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Covid 19 – Avoir fermé l’école est terrible !

Le 7 décembre dernier était interviewée sur une des grandes chaînes italiennes Sœur Anna Monia Alfieri, docteur en droit et en économie, religieuse de la Congrégation des Sœurs de Sainte Marceline, fondée à Milan au début du XIXème siècle et vouée à l’éducation chrétienne de la jeunesse.

 

Sœur Anna Mona Alfieri

 

Outre le fait devenu rare de voir une religieuse en habit être appelée à se prononcer devant le grand public sur des thèmes politiques et sociaux, le franc parler et le bon sens de Sœur Anna Mona Alfieri nous a convaincu de reproduire ici en français quelques passages de son intervention.

Sœur Alfieri recevait le même jour l’Ambrogino d’Oro, honneur conféré par la municipalité de Milan dont le nom est inspiré de Saint Ambroise, patron de la ville. Une reconnaissance non pas tant à la personne, mais à son combat de dix ans en faveur des écoles libres. Il existe un grand préjugé qui, selon Sœur Anna Monia, pèse sur les écoles libres : celui d’être les écoles des riches. « Peut-être tout le monde ne se souvient-il pas que les écoles catholiques ont été fondées dans le sud de l’Italie pour éviter que les enfants n’abandonnent l’école et, plus tard, pour éloigner les jeunes de la mafia« , dit la religieuse. Elle ajoute : « Oui, il y a les grandes écoles dont les frais de scolarité sont inaccessibles, ce qui est l’apanage des riches. Mais elles n’ont pas besoin d’être sauvées, car il y aura toujours ceux qui pourront se les permettre. Celles qui risquent de fermer, plus que jamais en ces temps de Covid, sont les écoles libres des banlieues et du sud de l’Italie, celles dont les frais de scolarité ne dépassent pas 4000 euros par an. Celles qui permettent aux familles, même modestes, de faire un choix libre« .

Traduction du second extrait de l’interview [1]Épisode de la Quatrième République, Rete 4 , disponible ici en italien:

Sœur Anna Mona, vous êtes la plus grande experte qui soit, à mon avis, en matière d’école. Vous connaissez les chiffres, vous connaissez les études, vous connaissez les écoles comme personne d’autre. Vous avez reçu l’Ambrogino d’Oro ce matin précisément pour cela. Mais dites-moi, la fermeture de l’école est-elle ou non un scandale ? Mais à la lumière du virus, je vous le demande, bien sûr, parce que la fermeture est un scandale et tout le monde le sait, mais à la lumière du virus, pensez-vous que c’est un scandale d’avoir fermé l’école ?

Oui, certainement, sans l’ombre d’un doute. L’école en Italie n’a pas fermé à cause du covid, mais a fermé parce que covid n’a fait que mettre sous tension, que pousser à bout le système scolaire italien qui avait déjà ses limites. C’était un système scolaire inique et je reviens donc à la même considération : si le gouvernement actuel n’est pas responsable, pas plus que le parlement, d’avoir hérité d’un système scolaire inique, qui découle de vingt ans de politiques probablement erronées quant au chapitre de l’école…

Mais le gouvernement a attribué 300 millions d’euros à la politique scolaire, quand quelqu’un dépense 300 millions pour l’école, pour une fois, ce n’est pas une bonne chose ?

Ce n’est pas une bonne chose, ce n’est absolument pas une bonne chose car comme nous l’avons dit cet été, la crise du Covid, ce fameux « cygne noir », aurait pu devenir une opportunité, si le gouvernement avait fait le bon choix. Il aurait fallu passer des accords entre les 40 000 écoles publiques et les 12 000 écoles libres pour faire revenir en classe 8 millions d’élèves en toute sécurité. Grâce à leurs grands bâtiments, elles auraient permis de surmonter le problème des salles de classe manquantes. On aurait pu régler par un accord entre les transports publics et privés le problème des transports manquants… De plus, en Italie, nous manquons de personnel, de sorte que l’école italienne n’a pas démarré non seulement parce qu’il n’y avait ni suffisamment de salles de classe, ni de moyens de transport, mais parce qu’il n’y avait pas assez de personnel.

La solution aurait été de signer des accords entre les écoles publiques et les écoles sous contrat : avec une base forfaitaire pour permettre aux élèves de retourner en classe, on aurait ainsi libéré 5 milliards d’euros de l’habituelle bourse au gaspillage. Au lieu de cela, la solution a été un été un ensemble de décrets surréalistes, comme celui de l’achats de pupitres individuels à roulettes qui non seulement ne réglaient rien, mais en plus ne sont pas encore arrivés !

Mais ils le savaient déjà en mai, en juin ?

Bien sûr, pas besoin d’être prophète. Dans la vie, ceux qui ont affaire aux chiffres savent anticiper les problèmes parce qu’ils sont prévoyants. La conséquence logique des décrets surréalistes sur les bureaux à roulettes, des accords avec les théâtres, avec les casernes sauf bien sûr avec les écoles libres, c’est ce qui arrive maintenant. Ils disaient que les moyens de transport seraient suffisants pour tout le monde, que le personnel en septembre se trouverait miraculeusement dans la salle de classe…

Êtes-vous en colère à ce sujet ?

Ah mais bien sûr, parce qu’avoir fermé l’école est terrible, parce qu’avoir fermé l’école signifie condamner l’Italie à une vie de misère.

Mais ils font la « didactique à distance », n’est-ce pas ? La DAD n’atteint pas tout le monde ?

Que fait la DAD ? Elle a rendu le système scolaire italien encore plus inéquitable. 1.600.000 étudiants ne sont pas rejoints par l’enseignement à distance, ils ne sont pas rejoints parce qu’ils vivent dans les banlieues du centre et du sud, qu’ils n’ont pas de parents à la maison qui puissent les suivre, qu’ils n’ont pas l’équipement nécessaire et qu’il n’y a pas de réseau Wi-Fi.

Et qu’en est-il des 300.000 enfants handicapés qui vivent dans une situation d’isolement, quelqu’un a-t-il pensé à cela ? Que font ces 300.000 élèves handicapés ? Eux et leurs familles implosent. Et le féminicide qui a augmenté de 15 % parce qu’avec la fermeture des écoles, ce sont les femmes les plus pauvres qui restent à la maison.

Vous voyez, tout un système dépend de l’école, et franchement je suis très amère parce que je ressens l’impuissance d’une solution que nous avons servie sur un plateau au gouvernement cet été, et nous avons été nombreux, leur disant : c’est une opération simple aussi bien d’un point de vue financier que juridique. Nous leur avons même trouvé une majorité politique transversale, en rassemblant les rangs de l’opposition avec Italia Viva, l’EU et le PD qui sont entrés dans l’arène avec nous. Cela n’a servi à rien car nous avons été liquidés avec cette phrase : « tout ira bien, en septembre les écoles pourront rouvrir, équipez-vous de gel désinfectant et de masques. Ne vous inquiétez pas, nous aurons le personnel. » En septembre, les pauvres enseignants, les directeurs des écoles publiques – nous ne savons pas comment ils ont pu rouvrir l’école les mains liées, sans autonomie, on en parle trop peu – sans personnel, ont rouvert. Dans la deuxième phase, en Europe, les écoles ont redémarré à la mi-avril, en Italie, elles ont redémarré, pensez un peu, en septembre, et encore selon les zones. Pour certains, oui, pour d’autres, non.

Pensez-vous que les écoles italiennes rouvriront en 2021 ?

Non, en ce qui concerne les écoles italiennes, il est bon de savoir que si, pendant la loi budgétaire qui est maintenant déposée au Parlement, on ne prend pas la seule route possible [2]le débat parlementaire pour un accord entre public et privé, NDLR , nous allons continuer à vivre les décrets surréalistes : des pupitres à roulettes on passera à l’ouverture des écoles le dimanche – ignorant que les enseignants continuent à travailler le dimanche – puis à la poursuite des cours pendant l’été.

Pire encore, pour nous le vrai danger est qu’en septembre 2021, on assiste en Italie à une école qui redémarre pour quelques-uns, quelques privilégiés, et qui exclut les pauvres, les handicapés…

Mais vous parlez des écoles privées, on pourrait penser que ce sont les privilégiés, incroyable, ce serait trop long à expliquer aujourd’hui à la télévision… Au lieu de cela, alliance des écoles privées et publiques, c’est la seule solution selon vous ?

C’est certainement la solution car un élève de l’école publique coûte 8 500 euros aux contribuables – ils n’achètent même pas le papier toilette, les élèves doivent l’apporter, pour s’abaisser à des détails banals – dans les structures qui manquent, avec un personnel qui manque, et des enseignants qui ne sont pas assez payés…  Où vont ces 8.500 euros, je demande au ministre, je demande au président Conte, où vont ces 8.500 euros ?

Mais vous êtes un fleuve en crue, vous n’êtes pas fatiguée, vous avez reçu l’Ambrogino et êtes venue de Milan ici… mais pourquoi n’êtes-vous pas fatiguée ?

Parce que je suis consciente de l’état d’urgence dramatique de l’Italie, où sera nié le droit à l’éducation. S’il devient un privilège, en violation de l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous aurons des dégâts, de vraies catastrophes, un système scolaire de plus en plus inégal. Vous verrez que la paix entre les peuples, l’intégration, la non-discrimination, la tolérance, la participation  de tous dans la société civile seront mis en danger.

 

Traduction de l’Italien: Jean-Marie Porté

 

References

References
1 Épisode de la Quatrième République, Rete 4
2 le débat parlementaire pour un accord entre public et privé, NDLR
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