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Arvo Pärt – Kanon Pokajanen ou le canon de repentance

Depuis sa conversion à la religion orthodoxe au début des années 1970, Arvo Pärt a composé une grande quantité d’œuvres d’inspiration religieuse. Il entretient naturellement une intimité toute particulière avec la spiritualité orthodoxe, qui se trouve à la source de compositions tant instrumentales (Silouan’s Song, Trisagion…) que vocales. C’est le cas du Kanon Pokajanen (Canon de repentance), son œuvre la plus monumentale. Le Canon (du grec: règle, modèle) est un long hymne composé de neuf odes écrit par Saint André de Crète [1]André de Crète l’hymnographe, parfois appelé André de Jérusalem, est né vers 660 à Damas et mort à Mytilène un 4 juillet, très probablement en 740

 

Arvo Pärt

 

Il est traditionnellement chanté la première semaine et le jeudi de la cinquième semaine du Grand Carême (commencé ce lundi dans toutes les églises de rite byzantin) comme « le diapason qui va donner le ton à toute la mélodie » [2]Père Alexandre Schmemann, Le grand Carême, Spiritualité orientale N°1, Abbaye de Bellefontaine .

Avec un art exceptionnel, saint André entremêle la confession des péchés et le repentir avec les grands thèmes bibliques : Adam et Eve, le paradis et la chute, les patriarches, Noé et le déluge, David, la Terre promise et enfin le Christ et l’Eglise.

Le Grand Canon consiste en une conversation entre le pénitent et sa propre âme, « il est comme une Lamentation pénitentielle qui nous dit toute l’étendue et la profondeur du péché et qui secoue l’âme de désespoir, de repentir et d’espérance » [3]Idem 

Par où commencerai-je, à déplorer les actions de ma misérable vie, ô Christ ? Quels seront les premiers accents de ce chant de douleur ? Dans ta bonté, ô Christ, accorde-moi le pardon de mes péchés.

« L’un après l’autre, mes péchés se révèlent dans leur rapport profond avec le drame persistant de la relation de l’homme avec Dieu ; l’histoire de la chute de l’homme est mon histoire » [4]Idem : 

Jai tâché le vêtement de ma chair, souillé l’image et la ressemblance de Dieu… J’ai noirci la beauté de mon âme… j’ai mis en lambeaux mon vêtement primitif que Tu m’avais tissé, ô mon Créateur, et depuis me voilà gisant dans ma nudité.

 

 

Dans l’interprétation musicale de son Kanon Pokajanen, Arvo Pärt choisit un tempo général lent, des répétitions lancinantes, la ligne mélodique est pratiquement recto tono. Très dépouillée, son écriture est cependant d’une grande variété avec des parties très différentes qui expriment aussi bien les lamentations, le repentir et les supplications du pécheur, que sa confiance en Dieu et la certitude que son cri sera reçu.

« Le voyage du Carême commence donc par un retour au ‘point de départ’ : le monde de la Création, de la Chute, de la Rédemption, le monde dans lequel toutes choses parlent de Dieu, réfléchissant sa Gloire, un monde où tous les évènements font références à Dieu et où l’homme trouve la véritable dimension de sa vie et, l’ayant trouvée, se repent ». [5]Idem 

Retranscription d’une conversation d’Arvo Pärt sur son œuvre Kanon Pokajanen

« Il y a de nombreuses années, lors de ma première rencontre avec la tradition de l’Église orthodoxe russe, je suis tombé sur un texte dont je ne pouvais guère comprendre le sens à l’époque, mais qui m’a néanmoins profondément marqué. Il s’agissait d’un canon pénitentiel : « N’aie pas confiance, mon âme, dans la santé corporelle et dans la beauté de la jeunesse ; car tu vois comment meurent les forts et les jeunes, mais crie : Aie pitié de moi, ô Christ Dieu, l’indigne… ».

Depuis lors, je suis revenu sans cesse sur ces vers, qui se sont déroulés devant moi lentement et difficilement. Mes premières tentatives d’approche du Canon pénitentiel ont été deux compositions pour chœur (Nun eile ich…, 1990, et Memento, 1994). J’ai alors décidé de le mettre en musique dans son intégralité, du début à la fin. Cela m’a donné l’occasion de me trouver dans son champ d’attraction, et au moins jusqu’à la fin de la partition, je suis resté sous son influence. J’ai vécu une expérience similaire en travaillant sur la Passion. J’ai composé le Canon de la pénitence pendant plus de deux ans, et tout ce temps que nous avons passé « ensemble » a été extrêmement enrichissant pour moi. C’est peut-être pour cela que cette musique m’est si proche.

Dans cette composition, comme dans certaines de mes autres œuvres vocales, j’ai essayé de procéder à partir de la langue. Je voulais laisser le mot choisir son propre son, exprimer sa propre ligne mélodique. C’est ainsi qu’est née – de manière quelque peu inattendue, même pour moi – une musique totalement saturée du caractère unique de cette langue slave que l’on ne trouve que dans les textes d’église (slavon). C’est ce canon qui m’a clairement montré à quel point le caractère d’une œuvre est prédéterminé par le choix de la langue – au point que toute la structure d’une composition musicale est soumise au texte et à ses lois si vous faites confiance à la langue pour « faire de la musique ». Les mêmes structures de composition, le même traitement des mots, conduisent alors, selon la langue, à des résultats différents. Comparez « Litany » (anglais) et « Canon de pénitence » (vieux slavon). Dans les deux cas, j’ai utilisé les mêmes règles de composition, strictement structurées, mais les œuvres se sont révélées très différentes.» [6]Source: Arvo Pärt : conversations, recherches, réflexions 

Arvo Pärt: Kanon Pokajanen

 

 

Photos : Aude Guillet

References

References
1 André de Crète l’hymnographe, parfois appelé André de Jérusalem, est né vers 660 à Damas et mort à Mytilène un 4 juillet, très probablement en 740
2 Père Alexandre Schmemann, Le grand Carême, Spiritualité orientale N°1, Abbaye de Bellefontaine
3, 4, 5 Idem
6 Source: Arvo Pärt : conversations, recherches, réflexions
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