Ce poème de Frédéric Eymeri (car le peintre est aussi poète !), dont le rythme est tout intérieur, se déploie naturellement dans le relâchement de l’intention, ce qui fait apparaître des surprises heureuses dans sa trame d’idées et d’images. Grave et prenant le pouls du temps, il semble nous dire : « bien que le joueur de flûte nous mène au ravin et que ma vie s’éteigne, mon chant, lui, continue de plus belle ! ».
La photographie qui l’accompagne nous fait entrer dans l’atelier du peintre : des voiles, des matières, une sculpture, l’apposition de la peinture. Dans la pauvreté des linges, un rythme trinitaire souligné par le sang du sacrifice…
Photo : dans l’atelier de Frédéric Eymeri (2021)
Le joueur de flûte
Frédéric Eymeri
Il te paie avec des cailloux
dans sa main droite
le joueur de flûte est un traître
il mène chacun au ravin.
Il te paie avec des cailloux
pour que meurent tes fils
des cailloux comptés
qu’il tient dans sa main droite.
Il tient la flûte de pouvoir
joue la musique d’un autre
des notes exactes et dictées.
Elles mettent les hommes en rang
ils lèvent le pied sur le temps.
Mais ce n’est pas pour danser.
Notes exactes d’un Ange noir
elles taisent la vie
pour que tu n’écoutes pas.
Il ouvre les yeux des enfants
il les ouvre avec un couteau.
Dans le silence noir des notes d’un autre
il ouvre les yeux des enfants
les enfants ont les yeux ouverts.
Ils ne voient pas !
Ils ne voient pas. Ils entendent
les notes d’un autre
celles qui mènent chacun au ravin.
Il s’applique à la musique
avec la flûte d’un autre
ses doigts précis sur les notes
il joue de la corde mineure
il fait retentir le fil
le fil de ta vie brisée.
Ta vie, tu ne la quittes pas!
Il s’amuse avec
la corde qui pleure
– mais ce n’est pas ton chant
que tu regardes s’éteindre
en même temps que toi –
Et tu prends tendrement
conscience…