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Qui est Schubert ? L’intégralité de ses symphonies ont été jouées à Paris ces derniers jours, nous donnant l’occasion de découvrir davantage cet homme, son œuvre et son âme.

 

Franz Schubert

 

Schubert est né en 1797 à Vienne. Il est le douzième enfant d’une famille de 14, seuls 5 atteindront l’âge adulte. Son père est instituteur et comme dans de nombreuses familles viennoises, il enseigne la musique à ses enfants : Franz apprend le violon, le piano, l’orgue et le chant. Ils jouent en famille un quatuor à cordes, son père au violoncelle, ses frères au violon et lui à l’alto.

L’élection

En 1808, Schubert a onze ans et est admis sur concours dans le chœur de la chapelle impériale de Vienne, le Stadtkonvikt. C’est là que Schubert découvre la composition avec Antonio Salieri (représenté de manière anachronique dans le film Amadeus). Dès ses débuts, Schubert est complètement saisi et compose dans tous les styles : symphonies, musique de chambre, opéras, messes,… Il semble que Salieri a ouvert grand les vannes chez son jeune élève.

Dès la première symphonie, où semble par moments résonner toute sa vie au Stadtkonvitkt, des cours de musique aux chants des oiseaux du parc, en passant par des moments plus personnels, il apparaît évident que Schubert a fait une expérience totalisante, c’est-à-dire une expérience dans laquelle se trouve réquisitionnée la totalité de son existence, jusqu’à son lien à Dieu.

Il compose deux ans plus tard sa deuxième symphonie. Il n’a plus de doutes, il a trouvé dans la composition le lieu où donner toute sa vie… et il jubile. Il semble à la fois complètement étonné – moi ? vraiment ? – et entre dans quatre mouvements pleins de gratitude. La deuxième symphonie tout entière semble ainsi chanter « j’ai été l’objet d’une préférence », elle exprime la grâce de cet événement miraculeux de la vie d’un homme : celui de l’élection, c’est-à-dire d’être choisi et d’y répondre.

 

Symphonie n°2

 

L’expérience de la suite

Les premières symphonies de Schubert portent des marques qui ne trompent pas, des marques laissées par les maîtres qu’il a suivi. Le début de la première symphonie et sa sixième symphonie ressemblent beaucoup au style de Beethoven, comme un enfant qui regarde son père attentivement et qui tente de reproduire le geste, sans se regarder le moins du monde. Son admiration pour cet homme alors encore en vie était si grande qu’il écrivit un jour : « mais qui peut encore faire quelque chose après Beethoven ? ».

La cinquième symphonie est le signe plus évident encore d’une suite. Il suffit d’écouter la quarantième symphonie de Mozart pour comprendre. « O Mozart, immortel Mozart, combien, combien infiniment de suggestions inspirantes d’une vie plus fine et meilleure, vous avez laissé dans nos âmes ! » écrit Schubert. Il entre complètement dans le regard de Mozart, et en même temps, il le fait avec son propre « je », c’est-à-dire qu’il se l’approprie pleinement et le redonne à la lumière de sa propre expérience. C’est pourquoi il serait stérile de « séparer » ou « distinguer » ce qui viendrait de Mozart, de Beethoven ou de Schubert car tout vient ultimement de Schubert. Il s’agit plutôt d’une invitation à regarder Schubert dans l’unité de sa personne : son talent, sa prière, sa maladie, sa foi, mais aussi son époque, ses maîtres et ses amis. En écoutant Schubert, on écoute aussi tout ce qui l’a construit, tous ces « Tu » qui l’ont fait pour reprendre les mots de Luigi Giussani.

 

Symphonie n°5

 

Premier déchirement

A seize ans, sa voix mue. Il n’a pas le choix, il doit quitter le Stadtkonvikt. Schubert est déchiré, et ce d’autant plus que son père ne le soutient pas dans son désir d’être compositeur. Probablement avait-il à cœur que son fils vive bien et lui ordonne de devenir instituteur. Il lui trouve rapidement un poste dans l’école où il enseigne lui-même. Schubert n’aime pas son nouveau travail, il tient même dans son journal des propos assez révoltés contre les enfants mis à sa charge. Et pourtant il obéit et tâche de vivre. C’est tout le chemin de la 4e symphonie qu’il a lui-même intitulé « la Tragique », où le cri devient musique, la plainte prière.

 

Symphonie n°4, la Tragique

 

Une compagnie

Schubert trouve au fil des années une compagnie d’amis fidèles qui n’hésiteront pas à l’héberger quand il se trouve dans le besoin. A 20 ans, il part ainsi vivre chez Franz von Schober puis accompagne tout un été Johann Vogel.

Si Schubert a finalement assez peu brillé devant le grand public comme a pu le faire Beethoven, c’est pour ses amis qu’il a donné toute sa mesure. Il aimait par-dessus tout composer voire improviser pour eux le soir. Plutôt timide en société, dès le piano en main, il animait des soirées entières. Ses amis venaient avec des vers, une ode, une chanson à boire et laissait leur ami la mettre en musique Ces soirées devinrent de véritables événements à Vienne si bien qu’elles prirent le nom de « Schubertiades ». C’est ainsi qu’il a composé de très nombreux Lieder, poèmes qu’il mettait en musique. Parmi les plus connus, la Jeune fille et la mort, la Truite, le Roi des Aulnes, …

 

 

Lied, La Truite

 

Parfois, il reprenait certains de ces Lieder et en faisait des quators comme La jeune fille et la mort, ou des quintettes comme la Truite. Cette dernière œuvre a été composée au cours de son été avec Vogel et porte un témoignage émouvant de Schubert vis-à-vis de ces amis qui l’ont aidé à avancer, à espérer, à croire, à vivre tout simplement. Alors que le lied initial, composé quelques années plus tôt, décrit la Truite qui remonte le ruisseau et se fait prendre par le pécheur, la Truite du quintette n’est pas prise. Elle sort libre et poursuit son cours. Le quintette joué par Jacqueline du Pré, Perlman, Barenboim, Zukerman et Mehta rend un hommage tout particulier à ce morceau.

 

Quintette D.667, La Truite

 

La via crucis de Schubert

L’année 1822 est terrible pour Schubert. Alors que Thérèse Grob, qu’il aimait, est partie avec un autre faute pour lui d’avoir de quoi la faire vivre, sa mère décède : « Et je vis la dépouille de ma mère. Les larmes jaillirent de mes yeux. Je revis le bon vieux temps dans la mémoire duquel, selon le vœu de la défunte, nous avions désormais le devoir de nous mouvoir, et je la voyais ainsi elle-même étendue comme elle l’était autrefois. Nous suivîmes son corps en versant des larmes, et le cercueil s’engloutit dans la terre. »

La même année, Schubert est atteint de la syphilis. Outre un rejet de la société du fait de sa maladie, sa santé se dégrade et se fait soigner au mercure… Tout ira de mal en pis, jusqu’à mourir six ans plus tard.

En écoutant les compositions de Schubert à partir de ce moment, il nous est donné de suivre l’âme Schubert tout au long de cette via crucis. Le quatuor La jeune fille et la mort et le Trio op. n°100, pour ne citer qu’eux, nous font entrer dans la prière d’un homme qui souffre mais qui, au lieu de se regarder et de s’apitoyer, compose et cherche Dieu, peut-être même pour chercher Dieu. Il témoigne avec simplicité de ce combat qu’il y a dans chacun de nos cœurs, cette bataille entre le oui et le non. Cette bataille est déployée dans la huitième symphonie, dite l’Inachevée, où Schubert témoigne précisément de l’inachèvement de l’homme qui cherche Celui qui seul est la réponse, l’achèvement. Sa musique cherche le chemin vers le second mouvement de l’Inachevée, vers le oui, vers la disponibilité totale. Un oui dans lequel la Vierge reconnaîtrait écrit Luigi Giussani dans Spirto Gentil.

 

Symphonie n°8, l’Inachevée

 

Schubert a intitulé sa dernière symphonie, la Grande, pour la distinguer de la sixième, dite la Petite.

En écoutant la neuvième de Schubert, il semble que nous sommes mis sur le chemin d’un voyageur, ou peut-être mieux encore, d’un pèlerin. Son chemin passe par bien des étapes, des épreuves, des troubles, mais aussi des joies, des instants évidents de grâce… Sur ce chemin, notre voyageur se révèle être plein d’un oui pour la vie, d’une disponibilité pleine d’espérance. Cette espérance se manifeste à la fois dans le « déjà » de l’union avec Dieu, une union toute joyeuse dans le quotidien qui se manifeste par un dialogue intime, jaillissant ici et là dans la symphonie sous le chant des vents répondant aux cors. Et cette espérance est en même temps un « pas encore », manifesté par le chemin toujours nouveau et encore inachevé du voyageur qui tend vers la Béatitude totale, finale, ultime.

 

Symphonie n°9, La Grande

 

La neuvième semble faire sienne le second mouvement de la 8e. Par moments, l’orchestre s’emballe jusqu’au point de rupture, la réalité paraît devenir écrasante pour notre pèlerin. Et pourtant, à chaque mouvement, les vents reviennent à cette même mélodie apaisée, le pèlerin revient constamment à un acte de confiance envers le Père, un acte de foi qui unifie toute la symphonie dans le dernier mouvement. Peut-être est-elle en cela la Grande face à la Petite encore hésitante ?

 

Le profond, l’ardent désir propre à l’inquiétude sainte
Requiert d’être satisfait en un monde plus beau ;
Je voudrais remplir l’espace de cette distance nocturne
Par la toute-puissance d’une amoureuse vision.

Père Suprême ! donne maintenant à Ton fils
De profondes souffrances pour salaire,
Pour qu’à la fin le festin rédempteur
Soit l’éternel rayonnement de Ton Amour.

Vois, mon Dieu ! gisant anéanti dans la poussière,
En proie à un chagrin inouï,
Vois le chemin de croix qu’est ma vie,
Et mon existence qui déjà décline infiniment.

Mon Dieu, Tu décides quand s’éteint ce qui est mortel,
Tu fais sombrer dans le Léthé ce qui devant toi n’est que le tout ;
Puis Tu permets qu’un être vif et purifié,
O Père, puisse à la fin ressusciter.

Franz Schubert
8 mai 1823

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