Waldau, où elle était infirmière. Mais aussi la mort de Maximilien Kolbe, intercédant pour un père de famille, l’existence de Thérèse de Calcutta parmi les plus pauvres des pauvres, celle du Père Damien avec les lépreux, celle de Saint Jean de Dieu ou celle de tant d’hommes et de femmes avec cette foi qui est un véritable séisme et qui ont fondé des hôpitaux, des léproseries, des orphelinats et des lieux d’études. Pas la foi des processions et des bougies en échange d’une guérison soudaine.
La foi, dans ces cas, est une œuvre parfaitement démontrable. Empiriquement vraie. Contrairement aux programmes électoraux ou aux promesses d’un leader charismatique. On peut entendre le discours du saint en se remémorant ses jours. Sa pupille est son prochain. Une foi sans œuvres, dit Jacques, n’est pas la foi. Une foi sans le concret. Une foi qui ne sait pas comment s’exprimer dans ce monde bref destiné au feu. Au contraire, je me réfère aux faits ; ceux qui ne croient qu’en cette vie aiment en général les idéaux. Notre voisin devient un électeur ou le visage d’un migrant éloigné ; la charité, les euros destinés à une ONG ; l’amour, un émoticône. L’humanité, la politique, les différentes philosophies, cela n’a pas d’importance.
Tout le monde éloigne la cible de l’amour. Rien de plus abstrait que l’argent ou de plus inconcret que la célébrité. Mais la foi a de la chair. La proximité est son écosystème, la chose la plus proche. Ça sent la sueur, c’est une extensibilité ou un mal de dents. Les choses que je ne supporte pas chez ma femme. L’image de François d’Assise jetant les toiles de son père par les fenêtres est celle du croyant, qui jette les idées, les concepts, les plans, tout ce qui est abstrait, et descend dans la rue, nu, pour embrasser un lépreux. Le Christ était très concret. Jusqu’alors, les dieux vivaient au loin, c’étaient des statues. Le Christ, sa mort, était le contraire d’une idée.
C’est aussi pour cela que les contemplatifs plient les draps avec l’attention d’un tedax, lavent la vaisselle jusqu’à ce que la lumière y soit visible comme dans un miroir, travaillent la terre comme si le moindre mouvement ferait exploser une mine. Pour le croyant, donc, il n’y a pas de frontière nette entre la vie éternelle et celle-ci. Le plus ici est important et tout acte d’amour repousse l’enfer, qui par ailleurs est déjà vaincu. Il n’y a rien de mieux, pour bien vivre cette vie, que l’horizon de la vie éternelle. Il n’est pas vrai que la croyance au Ciel nous fasse ignorer cette réalité. Au contraire, nous aimons plus intensément chaque seconde et le temps se transforme en une opportunité, même si la vie comporte un deuil, même si nous pleurons.
Article écrit par Jesús Montiel et publié le 13 Octobre 2019 sur le journal El Debate de Hoy.
Traduit de l’espagnol par C.M